Manque de moyens financiers, soumission au respect des standards établis…, les écueils sont nombreux pour les médecins chercheurs sénégalais désireux de figurer en bonne place dans les revues et journaux scientifiques internationales de renom.
La contribution du continent africain à la recherche médicale reste très marginale. Le Sénégal qui abrite l’une des universités les plus réputées d’Afrique francophone n’échappe à cette situation. Très peu de d’enseignants-chercheurs sénégalais parviennent à se faire publier dans des revues de référence. La preuve, le site américain, Expertscape qui propose une classification des acteurs de la recherche médicale recense 2023 articles publiés par des chercheurs sénégalais durant la décennie 2011-2021. Ce qui représente une faible moisson quand on fait la comparaison avec le Ghana (6665 articles) ou encore le Nigeria (14.463 articles).
Un des problèmes majeurs auquel nos chercheurs sont confrontés est le défi du respect d’un certain nombre de standards internationaux exigés dans le fond comme dans la forme par les grandes revues et journaux scientifiques internationaux.
Sur ce point, le Dr Doudou Jacques Sarr, nous raconte une mauvaise expérience récente. Une étude qu’il a présentée à la revue américaine, Onco- immunology journal a été rejetée. Motif ? « Principalement à cause du fait que notre plateau technique au Sénégal n’est pas suffisamment performant pour qu’on puisse produire des données qui répondent aux exigences de ce journal », explique-t-il.
Le Dr. Niang , en ce qui le concerne, relève l’absence de la bio-statistique dans les équipes de recherche en Afrique et au Sénégal en particulier. « Dans notre équipe, nous sommes composés d’immunologistes fondamentaux, nous n’avons pas de compétence approfondie dans le domaine de la biostatistique. Nous sommes obligés de faire ce travail nous-mêmes. En Occident, les équipes de recherche ont toujours un biostatisticien qui gère le design de l’étude. », précise-t-il.
En écho au problème soulevé par son collègue, Dr Cheikh Sokhna, chercheur à l’Institut de recherche pour le développement (IRD) est d’avis qu’il y a « de la recherche difficile à publier parce que ne répondant pas aux standards internationaux mais si ces difficultés sont levées, le chercheur qui a des bons résultats peut publier au niveau international ». Au-delà des standards de qualité exigés par les journaux scientifiques internationaux, la recherche médicale est aussi soumise aux exigences de validité scientifique et à une éthique, consacrées par la déclaration d’Helsinki de Juin 1964.
Auteur d’une thèse de doctorat intitulé : « L’information scientifique et technique au Sénégal : représentations sociales et pratiques info-communicationnelles », Dr Abdou Beukeu souligne une absence de « ressources numériques adéquates qui fait que nos chercheurs ont avant tout un problème pour accéder à l’information scientifique ».
Le principe du publieur-payeur, un obstacle de plus
Pour les auteurs d’études validées scientifiquement, la possibilité d’accéder à certaines revues existe grâce au principe du publieur-payeur. Autrement dit, le chercheur paie pour se faire publier. Pour le cas du Sénégal, n’est-ce pas un écueil de plus au regard des faibles moyens financiers dont disposent les chercheurs ?
Selon le Dr Cheikh Sokhna, il y a une difficulté majeure en la matière. «Le paiement de la publication qui peut être très chère pour les bonnes revues scientifiques et connaissant les ressources maigres des Universités ou structures de recherche africaines, c’est compliqué de payer ».
D’après Scidev.net, site spécialisé en information scientifique (basé à Londres), les frais de publication peuvent atteindre 11 000 $ (6,3 millions FCFA) alors que les salaires de chercheurs dans le monde en développement varient entre 350 $ (200.000 FCFA) et 3 000 $ (1,7 million FCFA) environ.
Dr. Doudou Jacques Niang, pour sa part, relève la possibilité de réduction qu’offrent certaines grandes publications aux chercheurs du Sud. A l’en croire, les taux de réduction peuvent avoir un taux plancher de 25%.
Certains observateurs estiment par contre que ce système de publieur-payeur peut desservir les chercheurs du Sud. « Pour de nombreux chercheurs du monde en développement qui ne peuvent pas compter sur une subvention ou une institution pour régler les frais, le système de libre accès peut servir à les maintenir à l’écart des revues scientifiques de premier rang », lit-on dans un article de scidev. Ce même article souligne aussi que le coût initial quand on soumet un article à la célèbre revue Nature pour évaluation éditoriale dans le cadre du modèle de libre accès est de 2 690 $ soit (1,5 millions CFA). Notons au passage que Nature, c’est le journal de référence qui a publié en 2016, les travaux du professeur Daouda Ndiaye sur le test de dépistage du paludisme appelé « Illumigene Malaria ». Un autre journal scientifique prestigieux, The Lancet, exige le paiement de frais de traitement des articles pouvant atteindre 5 000 $ (2,9 millions CFA), d’après la même source. Face à tant d’obstacles quel avenir pour les médecins sénégalais et africains en général ?
Les solutions locales inopérantes des États
La faiblesse de la production des chercheurs africains souvent relevée par les observateurs posent avant tout le problème de la modicité des moyens financiers. Le continent est crédité de moins de 2% de la recherche scientifique mondiale alors qu’il abrite actuellement près de 20% de la population mondiale.
« Normalement, chaque pays doit financer la recherche à hauteur de 2% au moins de son PIB et les pays africains sont loin du compte », relève Dr Cheikh Sokhna. «Pour contourner le faible soutien financier de la recherche, les chercheurs essaient de trouver l’argent dans d’autres appels à projets internationaux ou appels d’offres, ou participer à des unités de recherche ou équipes mixtes internationales pour bénéficier de ces fonds internationaux », précise-t-il.
Au-delà des obstacles structurels liés au financement public et de l’accès difficile à la publication internationale, il existe aussi une question soulevée par les experts. C’est la différence de culture en matière de recherche qui oppose les sphères anglophone et francophone du continent africain.
Comme le souligne Dr Doudou Jacques Niang, si dans les pays dépendant du Conseil africain et malgache pour l’enseignement supérieur (Cames), les enseignants-chercheurs sont évalués sur une base quantitative, en Afrique du Sud et au Ghana par exemple, ce sont des critères de performance qui prévalent.
« La plupart de nos chercheurs sont motivés par leur grade au niveau du Cames, et à partir d’un certain niveau, ils ne sentent plus la nécessité de continuer la recherche », regrette le Dr. Abdou Beukeu Sow.
En guise de solutions, Dr. Sow, estime que l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (Ucad) devrait tout d’abord faire l’état des lieux de la production, du potentiel scientifique et procéder à une mutualisation en la mettant dans une base de données accessibles aux chercheurs.
Une initiative qui devra ensuite donner lieu à une revalorisation des revues locales. « Aujourd’hui, Dakar Médical n’est plus indexé par Scopus (base de données qui recense la recherche scientifique à travers le monde) , tout simplement parce que cette revue qui a longtemps valu une grande visibilité à l’UCAD ne respecte plus les critères d’indexation », déplore Dr Sow.
Par Momar NIANG