La marche des populations de Kolda pour exprimer leur ras le bol, jeudi dernier, a mis à nu une douloureuse réalité : les structures médicales du Sénégal souffrent d’un déficit criant de spécialistes dans presque tous les domaines. Gynécologues, pédiatres, cancérologues, réanimateurs, la liste est longue comme le bras. L’Obs a fait le tour dans quelques régions du pays. Le diagnostic fait froid dans le dos.
KOLDA : Pas de réanimateur, un laboratoire à l’agonie
Ici, le mal est profond. Désespoir en bandoulière, le cœur gros, Zackaria Diallo, délégué de l’hôpital régional de Kolda, soutient : «Une dame du nom de Fanta Konté, en état de grosse avancée, souffrait d’une pathologie et avait besoin d’être assistée par un gynéco et un réanimateur. Mais vu que le nouveau gynéco affecté à Kolda n’a pas encore pris fonction et que l’hôpital n’a pas de réanimateur, la dame a été évacuée à bord d’un véhicule ‘’7 places’’. C’est à l’hôpital de Sédhiou qu’elle a accouché de jumeaux, avant de retourner à Kolda. Elle perdra malheureusement la vie à l’hôpital régional de Kolda, faute de réanimateur.» «Quand un patient arrive à l’hôpital, ajoute-t-il, il est obligé de payer lui-même le carburant pour aller faire le scanner (en panne) à Ziguinchor. En cas de complications, le malade perd la vie. A Médina Yéro Foula et Vélingara, c’est la catastrophe. Les populations souffrent et meurent, faute de soins.» Celles qui en pâtissent le plus, ce sont les femmes de la région, restées neuf (09) mois sans gynécologue. «Les femmes continuent de souffrir, car le gynécologue affecté n’a toujours pas pris fonction. Ce dernier seul ne peut gérer tout ce monde. Actuellement, l’hôpital n’a pas de réanimateur et n’a qu’un seul pédiatre, qui passe toutes ses journées au travail. L’hôpital n’a ni fibroscopie ni myotomie, encore moins de cystotomie. De même, le laboratoire ne fonctionne pas correctement faute d’intrants. L’hôpital Magatte Lô de Linguère n’est que la partie visible de l’iceberg. A Kolda, des bébés meurent couramment dans le service néonatologie de l’hôpital à cause des coupures intempestives d’électricité. Quand il y a coupure, le groupe électrogène n’est pas automatique», geint le représentant du Sutsas And-Geusseum.
LOUGA : «Faute de spécialistes, les patients peuvent rester des mois sans soins»
A Louga, le déficit en infrastructures hospitalières est patent. A cela s’ajoute le déficit criant de certaines spécialités auquel est confronté l’hôpital régional. Aly Nébédé est le Secrétaire général de l’Union régionale du Syndicat unique des travailleurs de santé et de l’action sociale (Sutsas). Il confie : «La région de Louga ne compte qu’un seul pédiatre qui n’est pas encore recruté, alors qu’il a une expérience de plus de 20 ans. Il en est de même pour l’urologie, l’Orl, la cardiologie, la dermatologie, la psychiatrie et l’anesthésie. Les patients ayant besoin de ces services peuvent rester des mois sans se faire consulter. D’ailleurs, le bloc opératoire du centre de santé de Dahra Djoloff a été fermé, faute de technicien supérieur anesthésiste. Celui de Darou Mousty n’est pas encore ouvert, pour ces mêmes raisons. De ce fait, tous les patients, surtout les femmes enceintes, ruent à l’hôpital régional pour y subir des césariennes. Le comble : aucun parmi les centres hospitaliers de la région n’a un neurologue. Les patients sont obligés de faire le voyage à Saint-Louis pour se faire consulter par ce spécialiste». Il a été confirmé par ce père de famille, rencontré hier au siège du conseil départemental de Louga. Cet homme d’une cinquantaine d’années effectue, tous les mois, un voyage sur Thiès où son fils, atteint d’épilepsie, suit un traitement. «Je souffre le martyr dès que je me déplace avec mon fils malade. Un jour, il a piqué une crise dans le véhicule, donc si vraiment notre hôpital était en mesure de faire des analyses électro-encéphalographiques, cela nous épargnerait ces ennuis-là.»
