A la police ou à la gendarmerie, on exige parfois à une victime ou un plaignant un certificat médical pour pouvoir déposer une plainte. Un document qui limite les possibilités de saisir la justice à temps à cause du coût ou d’une absence de ressources humaines pour le faire. Le médecin légiste Dr Amadou Sow, qui s’interroge sur la pertinence d’exiger un certificat médical pour le dépôt d’une plainte, plaide pour la formation des acteurs judiciaires et la création d’Unités Médico-Judiciaires dans chaque hôpital régional pour une meilleure prise en charge de ces cas.
« L’Etat doit renforcer la formation des agents judiciaires, d’une part, à la prise en charge des victimes de violences sexuelles et, d’autre part, à mener des investigations adaptées à ces types d’infraction » ! Un cri de cœur lancé en 2018 par le Dr Oumoul Khaïry Tandian Coulibaly qui plaidait ainsi pour le renforcement des capacités des agents judiciaires pour la gestion des cas de violences sexuelles. Elle insistait notamment sur l’urgence de former les acteurs. Trois ans après, Dr Amadou Sow monte au créneau pour rappeler cette nécessité de mieux outiller les acteurs notamment les policiers et les gendarmes sur les questions d’agressions sexuelles. Ce médecin légiste, en citant les travaux de recherches d’un sociologue à l’université El Hadj Ibrahima Niass du Sine Saloum, disponible en ligne, précise n’être donc « ni le premier ni le seul » à avoir parlé de cette nécessité de formation au profit des acteurs judiciaires.
Encore que, dit-il, les policiers et les gendarmes ne sont pas les seuls à devoir bénéficier d’un renforcement de capacités, les médecins, les magistrats et tous les acteurs étant concernés. Il dit partir de son expérience personnelle, et raconte qu’en 2014, alors qu’il était médecin au Centre de santé Philippe Maguilène Senghor de Yoff, il recevait assez souvent des patients ou plaignants qui, sur orientation d’un policier ou d’un gendarme, venaient demander des certificats médicaux pour coups et blessures afin de pouvoir porter plainte. Il se demandait alors s’il fallait nécessairement avoir un certificat médical pour pouvoir porter plainte, dès lors que le coût du document — 10 000 francs— pourrait être un facteur limitatif. « C’est ressorti même dans le rapport de Dr Oumoul Khaïry qui disait qu’effectivement le coût même de ce certificat peut être un facteur limitatif. Si on se met dans le cas où la victime n’a pas cette somme, ou n’a pas vu de médecin qui puisse lui faire ces constations, ou bien même la temporalité, la survenue des évènements est tellement ancienne par rapport à la décision de porter plainte, est-ce que à l’instant T, si on décide de se faire consulter par un médecin, ce certificat médical pourra retracer toutes les lésions ? Une question qu’on peut se poser pour dire voilà la valeur que l’on donne au certificat médical, ou la compréhension qu’on en a, et même après rédaction, la compréhension et l’interprétation qu’il faudra faire de ce certificat médical » poursuit le Dr Amadou Sow.
Ouvrir le débat à tous les acteurs intervenants
Après avoir fait part de ses préoccupations par rapport à cette problématique, Dr Sow pense qu’il serait intéressant que ses collègues médecins légistes puissent discuter de ce problème de certificats médicaux avec les autres acteurs de la justice à savoir les officiers de police judiciaire, les magistrats qui sont censés juger, et ensuite avec toutes les personnes qui interviennent dans une procédure judiciaire. Parce que, à ses yeux, il y a des choses à revoir dans la formation des magistrats et policiers, des médecins… par rapport à l’établissement du certificat médical. « Je suis même en train de proposer à l’ordre des médecins de mettre en œuvre un projet d’organisation de séminaires d’une journée sur les règles de rédaction des certificats médicaux par zone de concentration de médecins. J’avais même prévu d’inviter, au-delà des médecins légistes les autres acteurs tels que les procureurs, les juges ou les avocats. C’est pour dire qu’il y a une transition comme on l’observe du point de vue épidémiologique.
Les maladies ont changé. Ce ne sont plus uniquement des maladies infectieuses. On a des maladies non transmissibles. De cette même manière aussi, il y a une urbanisation qui a son corollaire, la criminalité qui va augmenter… Aussi notre système doit s’adapter avec une police scientifique performante, outillée. Les autres acteurs devront suivre. Et c’est dans ce sens qu’il faut avoir une unité médico-judiciaire dans laquelle y aura un médecin légiste, mais audelà, des psychologues et toutes les autres entités qui peuvent être sollicitées dans la prise en charge d’une personne victime de violence ». Le Dr Amadou Sow, en tant que médecin légiste, trouve qu’au-delà même de cette nécessité de renforcement de capacités, il faut aujourd’hui aller vers la réorganisation du système.
