Lettre ouverte à Monsieur le Président de la République du Sénégal, Bassirou Diomaye Diakhar Faye Bassirou Diomaye Faye et à son premier ministre M. Ousmane SONKO
Objet : Urgence de la sécurité et de la qualité des médicaments au Sénégal
Monsieur le Président,
Au lendemain de la déclaration de politique générale du Premier Ministre Ousmane Sonko devant la nouvelle assemblée législative qui ne semble pas faire de la qualité du médicament au Sénégal une urgence, je me permets, en ma qualité de citoyen sénégalais et acteur de santé, de vous écrire dans cet espace public qui se trouve être mon seul moyen de vous faire parvenir mes recommandations. Il est crucial que, dans l’application de cette déclaration de politique générale, le paramètre de sécurité du médicament soit considéré à sa juste valeur
En effet, la qualité des médicaments commercialisés au Sénégal est une préoccupation majeure qui nécessite une attention rigoureuse et une action stratégique. La mise en œuvre de normes strictes et l’alignement sur les pratiques internationales sont essentiels pour garantir que les médicaments ne soient pas seulement efficaces, mais aussi sûrs pour la population. La réforme du secteur pharmaceutique sénégalais est un pas vers l’amélioration continue du système de réglementation pharmaceutique, en vue de consolider la capacité du pays à assurer la qualité, la sécurité et l’efficacité des médicaments et des vaccins.
Il est évident que les capacités et ressources financières allouées à l’ ARP Sénégal sont trop limitées pour lui permettre de mener sans compromis sa lourde mission sur l’entièreté de ses neuf (09) fonctions réglementaires pharmaceutiques, à savoir :
- le système national de réglementation (RS),
- l’enregistrement et l’autorisation de mise sur le marché (AMM),
- les vigilances (VL),
- la surveillance et le contrôle du marché (MC),
- l’établissement de licences (LI),
- l’inspection réglementaire (IR),
- les tests de laboratoire (LT),
- la supervision d’essais cliniques (CT),
- et la libération des lots par l’Autorité nationale de Réglementation (LR).
Sans risque de me tromper, ces fonctions concourent toutes à garantir la qualité du médicament commercialisé au Sénégal.
Dispositions législatives et réglementaires
Fort de ce constat, Monsieur le Président, je me permets de rappeler ces dispositions législatives et réglementaires dont l’application pourrait constituer un début de solution au problème de santé publique que représente la consommation de médicaments de qualité inférieure :
- Vu le décret n° 2022-824 du 07 avril 2022 portant création et fixant les règles d’organisation et de fonctionnement de l’Agence sénégalaise de Réglementation pharmaceutique (ARP) : Cette entité résulte de l’intégration de la Direction de la Pharmacie et du Médicament (DPM) et du Laboratoire national de Contrôle des Médicaments (LNCM).
- En son article 2, il est dit :
- L’ARP a pour mission de mettre en œuvre la fonction réglementaire dans le cadre de la politique pharmaceutique nationale, de contrôler le secteur pharmaceutique et de veiller au respect des lois et règlements dans les domaines relevant de ses compétences.
- L’ARP est notamment chargée d’élaborer les projets de textes et de veiller à l’application des dispositions législatives et réglementaires régissant les domaines suivants :
- La pharmacie,
- Les médicaments et autres produits de santé, notamment les vaccins.
- Vu la directive n° 06/2020/CM/UEMOA du 28 septembre 2020 portant statut des autorités de réglementation pharmaceutique des États membres de l’UEMOA :
- Article 11 : Obligation d’évaluation technique et de validation du dossier de demande d’Autorisation de Mise sur le Marché. Toute demande d’Autorisation de Mise sur le Marché doit faire l’objet d’une évaluation technique préalable par un Comité d’experts visé à l’article 5 du présent Règlement, suivie de la validation par la Commission Nationale du Médicament à usage humain, visée à l’article 6 du présent Règlement et dont les délais sont précisés à l’annexe 4.
- Vu la LOI N° 65-33 du 19 Mai 1955 en son article 3, alinéa 2 :
- Les spécialités fabriquées et conditionnées à l’étranger ne peuvent recevoir le visa que si elles sont effectivement et légalement exploitées dans leurs pays d’origine, et qu’il est justifié que les conditions citées à l’alinéa précédent sont remplies. Cette justification pourra résulter de l’octroi des autorisations requises par la législation du pays d’origine.
- Le visa peut être refusé dans le cas où plusieurs spécialités de formule identique ou voisine sont déjà en vente légale au Sénégal et que l’introduction de la nouvelle spécialité est jugée ne pas présenter d’intérêt thérapeutique ou économique.
Constatant le nombre pléthorique de médicaments multi-sources provenant d’Asie et commercialisés en Afrique subsaharienne, ainsi que les lacunes réglementaires des plus grands producteurs de ces médicaments, je me permets de souligner la nécessité d’une application stricte de la loi pour garantir aux consommateurs sénégalais des médicaments de qualité, sûrs et efficaces.
Recommandations
Pour ce faire, voici quelques pistes de réflexion sur lesquelles vous pouvez travailler avec vos équipes techniques :
- Procéder à l’audit de la qualité des médicaments régulièrement en vente au Sénégal et au contrôle qualité de tous les génériques commercialisés au Sénégal, en prélevant les échantillons directement dans les officines, aux frais des titulaires d’AMM.
- Définir et établir une liste restrictive de médicaments ne pouvant plus être autorisés afin de fermer la porte du marché sénégalais aux spécialités tout en laissant place aux médicaments innovants.
- Appliquer la condition de réciprocité avec rigueur à tous les médicaments candidats au marché sénégalais.
- Instaurer une politique de compliance pour les agences commerciales, avec des sanctions en cas de non-respect, afin d’assainir les relations entre commerciaux et personnels de santé.
- Réaliser systématiquement un contrôle qualité exhaustif avant tout accord d’AMM et inclure les frais de contrôle qualité dans les coûts d’obtention des visas lors du dépôt de la demande d’AMM ou après accord d’AMM.
- En finir définitivement avec le marché parallèle du médicament en procédant à un audit de leurs circuits d’approvisionnement. En effet, qu’ils vendent des produits du monopole est déjà problématique, mais qu’ils ne disposent pas de documents commerciaux pouvant renseigner sur leurs fournisseurs est un autre problème. Cette situation perdure parce que, jusqu’ici, les autorités administratives, syndicales et ordinales ont manqué de courage. Nous espérons que vos équipes auront le courage d’agir pour le bien du secteur pharmaceutique mais aussi et surtout des populations.
Nous tenons à préciser que cette lettre n’a pas pour vocation de critiquer l’ARP ou le système de santé sénégalais, mais de partager les idées d’un citoyen sénégalais et acteur de santé, dans le but d’améliorer l’offre de santé. Nous profitons de l’occasion pour saluer le travail remarquable accompli par l’ARP depuis sa création et qui nous a valu une accession au NM3.
Dr Fallou Diouf
Pharmacien