KAFFRINE : Neurochirurgie et cancérologie, le bémol
A Kaffrine, le problème de la santé constitue un véritable casse-tête. Les patients qui ne peuvent être pris en charge sur place, n’ayant pas les spécialités dont ils ont besoin dans les structures sanitaires de la région se déplacent vers d’autres localités pour se faire soigner. Ceci, malgré les efforts consentis par l’Etat qui a doté la région d’un nouvel hôpital de niveau 2. Rokhaya Bâ et Ablaye Gueye, pour avoir perdu un proche, ont eu leur lot de peines et de douleur, du fait de ce déficit de spécialistes. Tous deux ont souffert le martyr pour soigner leurs patients. Si la sœur de Rokhaya a finalement rendu l’âme, suite à son cancer, Ablaye, lui, vit aujourd’hui dans la précarité, ruiné par les soins coûteux de son fils, né sans anus. Mais aujourd’hui, cet épisode est un mauvais souvenir pour les populations de Kaffrine. Même s’il reste encore des chantiers. «On ne peut pas avancer que toutes les spécialités existent à Kaffrine, mais on peut dire que l’essentiel y est désormais présentes, à l’exception de la neurochirurgie et de la cancérologie», indique Babacar Sène, le directeur général de la toute nouvelle structure sanitaire de niveau 2 du Ndoucoumane. «Ce sont des spécialités très pointues qui n’existent que dans deux ou trois hôpitaux de Dakar», rassure Babacar Sène qui fait savoir, par ailleurs, que récemment, le ministère de la Santé et de l’action sociale a mis à la disposition de son hôpital 30 agents supplémentaires. «Pour vous dire que nous sommes en train d’apporter une réponse aux menaces de santé publique. Mais également aux risques et autres dangers qui peuvent guetter les patients. Avec notamment la présence de la traumatologie et de l’orthopédiste», souligne Babacar Sène. Par ailleurs, Babacar Sène déclare que l’urologie, l’Orl et la réanimation restent, cependant, des postes à pourvoir pour un bon de la structure sanitaire..
TAMBACOUNDA : «Chaque fois qu’un spécialiste rejoint Tamba, soit il est réaffecté, soit il démissionne»
Malgré les efforts consentis par Me Sidiki Kaba qui a offert un groupe électrogène, une ambulance médicalisée et un important lot de matériels, la situation du centre hospitalier régional de Tambacounda est alarmante. Après la démission du gynécologue de son poste pour gérer sa propre carrière et le départ des deux cardiologues, la région souffre de l’absence d’un cardiologue, d’un kinésithérapeute et d’un ophtalmologue. Le seul gynécologue actuellement en place limite ses consultations à 15 malades par jour. «Nous avons un sérieux problème avec le personnel spécialisé. Chaque fois qu’un spécialiste vient à Tambacounda, soit il est réaffecté, soit il démissionne à cause des difficiles conditions de travail. On n’a pas de spécialistes résidents. Présentement, l’hôpital n’a que des stagiaires de certification qui font face à un sérieux problème de logement. Le pôle mère-enfant tarde à démarrer, faute de personnel», déplore Badara Dieng, représentant du personnel au Conseil d’administration, qui révèle que la structure sanitaire reçoit en moyenne plus de 9 000 patients par an.
KAOLACK : Zéro cancérologue
Les populations de Kaolack souffrent le martyr pour accéder aux soins. Même si la région compte beaucoup de spécialistes, leur accès reste un casse-tête. Pour une population estimée à plus d’un million 400 000 âmes, la région de Kaolack ne compte qu’un seul hôpital de niveau 2 qui reçoit tous les malades des 3 départements, en plus des malades des régions de Fatick et Kaffrine. La structure ne compte qu’un ophtalmologue, 1 réanimateur et un ORL d’où le calvaire des malades qui doivent voir ces spécialistes. Alité, M. Mbaye court depuis plusieurs mois, derrière un rendez-vous chez l’Orl. Le seul pour toute la région. Une aberration pour ce malade. «C’est la croix et la bannière pour une prise en charge médicale à Kaolack.» En plus de ce déficit criant, la région médicale de Kaolack ne dispose pas de cancérologue. Les patients atteints de cette pathologie doivent se rendre jusqu’à Dakar pour pouvoir bénéficier de soins. Un traitement onéreux que beaucoup peinent à poursuivre. «Les malades du cancer souffrent énormément et rien n’est fait pour les soulager. Une région comme Kaolack sans cancérologue, qui l’aurait cru», peste F. Diaw, une patiente atteinte du cancer du sein.
