Demain à qui le tour ?

En moins d’un an, une dizaine de confrères ont été « traînés » devant les tribunaux de notre pays. Parmi eux figurent des membres –et non des moindres- de notre Département. Fort heureusement, dans aucun de ces dossiers, la compétence de nos amis n’a été mise en cause, ni même la notion classique d’obligation de moyens. Furent en cause, plutôt, la recherche du sensationnel, le goût du paraître et l’intention avérée de nuire.

Mr T. est un sénégalais dont les affaires étaient florissantes dans un pays d’Afrique de l’Ouest. Porteur d’une plaiegrave du cou par balle, lors d’une ces nombreuses émeutes qui caractérisent notre continent, il fut rapatrié au Sénégal. Reçu par deux des nôtres, il bénéficia d’une Cervicotomie Exploratrice. Celle-ci, réalisée par un brillant chirurgien cervico-facial, mit en évidence des lésions graves : musculaires, nerveuses, digestives et vasculaires. Le résultat de l’exploration et des réparations fut remarquable. Les suites opératoires furentsimples et il reprit rapidement son alimentation en même temps que s’installait la cicatrisation, au grand soulagement de la famille. Tout aussi rapidement, Mr T. reprit ses activités professionnelles.

Naturellement, il garda une dysphonie modérée, en guise de séquelle. Du fait d’une longue interruption, les affaires de notre brave « Modou Modou » n’étaient plus aussi belles. Il réfléchit rapidement et décida de « tenter le coup » de l’attaque en justice de ses médecins. Attraire en justice des médecins devrait, pensait-il, lui permettre de se refaire une … santé financière. Je le revois encore en audience, bavant et vitupérant –oubliant du coup sa dysphonie. Il gesticulait, criait et sautait comme un cabri, au point de troubler le calme du président de la séance, tout en déclenchant l’hilarité générale dans la salle. Le Président dut le rappeler à l’ordre. Je me dis, en mon for intérieur : est-il méprisable ou fait-il pitié ? Me vint alors à l’esprit la réflexion d’un grand penseur français : « obliger un ingrat revient à récolter de la haine ».

Madame X est porteuse d’un volumineux myome utérin. Porteuse également d’un lipome au dos, elle s’entend avec un gynécologue et un deuxième chirurgien, pour bénéficier d’une ablation du lipome dans le même temps opératoire. Après l’ablation du myome, le deuxième chirurgien procède à celle du lipome. Quelques heures après cette double intervention, elledécède d’une coagulation intra-vasculaire disséminée (C.I.V.D.). Convaincue par le gynécologue que l’hémorragie est liée à l’ablation du lipome, la famille décide de porter plainte contre le deuxième chirurgien. Le dossier est en instruction.

Madame Y est prise en charge pour un cancer du sein. Au cours de la mastectomie prévue pour cette dame qui est multigeste et multipare, le chirurgien réalise, également une ligature des trompes. Il avait auparavant expliqué à la patiente qu’elle bénéficierait d’une chimiothérapie. Guérie de son cancer, elle attaque son chirurgien qui, selon elle, aurait dû demander son consentement avant de réaliser la ligature des trompes.

Dans le premier comme dans le dernier cas, le tribunal n’hésita pas une seconde à débouter les plaignants et ordonna la relaxe pure et simple de nos collègues. Rompez les rangs, comme on dit dans l’armée ! Quid de l’honorabilité, et du préjudice immense et indélébile subi par nos confrères ? Quid du temps perdu pour eux durant l’instruction et les audiences ? Ces affaires qui avaient fait les délices d’une certaine presse, n’eurent même pas droit à un entrefilet dans un journal, après le jugement.

Ainsi donc :

  • Un homme de 90 ans, opéré d’un adénome de la prostate, pourrait porter plainte contre son urologue pour impossibilité de procréer.
  • Un malade, opéré d’un décollement de rétine, serait en mesure de porter plainte parce que n’ayant plus une vision de 10/10.
  • Un malade porteur d’un cancer du larynx et laryngectomisé après une trachéotomie en urgence –situation habituelle dans nos contrées- pourrait poursuivre son chirurgien pour une dysphonie.
  • Une malade, après cholécystectomie par coelioscopie, pourrait porter plainte du fait d’une cicatrice limitée, mais hypertrophique, au niveau de son abdomen.

