Dr Abdou Aziz Cissé, Directeur de Medis Sénégal et président de l’Association des produits pharmaceutiques locaux, assure que l’unité de production va rependre ses activités puisque l’État compte y injecter 5 milliards de FCfa.
Lors du Conseil des ministres du 1er septembre, le Président de la République a instruit ses ministres d’accélérer le processus de reprise des activités de la société Médis…
Nous manifestons notre reconnaissance et notre fierté au Président de la République. Depuis l’arrêt de Médis Sénégal en janvier 2020, il n’a pas cessé de prendre à bras-le-corps cette problématique. Le Chef de l’État a saisi les enjeux de l’autonomie en matière de fabrication de médicaments. C’est la sixième fois qu’il rappelait à ses ministres l’urgence de la relance des activités de Médis. En clair, il a donné des instructions pour le redémarrage des activités de Médis. Depuis le début, il a exprimé sa volonté de nous accompagner.
Malheureusement la bureaucratie au Sénégal est telle qu’on est dans des procédures et parfois dans des négligences. C’est cela qui a retardé le démarrage des activités.
À quand le redémarrage de la production ?
Je ne peux pas donner une certitude absolue sur cela. Par contre, je peux dire que nous fondons un espoir que les activités vont reprendre dans les jours à venir. Parce que nous avons bouclé les négociations pour tout ce qui est lié aux aspects administratifs et après dégager les fonds. Nous avons eu des réunions sur ces points.
Nous avons espoir que d’ici la semaine prochaine, les choses seront bouclées et que Médis va reprendre ses activités avant fin de septembre. C’est notre objectif. Si nous ne reprenons pas avant fin septembre, cela peut compromettre les chances de réussite du projet. Tout le monde l’a compris, tout le monde travaille dans ce sens.
Quel est le montant que l’État compte injecter dans les caisses de Médis ?
Aujourd’hui l’État compte mettre 5,5 milliards de FCfa au total dans le capital de la société. Mais ce décaissement se fera sur plusieurs phases. Dans un premier temps, nous allons recevoir 3 milliards de FCfa pour démarrer les activités. Suivra ensuite une tranche de 2,5 milliards de FCfa. Le reste des décaissements se fera de manière progressive.
Certains disent que des lobbies d’importateurs ne voudraient pas de cette reprise. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai ! J’en ai entendu. Mais c’est une question toujours difficile parce que quand on parle de lobbies, on touche à ce que nous ne devons pas toucher. Je ne peux pas l’affirmer ou l’infirmer, mais si les gens le disent, c’est qu’ils ont certainement des preuves. Mais, ils le disent par rapport aux lenteurs et aux freins qui font que jusqu’à présent, malgré cette volonté du Chef de l’État, les activités n’ont pas repris. Cela semble même paradoxal. L’autorité suprême a ordonné la reprise d’une activité d’intérêt général pour le pays, mais on traîne les pieds. C’est bizarre ! C’est tout cela qui fait que certains pensent à des lobbies. Médis a tout un savoir-faire en matière de fabrication de médicaments. Nous avons les technologies les plus complexes et les plus abouties utilisées depuis un demi-siècle. L’État l’a compris. Malheureusement beaucoup de gens ne le savent pas. Aujourd’hui, nous avons au Sénégal ce bijou de la pharmacie qui n’a rien à envier aux meilleures entreprises dans ce domaine dans le monde. Médis fait même des produits injectables, des produits de la stérilisation alors que c’est l’une des formes pharmaceutiques les plus difficiles. Il n’y a pas beaucoup de sites de fabrication des médicaments produits par Médis. La reprise de nos activités va dans l’intérêt du pays et de la sous-région.
La Pharmacien nationale d’approvisionnement (Pna) va changer de statut. Est-ce une opportunité pour Médis ?
Le changement de statut de la Pna marque une volonté des autorités de faire de Dakar un hub médical et pharmaceutique. L’État travaille dans cette perspective en posant d’importants jalons. Depuis un an et demi, l’Association sénégalaise des industries pharmaceutiques travaille avec l’État pour l’élaboration d’une feuille de route devant relancer définitivement l’industrie pharmaceutique. À terme, nous devons pouvoir produire 50 % des médicaments consommés au Sénégal. Aujourd’hui, nous ne couvrons que 5 % de nos besoins. Nous devons nous poser la question pourquoi depuis 1973, le Sénégal n’a pas franchi des étapes dans la fabrication locale ? C’est parce qu’il y a un environnement hostile au développement de l’industrie pharmaceutique. Ce sont ces raisons, ces pesanteurs qui ont expliqué que Médis, malgré tout son savoir-faire, toute sa volonté, s’est trouvée dans des difficultés. D’autres industries ont rencontré les mêmes problèmes. Nous avons travaillé avec l’État pour identifier tous les freins qui empêchent le développement de l’industrie pharmaceutique, pour les adresser afin qu’on se remette définitivement dans un cycle vertueux l’industrie pharmaceutique et atteindre la souveraineté en fabriquant l’essentiel des médicaments que nous consommons.
En quoi l’actuel statut de la Pna constitue-t-il une contrainte ?
La Pna est un outil qui permet à l’État de répondre aux besoins en santé des populations. Elle lance des appels d’offres internationaux, sans aucun avantage si nous nous comparons aux Chinois, aux Indiens et autres grandes firmes. Avec les coûts de fabrication, l’importation des matières premières, il nous est quasiment impossible d’être compétitif face à ces groupes. Dans un tel environnement, c’est impossible de pouvoir se développer. Le changement de statut de la Pna et toutes les mesures d’accompagnement permettront de ne plus faire d’appels d’offres pour les médicaments qui sont fabriqués localement au Sénégal. Elle pourrait contracter directement avec nous. Cette réforme est une opportunité parce qu’elle va permettre à l’industrie pharmaceutique locale d’avoir accès à ce marché public qui représente 25 à 30 milliards de FCfa par an.
Lorsque la Covid-19 s’est déclarée, les pays ont fermé leurs frontières en privilégiant la satisfaction de leurs besoins ; ce qui est légitime. Nous nous sommes retrouvés dans des situations de rupture. Si nous avions Médis et les autres industries qui fonctionnaient à plein régime, avec tous les avantages nécessaires, nous ne serions pas dans cette situation. Aujourd’hui, avec l’arrêt de Médis, il y a souvent des ruptures de stocks de médicaments classiques comme le parégorique, la terpine et le gardénal.
Propos recueillis par Daouda GUÈYE (Le Soleil)