DIOURBEL : Un déficit de 102 médecins
La région de Diourbel a un déficit de 102 médecins dans toutes les catégories confondues. L’information est contenue dans la revue annuelle conjointe de 2019. Dans le document, il est stipulé que la région de Diourbel dispose de 3 hôpitaux; dont 2 à Touba et 1 à Diourbel, 8 centres de santé, dont 5 à Touba et 1 à Bambey, Diourbel et Mbacké, 100 postes de santé, dont 30 à Bambey, 25 à Diourbel, 24 à Mbacké et 21 à Touba, 108 cases de santé, dont 42 à Bambey, 27 à Diourbel, 27 à Mbacké et 12 à Touba. Quant aux médecins généralistes, la région en compte 69, dont 54 dans le public et 15 dans le privé. 58 spécialistes sont dénombrés, dont 52 dans le public et 6 dans le privé. Ces spécialistes sont répartis comme suit : 14 gynécologues, 8 pédiatres, 4 chirurgiens, 6 pharmaciens dans les établissements publics de santé, contre 60 dans le privé, 9 dentistes dans le public et 11 dans le privé, alors que le besoin est de 152 dentistes, 9 techniciens supérieurs en ophtalmologie dans le public et 2 dans le privé, 240 sages-femmes dans le public et 31 dans le privé. Cependant, depuis le lundi 26 avril dernier, le logiciel de gestion des ressources humaines est en cours de mise à jour quant aux arrivées et aux départs du personnel.
OUSMANE DIA, DIRECTEUR DES ETABLISSEMENTS PUBLICS DE SANTE : «Le Sénégal n’a pas les moyens de couvrir toutes les localités en personnels et spécialités»
Le diagnostic fait état d’un système sanitaire malade, sur toute l’étendue du territoire national. Qu’est-ce qui explique ce mal profond de nos hôpitaux ?
On est conscients des difficultés. Mais il y a eu un engagement fort des autorités par la mise à niveau des structures hospitalières. D’abord, il y a une revalorisation de leur budget de fonctionnement et d’exploitation. Ensuite, il y a un retour du budget consolidé d’investissement. Depuis 2005, les hôpitaux n’avaient plus les ressources nécessaires pour procéder à des investissements. En 2009, la dette hospitalière tournait autour de 27 milliards de FCFA. Aujourd’hui, toute la dette a été épurée. Mais malheureusement, elle s’est reconstituée à cause du Covid-19. Les hôpitaux ont perdu près de 14 milliards FCFA de recettes directes, en un an. Il faut savoir qu’en moins de 10 ans, l’État a investi près de 140 milliards FCFA dans les établissements publics de santé en subvention de fonction, et près de 70 milliards FCFA en subventions d’investissements.
Au vu de ses investissements, qu’est-ce qui explique le déficit criant de personnel médical ?
Suivant le ratio de l’Oms, Il faut un médecin pour 10 000 habitants, une infirmière pour 7 000 habitants. Le Sénégal n’est pas loin de ces normes-là. Le reproche qu’on peut nous faire aujourd’hui, c’est l’organisation du régime 308, c’est-à-dire qu’un personnel médical n’a pas le droit de travailler un délai de 8 heures par jour. Durant cette période de Covid-19, le ministre a sorti près de 150 contrats pour recruter des spécialistes en réanimation et dans tel ou tel domaine, avec un niveau de salaire qui avoisine 1 million 300 mille francs Cfa. On est allés même jusqu’à recruter des Dess (Diplôme d’études supérieures spécialisées) qui ne sont pas sortis et sont en 4e et 3e années d’études. Parce qu’on a un déficit chronique en ressources humaines de qualité, surtout en matière de spécialité au Sénégal. Il faut s’organiser avec le personnel disponible. On essaye de mailler le système pour éviter de concentrer les ressources humaines dans certaines zones et éviter qu’il y ait désert total dans certaines zones. Le Sénégal n’a pas les moyens de couvrir toutes les localités en personnels et spécialités.
Que compte faire l’Etat pour soigner ce grand malade qu’est l’hôpital sénégalais ?
