La gestion des déchets médicaux est, depuis maintenant des décennies, un problème de santé publique mondial. Au Sénégal, entre problèmes logistiques, manque de sensibilisation et vides juridiques, le bout de tunnel n’est pas encore à portée de vue.
Arrière-cour de l’hôpital Fann de Dakar. A une cinquantaine de mètres des installations sanitaires, trône le dispositif imposant. Un incinérateur de déchets gris trône au milieu de la broussaille environnante. L’hôpital disposait déjà trois incinérateurs. Toutefois, le nouvel engin acquis il y quelques mois, à la suite d’une collaboration avec l’ambassade du Japon au Sénégal présente un avantage de taille : il ne dégage pas de la fumée comme les précédents dont disposait Fann. « C’est un système de cyclones qui par effets de l’air, l’eau et le feu élimine la fumée pour essentiellement dégager de la vapeur d’eau », explique Léopold Mendy, chef de service d’hygiène et de sécurité de l’hôpital.
A Fann, la gestion des déchets se fait suivant un rituel précis. Léopold Mendy détaille : « Chaque matin, le personnel de soin réalise le tri des déchets. Une poubelle noire accueille les déchets ordinaires et une autre, jaune, les déchets biomédicaux. Ces derniers sont principalement constitués de seringues, bistouris, gants, pansements et les déchets anatomiques humains pouvant être des tissus, organes ou membres humains ». Les déchets sanitaires sont regroupés en deux grandes catégories. D’une part, les Déchets Assimilés aux Ordures Ménagères (DAOM) et d’autre part, les Déchets d’Activités de Soins à Risques Infectieux (DASRI). Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), les déchets dangereux – qui sont composés de matières infectieuses, toxiques ou radioactives – représentent environ 15 % des déchets médicaux.
Aux abords de 124, 2m3 de déchets quotidiens
Selon une enquête réalisée par le ministère de la Santé sur la production de déchets dans les formations sanitaires publiques, environ 124, 2m3 par jour de ces déchets sont produits par jour au Sénégal. A cela, « il faudrait ajouter la quantité annuelle de seringues usagées, générés lors des programmes élargis de vaccination et dont l’estimation est mal maîtrisée », notifie le document.
Face au problème, la stratégie du ministère de la Santé est de renforcer les stratégies d’intervention des projets REDISSE et ISMEA. Pour ce faire, l’idée du ministère est de « renforcer le cadre juridique, institutionnel et organisationnel de gestion des déchets biomédicaux, doter les formations sanitaires d’équipements et matériels de gestion des déchets biomédicaux, poursuivre la formation du personnel de santé et la sensibilisation et assurer le contrôle et le suivi de la mise en œuvre du Plan de gestion des déchets biomédicaux ».
Entre dangers cliniques et vide juridiques
Selon le pneumologue Souleymane Dia, les déchets biomédicaux constituent un réservoir de micro-organismes potentiellement dangereux pour la santé humaine. Ces déchets « génèrent des résidus qui, s’ils ne sont pas gérés, peuvent entraîner la dispersion de la radioactivité dans l’environnement, multipliant ainsi les cas de maladies respiratoires, cancers, leucémies et malformations », prévient-il. Pour sa part, le géographe-environnementaliste Abdou Sané estime que « les environnementalistes doivent en connaissance de cause sensibiliser tous les acteurs en vue de promouvoir la convention de Bâle sur les risques liés à une mauvaise gestion des déchets dangereux et biomédicaux ». Il appelle, par la même occasion, à un « renforcement de la loi et du règlement tel que préconisé par le code de l’environnement du Sénégal ».
A ce propos, un vide juridique reste à combler. Il n’existe pas dans la législation sénégalaise une définition des déchets biomédicaux. L’article 34 du code de l’hygiène publique fait vaguement allusion aux « déchets anatomiques » ou « contagieux », des « déchets pharmaceutiques ou toxiques ». Selon le spécialiste en droit de la santé Dior Ndiaye Fall, « cette absence de définition est une source potentielle de dérapage, car elle ne permet pas de tracer les contours de cette notion et d’identifier de façon exhaustive les différentes structures de production ».
Un processus d’ensemble à améliorer
Outre les problèmes sus évoqués, il faut entre autres reconnaître que « l’organisation de la gestion de ces déchets, les équipements de collecte et systèmes d’élimination, le suivi-évaluation, les ressources financières alloués à la gestion des activités d’assainissement et le manque de partenariat entre le secteur public et les privés actifs dans la gestion des déchets » sont largement susceptibles d’amélioration, pointe un ouvrage intitulé « Déchets biomédicaux en Afrique de l’Ouest » et publié par l’Institut Africain de Gestion Urbaine (IAGU). De son côté, l’hôpital Fann « a signé des conventions avec des structures sanitaires dakaroises qui ne disposent pas d’incinérateurs pour les aider moyennant quelques deniers », indique M. Mendy. D’ailleurs, l’hôpital CTO récemment rebaptisé « Hôpital Idrissa Pouye » utilise pour sa part, un banaliseur : une machine qui désinfecte les DASRI et les broie afin de les acheminer par la suite vers la filière des ordures ménagères. Hors de Dakar, en juillet 2020, la mairie de Ziguinchor a mis en place une unité de traitement de déchets dangereux et biomédicaux au niveau de l’Hôpital régional de Ziguinchor qui polarise l’ensemble des 45 structures sanitaires de la commune.
In fine, au Sénégal comme dans beaucoup d’autres pays africains, la gestion des déchets biomédicaux reste un défi à relever. Combler le vide juridique en la matière, pourrait être un pas important pour le Sénégal.
Enquête réalisée par Kensio AKPO