Le contexte est aujourd’hui caractérisé par une saturation des CTE se traduisant par une rupture des ressources, mais surtout un burn-out des prestataires de soins et, pour les patients, une mortalité préoccupante
Depuis le 23 février 2021 correspondant à quasiment un an de persistance de la Covid-19 au Sénégal, les services de santé du pays ont lancé une campagne de vaccination contre cette épidémie à Coronavirus. Une épidémie-pandémie qui a connu plusieurs vitesses autant dans ses aspects de prévention, de détection que ceux de thérapeutique. D’une manière générale, la prise en charge institutionnelle de la Covid-19 ou le management de cette crise a été relativement difficile, voire précarisée. De maladie « grave » au départ, avec en toile de fond, la stigmatisation, la peur et la crainte, la Covid-19 est en passe de devenir une banalité dans l’imaginaire populaire. Ces mêmes mutations ou transformations s’observent également dans la gestion des cas (confirmés, contacts ou suspects) qui mobilisaient alors beaucoup de ressources depuis l’alerte, l’accueil en hospitalier ou en extra hospitalier (réceptifs hôteliers) en passant par le transport particulier et jusqu’à l’aspersion ntra-domiciliaire a posteriori. Aujourd’hui, moins d’efforts semblent être déployés pour la prise en charge des patients Covid-19. D’ailleurs, pour beaucoup, cette prise en charge n’est plus comme avant, en termes de confort et de commodité.
Au point de vue thérapeutique, le débat sur l’utilisation de telle molécule ou de tel protocole de traitement de patients n’est presque plus à l’ordre du jour. Place est plutôt faite à la vaccination et aux vaccins avec leurs corollaires à l’instar des variants, des cibles prioritaires, des manifestations indésirables, de l’immunité acquise…
La question de la vaccination survient dans un contexte particulier de 2e et 3e vagues ou poussée épidémique. Ce contexte est aujourd’hui caractérisé par une augmentation fulgurante des cas incidents, une saturation des CTE se traduisant par une rupture d’intrants et/ou de ressources, mais surtout un burn-out du côté des prestataires de soins et, pour les patients Covid, une mortalité de plus en plus préoccupante. Bien que certains lient cette mortalité élevée à la dangerosité du variant Delta, d’autres l’associent à divers déterminants structurels, conjoncturels et culturels d’autant plus que l’adhésion à la stratégie vaccinale par les populations est toujours perfectible. Si tant est que la nature, le type et le nombre de variants qui circulent dans notre pays ne sont toujours pas clairement élucidés, chercheurs, praticiens et autres spécialistes de ces questions, ne devraient-ils pas davantage s’orienter vers ces pistes pour aider à avoir une cartographie claire des variants au Sénégal ? N’est-il pas tout aussi pertinent de s’interroger sur l’apport des variants moins sévères sur le probable taux d’immunité acquise sans injection ? Tout cela ajusterait la stratégie de vaccination ou du moins, à coup sûr, certains de ses aspects.
Cette stratégie vaccinale pourtant était restreinte à une cible prioritaire comprenant les personnels de santé de première ligne, les personnes vivant avec des comorbidités et celles âgées de plus de 60 ans pour un total estimé par les services du MSAS à 3,5 millions de personnes à vacciner.
D’emblée, le Sénégal n’avait pas, à cette date-là (février 2021), les moyens de sa stratégie, car le pays n’avait réceptionné que 200 000 doses du vaccin chinois pour démarrer « en urgence » sa campagne de vaccination en attendant les vaccins de l’initiative Covax (324 000 doses d’AstraZeneca) qui sont loin de combler le gap restant. Au même moment, les autorités du pays annonçaient la finalisation de pourparlers pour disposer du Sputnik V, le vaccin russe et l’arrivée de 6,7 millions de doses d’autres fabricants. Entre temps, la cible a été élargie aux autres groupes de la population et les promesses d’acquisition tardant à être réalisées, si ce n’est quelques doses de Johnson & Johnson.
D’ailleurs, bon nombre de citoyens convaincus des bienfaits du vaccin ont reçu une première dose et sont en attente de leur 2e dose d’AstraZeneca. Le nombre de vaccins administrés à ce jour (16 août 2021) est de 1 109 720 personnes avec une seule dose pour certains. L’idéal aurait été de passer une commande satisfaisante et de préparer suffisamment les populations à l’administration de vaccins anti-Covid.
La première année de Covid au Sénégal, nous a-t-elle réellement appris l’importance et la nécessité de commencer par une communication simple, juste et accessible à l’endroit des populations pour espérer les convaincre, les persuader et gagner leur confiance avant toute stratégie de mise à l’échelle ? La communication à valence positive et attractive par exemple, ne devrait-elle pas être portée par des réseaux d’universitaires et/ou par un comité scientifique indépendant et travaillant étroitement avec des relais issus des différentes franges de la société ? Nous estimons que ces organes relativement crédibles, en disposant de données factuelles sur les produits vaccinaux et d’éléments de langage, peuvent jouer le rôle d’éclaireurs pour rompre ou amoindrir les contestations nées de représentations négatives liées à la vaccination. De tout temps, la riposte contre une épidémie, pour être couronnée de succès, se fait par et avec une implication, un engagement et une responsabilisation de la communauté d’amont en aval du processus.
Les méthodes d’Information-Éducation-Communication (IEC) ou d’Éducation Pour la Santé (EPS) ou encore de Communication pour un Changement de Comportement (CCC) d’alors doivent surtout être associées à une Communication sur les Risques et l’Engagement Communautaire (CREC) dans un contexte de doute et d’hésitation vaccinale comme celui que nous vivons actuellement. La désinformation, l’intoxication et les théories « complotistes » pouvant freiner ou annihiler les efforts consentis nécessitent d’être mieux contrôlées pour stimuler l’intention vaccinale et susciter une vaccination de masse. Une mobilisation de tous les segments de la population dans une approche intégratrice et inclusive ainsi qu’une volonté politique réelle rendant disponibles et accessibles les vaccins avec la continuité des autres mesures barrières, constitueraient les leviers essentiels pour optimiser la prévention afin de circonscrire et de limiter la propagation ou, du moins, réduire la mortalité liée à la Covid-19.
La dimension de dépistage et de prise en charge démocratisée et décentralisée déjà amorcée devrait être poursuivie et élargie en permettant par exemple à tous les acteurs tels que les officines et les cabinets de soins dentaires de participer à l’effort de dépistage avec des TDR gratuits et des registres pour la traçabilité des données. Aussi, sera-t-il utile de renforcer les établissements d’accueil et de traitement des patients en intrants, d’en ouvrir de nouveaux et de les laisser à demeure même après cette troisième vague, car la Covid reste toujours énigmatique et n’en a pas encore fini avec ses surprises.
Épidémiologiste et agrégé en santé publique, Massamba Diouf est enseignant chercheur au Service de santé publique à l’Institut d’Odontologie et de stomatologie de la Faculté de Médecine, de Pharmacie et d’Odontostomatologie de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Chercheur à l’International Research Laboratory (IRL) « Environnement, Santé et Société » 3189 du CNRS, le Dr Diouf travaille sur la morbidité et les déterminants de la santé. Sur la Covid-19, il a participé à beaucoup de travaux de recherche à l’échelle nationale comme internationale, à des ateliers et à des webinaires entre autres.
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