Création d’unités médico-judiciaires
« On doit aller vers ce qu’on appelle des unités médico-judiciaires. Au moins chaque capitale régionale, pour ne pas dire chaque hôpital régional, devrait avoir une unité de référence en matière de prise en charge des victimes d’agressions, des questions médicolégales ou des questions pour lesquelles la justice aura à intervenir ». Mais, est ce que ces unités médico-judiciaires n’entraveraient pas la bonne marche de la justice dans ces affaires de viols ou autres agressions ? Au contraire, dit-il, ce sont des structures sur lesquelles la justice pourra s’appuyer pour pourvoir aboutir à une manifestation de la vérité. Et l’intérêt général résidera dans le fait que ce sont des personnes formées à prendre en charge ce type de patients qui seront dans ces unités. Aussi, là où l’on devrait peut-être trouver un gynécologue ici, un psychiatre dans un autre hôpital, ou un médecin dans un autre service, avec les unités médico-judiciaires, l’avantage se trouvera dans le fait que ces spécialistes vont intervenir en même temps dans les mêmes locaux. « Par exemple une fois que la victime est là, présente, si elle a besoin d’un psychologue, celui-ci intervient. Pareil pour un légiste… Il y aura cette coordination.
Aussi, il y a un point qui me parait plus important. Il y a plusieurs types de certificats, il y a des certificats à visée judiciaire qui n’ont pas les mêmes implications qu’un certificat qu’on délivre pour la caisse de sécurité sociale par exemple. Ensuite, il faut souligner que, le plus souvent, ce ne sont pas tous les médecins qui sont formés dans cette démarche ». D’où l’intérêt de ces unités médico-judiciaires. Avec ces centres, « ce sera comme dans le cadre des actes notariés, ou certifiés par un huissier de justice, on aura affaire à des documents que la justice va prendre en compte les yeux fermés. Parce qu’on considère que c’était bien fait parce qu’il y a en amont quelqu’un à qui on a délégué une certaine responsabilité sur laquelle on peut se baser pour rendre un jugement. Si on arrive à avoir ces unités agrées par la justice et qu’on veille à avoir de bons éléments là-bas, un certificat qui sera délivré dans ces unités à priori, jusqu’à la preuve du contraire, ne fera pas l’objet d’une contre-expertise parce qu’on sait que si on la réalise on aboutira à la même conclusion », explique le médecin légiste Dr Amadou Sow.
Selon lui, ces unités médico-judiciaires dédiées aux victimes de viols ou d’agressions, au lieu d’entraver son fonctionnement, vont plutôt faciliter le travail de la justice. « Parce qu’il faut savoir qu’il y a beaucoup de certificats. Et beaucoup de juges n’accordent aucun crédit à ces certificats délivrés parce que, justement, ils les considèrent comme des certificats de complaisance ou bien il y a des manquements qui font que les juges ne peuvent pas les utiliser. Le fait de disposer des unités que je préconise permettra, quand on a un problème pour lequel on devra partir d’un document délivré par un médecin, de disposer de bons certificats médicaux ». Il attire ainsi l’attention sur le fait que, bien qu’il y ait le « mot judiciaire » dans l’appellation de ces unités, il n’y a pas un besoin de présence d’un élément de la justice en leur sein. On n’y retrouvera que le personnel qu’on aurait dû retrouver d’une manière éparpillée dans différents services ou structures médicales de prise en charge des personnes victimes de violences. Mais en le faisant, est-ce que les personnels de ces unités-là ne verront pas leur liberté ou les règles de leurs métier entravées ? Réponse du Dr Amadou Sow : « Non ! Le médecin qu’il soit dans un hôpital privé, public ou militaire, les règles de la médecine ne changent pas, les principes ne changent pas.
Et s’il délivre un certificat, quel que soit son statut ou la structure à laquelle il appartient, cet avis-là ne lie pas le juge. Ce dernier peut le prendre comme il peut le récuser. Ce n’est pas uniquement le juge qui a cette prérogative-là, mais aussi les parties au procès qui peuvent dire par exemple que ‘moi je ne suis pas d’accord sur telle expertise’. A ce moment-là, on aboutira à ce qu’on appelle une contre-expertise ». En des termes plus simples, ces unités, de l’avis de Dr Sow, ne feront qu’apporter une plus-value par rapport à ce qui existait déjà.
Maïmouna FAYE FALL | Publication 10/03/2021 dans Le Témoin
Source: seneplus.com