Le Sénégal n’a pas les moyens d’avoir le plateau technique idéal dans toutes ses contrées. Même si c’était le cas, ça n’aurait pas été approprié, car il y a une pyramide sanitaire qui définit le niveau pour chaque établissement, dont le niveau 1, 2 et 3. Elle organise l’offre de soins et la référence. Depuis un an et demi, on a mis près de 16 milliards FCFA en équipements dans tous les hôpitaux. On a aussi renforcé les ressources humaines. Mais l’hôpital est autonome, peut recruter et acheter des équipements sous forme d’emprunts, bail et crédits…
Diagnostic : «Il y a un déficit de personnel à tous les niveaux, notamment infirmiers, médecins, spécialistes. Il y a des gaps extrêmement importants, tant au niveau des médecins généralistes ou spécialistes que des infirmiers et des sages-femmes… Si on convoque la réforme hospitalière, le statut du personnel des Eps (établissements publics de santé) devrait être de mise. L’hôpital étant un hôtel médicalisé, trois équipes doivent se relever par jour, dans une perspective de disponibilité de soins de qualité 24h/24. Jusqu’à présent, on n’arrive pas à appliquer cela au Sénégal. En dehors de l’Hôpital principal, les autres hôpitaux ne fonctionnent pas comme ça. Il y a également un problème d’équipements pour des plateaux médicaux. Avec la démographie, les besoins sont énormes. Et avec la technologie qui avance à grands pas, un appareil acheté aujourd’hui, est remplacé dans 2, voire trois ans. L’allocation subventionnelle ne couvre pas les charges. Sur un budget de près de 200 milliards FCfa, les hôpitaux qui constituent la vitrine du système ne se partagent que 11 milliards pour 36 hôpitaux et 40 hôpitaux d’ici la fin de l’année.»
Solutions : «Il urge de recruter de manière permanente pour combler le gap. La Commission nationale d’affectation, de redéploiement et de mutation doit recommencer le travail. Cela permettra de connaître les zones pléthoriques et compensera celles qui sont déficitaires. Il faudra octroyer le maximum de bourses de formation. Depuis 2012, il n’y a aucune filière permettant la formation des techniciens supérieurs pour évoluer vers les Masters. Il n’y a pas de médecins spécialistes, ce sont des techniciens supérieurs qui officient et qui remplacent. Dans un pays où il y a très peu de médecins, on a une pléthore de gestionnaires et un déficit de médecins. Le ministère de la Santé a conçu le guide de mobilité, mais si on n’a pas d’emprise sur les ressources humaines par rapport au recrutement, on ne peut pas planifier. Le ministère de la Santé reçoit ses ressources humaines de la part du ministère de la Fonction publique. Or, celui-ci ne recrute pas régulièrement pour le ministère de la Santé. C’est pourquoi, il se rabat sur les Contrats à durée déterminée (Cdd), ce qui ne règle pas le problème.»
DR CHEIKH TACKO DIOP, DIRECTEUR DU CNHU DE FANN : «Une infection, c’est normal que cela arrive dans les hôpitaux»
L’information a été donnée par le Directeur de l’hôpital lui-même et relayée dans la presse. «Dans un communiqué, le Centre hospitalier national universitaire de Fann informe de la fermeture temporaire des blocs opératoires de chirurgie thoracique et cardio-vasculaire», lit-on dans les médias. Selon la note envoyée à la presse, cette décision serait liée à des «infections», sans plus de précisions. Interpellé sur cette fermeture provisoire de ces services, le directeur de l’hôpital, Docteur Cheikh Tacko Diop, précise : «Une infection, c’est normal que cela arrive dans les hôpitaux. Si un malade vient avec une infection, on constate qu’il a une infection. On le gère dans le service. On le traite dans le cadre de l’infection. Le bloc, on le ferme un ou deux jours, on le désinfecte et on reprend. C’est pour cela qu’hier et aujourd’hui on n’a pas opéré.» Selon lui, des dispositions idoines sont mises en œuvre pour une reprise rapide des activités. Il précise cependant que les urgences continuent à être assurées. «On fait les urgences. Cela ne pose pas problème. Il faut juste désinfecter et nettoyer», a-t-il laissé entendre.
Ibrahima KANDE, Abdou MBODJ, Mariama GUEYE, Pape Ousseynou DIALLO, Marie Bernadette SENE, Saër SY, Aïda Coumba DIOP
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