Ils sont plus de 300 agents à s’accrocher à l’espoir d’une reprise de la production de l’industrie pharmaceutique Médis.
RUFISQUE – En cette chaude matinée, devant la porte de l’unité de production de produits pharmaceutique, le décor à l’entrée montre qu’il n’y a pas d’activités à l’intérieur. Il n’y a pas le ballet habituel des véhicules entrant et sortant avec des chargements de médicaments. Ce sont des travaux de pose de tuyaux qui sont en cours comme pour profiter de la période de baisse de trafic devant l’usine. Une pelle mécanique est en train de plonger sa longue fourche dans un trou déjà profond pour creuser une tranchée. Des tuyaux dont le diamètre dépasse le demi mètre posés à même le sol vont sans doute être placés sur cette tranchée qui passe devant l’usine Médis Sénégal. Un périmètre formé par quatre piquets reliés par un bandeau en plastique léger avec des bandes en rouge et blanc indique aux passants que l’accès est interdit. Pour entrer dans l’usine, il faut passer par un couloir étroit entre le périmètre des travaux et les haies vertes qui bordent le mur de l’usine. Dès qu’on franchisse la porte de l’usine, l’attention est attirée par les herbes sauvages qui occupent l’espace généralement bien entretenu. Leur hauteur cache même le bâtiment qui abrite la direction et l’administration de l’entreprise. En face sur le côté droit, à l’ombre d’un fromager, le personnel de surveillance profite de la fraîcheur en dégustant leur thé.
Plus loin au bout de la route, deux bâtiments font face l’un à droite abrite le laboratoire, l’autre le restaurant et les salles de réunion. L’une des pièces de ce dernier bâtiment constitue la salle des délégués du personnel. À l’intérieur, ils sont cinq à préparer le thé comme pour oublier le temps qui passe.
Sur leur visage, se lit l’inquiétude sur leur avenir. Cela fait vingt mois qu’ils ne travaillent pas. Mais malgré tout, tous les matins, ils se retrouvent dans cette pièce « pour fuir les regards dans leur quartier ». Ils sont au courant de la dernière annonce du Président à propos de la relance de leur usine. Mais ils refusent de céder à l’euphorie. Ils sont plutôt prudents car, disent-ils, ce n’est pas une première, même s’ils espèrent que cette fois-ci que l’annonce sera suivie d’effets. « C’est la cinquième fois que Médis est fermée depuis janvier 2020. Comme le disent les camarades, la volonté est là mais on ne comprend toujours pas ce qui bloque…Le personnel est fatigué puisqu’on est à presque 20 mois sans salaire, sans aucune prise en charge. Il y a eu des décès, 4 à 5 parmi les travailleurs qui avaient des problèmes pour se soigner », déplore Alioune Diallo, un des délégués du personnel.
Il rappelle que c’est une entreprise privée qui pouvait investir ailleurs pour chercher de l’argent et cela aurait mis au chômage plusieurs responsables de famille. Ils sont 300 travailleurs permanents et prestataires à gagner leur pain au sein de cette entreprise. « Avec l’entrée de l’État dans le capital de la société, les propriétaires attendent cet argent pour redémarrer et indemniser les travailleurs », confie-t-il.
Le retard dans l’exécution de directives présidentielles pour la relance cacherait-il des manœuvres des lobbies du médicament pour continuer à se faire de l’argent par l’importation et la commercialisation de certains produits qui sont fabriqués par Médis ? Les travailleurs sont tentés de le croire. « On ne peut pas comprendre pourquoi les paroles du Président ne se traduisent pas en actes », se demande Moussa Niang. Il souligne que suite à une interpellation du Secrétaire général de la Confédération nationale des travailleurs du Sénégal, Mody Guiro, le Président avait répondu que c’est définitivement réglé. « C’est derrière nous », avait-il répondu, selon Moussa Niang. Mais depuis, quatre mois sont passés et les choses n’ont pas bougé.
L’importation coûte 160 milliards
Cette opinion est largement partagée par ses camarades qui disent ne pas comprendre que les importations de médicaments coûtent 160 milliards de FCfa et qu’avec 10 milliards de FCfa, la reprise des activités pourrait se faire et l’État promet 5 milliards de FCFa comme participation au capital (trois milliards en avance) mais jusque-là, les choses sont restées au point mort.
Suffisant pour convaincre Moussa Niang et ses camarades. « On est sûrs et certains qu’il y a des lobbies derrière ce dossier, qui ne veulent pas de la réouverture de Médis », disent-ils.
Cependant, les travailleurs attendent avec beaucoup d’espoir cette réouverture. Sans salaire, ni couverture sanitaire, Ngalandou Diallo, lui aussi délégué du personnel, avec Nico Dème Ngom et Moustapha Sané vivent difficilement et peinent à assurer la dépense quotidienne. « On fuit nos maisons pour venir ici tous les jours. Si l’on reste à la maison, on nous demande de l’argent. Je ne parle même pas du loyer et de la scolarité des enfants. Personnellement, je ne m’en cache pas, je suis resté 09 mois sans payer la scolarité de mes enfants. C’est une dette que je dois l’école », avoue Ngalandou Diallo.
Accélérer le processus
Au-delà de leur personne, ces travailleurs disent partager la peine des populations sénégalaises qui vivent des ruptures fréquentes de certains médicaments. « Il y a énormément de produits qu’on trouvait dans les officines qui étaient fabriqués ici », confient-ils. Selon eux, des stocks de médicaments sont encore dans les magasins de l’usine et peuvent servir dans le traitement de certaines pathologies. Mais ces produits risquent d’atteindre leur date péremption si l’on n’y prend garde. D’autres produits à conditionner et utiles dans le traitement de la Covid-19 sont dans la même situation, notamment les anticoagulants.
Ces travailleurs membres du Syntics (Syndicat des travailleurs des industries chimiques) affilié à la Cnts veulent agir en toute responsabilité. Toutefois, ils n’écartent pas de recourir aux actions syndicales pour accélérer le processus de reprise des activités. « Si ça continue, nous allons passer à la vitesse supérieure,… l’usine est fermée depuis deux ans et l’État promet de mettre 3 milliards de FCfa », préviennent-ils. Pour ces travailleurs, les goulots se trouvent au ministère des Finances et au Fonds souverain d’investissements stratégiques (Fonsis), malgré tous les compléments de dossiers fournis par la direction. Une lueur d’espoir reste avec un partenariat attendu avec le Pharmacie nationale d’approvisionnement.
Daouda GUÈYE (Correspondant)
Le Soleil