Exagération ? Peut-être. Un de mes patrons, américain, n’ose plus tapoter ses patients à l’épaule pour les rassurer, en les raccompagnant. Il craint d’être poursuivi pour harcèlement.

Demain à qui le Tour ?

Il est raisonnable de se poser la question. Attaquer un praticien dans l’exercice de sa profession est devenu aussi aisé que gratuit dans notre pays. Jeter en pâture un représentant d’un groupe socio-professionnel –somme toute quelque peu envié- peut être fait, sans frais, avec le soutien inconditionnel d’hommes de la presse. Il n’est pas, à cet égard, interdit d’observer qu’un silence assourdissant a accompagné le jugement, après un vrai tapage médiatique. L’affaire avait perdu tout attrait. Personne n’est donc épargné, a priori. Cela n’arrive pas qu’aux autres.

Que faire ?

  • Faire signer un certificat de consentement, à tout patient, avant l’intervention ? Cette pratique, en cours en Europe et aux Etats-Unis depuis plusieurs années, peut difficilement s’appliquer dans nos pays marqués par un taux élevé d’analphabétisme. Et que faire en cas d’urgence ?
  • Faire preuve de solidarité ? Certes. Au-delà de la solidarité, du respect et de la gratitude – valeurs rares – il me paraît essentiel de faire preuve de loyauté, vis-à-vis de soi-même, du confrère et de la profession.
  • Cultiver les relations avec la famille judiciaire ? Sans doute ! « Science sans conscience n’est que ruine de l’âme », dit Rabelais. Les représentants de la famille judiciaire ont, comme nous, une science. Maniée sans conscience, notre science peut véritablement mener à la ruine de l’homme, au sens propre comme au sens figuré. « Il s’agit, selon Cheikh Tidiane LAM, magistrat, pour l’action publique, de ne pas encourager les poursuites systématiques de praticiens, afin d’endiguer le risque d’un découragement qui peut avoir un effet inhibiteur constitutif d’un danger pour le service de santé. A cet égard, il est important de créer des espaces de concertation entre les corps médical et judiciaire pour mieux appréhender les réalités de part et d’autre, et mettre en place une politique pénale en adéquation avec celles-là. Enfin, il faut attirer l’attention du CRED (Concertation pour le Respect de l’Ethique et de la Déontologie), organe créé par les journalistes sénégalais, sur le traitement de l’information concernant la santé »

  • Ne plus opérer personne et faire un traitement symptomatique, en nous réfugiant derrière l’insuffisance des moyens ? Cela me paraît peu responsable. Récemment pourtant, sur Internet, un confrère ORL français suggérait de ne plus réaliser d’amygdalectomie, étant donné toutes les plaintes enregistrées après cette intervention.
  • Savoir garder la tête froide, sans rien attendre de nos chers patients. Un de mes amis, avocat, me disait avoir appris que le premier ennemi de sa profession était le client.
  • Faire prendre une assurance à tous les chirurgiens, comme en France ? Qui fixerait le montant de la prime, dans un contexte où le client –le patient- se voit appliquer un tarif d’actes tout à fait forfaitaire, sans commune mesure avec la complexité de l’intervention ? D’ailleurs, ne dit-on pas que la santé n’a pas de prix ?
  • Cultiver surtout la compétence. « Malheur au malade dont le médecin est incompétent », disait Jean Bernard. Malheur aussi au médecin incompétent, pourrait-on dire tout simplement ! La compétence fonde l’autorité, le respect et donc la légitimité.

On pourra tout reprocher aux médecins, sauf d’être compétents

Tous nos remerciements à Maître Coumba SEYE NDIAYE et au Président Cheikh Tidiane LAM, respectivement Avocat à la Cour et Magistrat au Tribunal régional de Dakar.

Pr E. Malick DIOP
Service Universitaire d’ORL – DAKAR
emdiop@ucad.sn / ssorl@sentoo.sn

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