Les infections nosocomiales sont les infections contractées à l’hôpital et qui apparaissent chez le patient 48 heures après son admission dans un établissement de santé. Aujourd’hui, la mobilisation, la formation de tout le personnel soignant, l’implication et le soutien des directions et des personnes ressources sont essentiels dans la lutte contre les infections nosocomiales, selon le coordonnateur du Comité de Lutte contre les Infections nosocomiales (Clin) à l’hôpital Ndamatou de Touba, qui rappelle que les règles d’hygiène et d’asepsie doivent toujours être respectées au cours des soins. A la tête de ce comité depuis plus de 12 ans, à partir de 2008, Dr Elhadj Ndiaye Diop rassure et annonce une baisse des cas de ces types d’infections du fait du renforcement des mesures d’hygiène et la mise à niveau de nos hôpitaux et du personnel soignant durant la pandémie de Covid-19. Un « CLIN »… d’œil sur ces infections avec ce chirurgien-urologue.
Faites-nous l’état des lieux de la lutte contre les d’infections nosocomiales, et surtout revenir sur le programme et les comités de lutte, les stratégies de prévention et de contrôle de ces infections en milieu de soins.
Les infections nosocomiales sont fréquentes. Les études montrent des taux de prévalence allant de 4% à plus de 10% dans les pays à faibles revenus. Ces infections sont des causes de décès. Au delà des statistiques, nous pouvons tous mettre des noms ou des visages sur ces décès. Quelques exemples : opéré pour fracture, il décède suite à une pneumonie contractée à la réanimation ; suite à une césarienne, elle décède d’une septicémie ; suite à un sondage urétral sur terrain diabétique, il décède de septicémie… La liste est longue. Cela montre que la lutte contre les infections nosocomiales est une priorité mondiale et notre pays n’est pas en reste. Les infections nosocomiales présentent un problème de sécurité pour le patient.
L’organisation mondiale de la santé (Oms) en a fait un défi mondial. À tout instant, plus de 1,4 millions de personnes dans le monde souffrent d’infections nosocomiales à l’hôpital. Une infection nosocomiale augmente le coût de la prise en charge et allonge la durée d’hospitalisation. Aux États-Unis, c’est 80.000 décès par an, 5.000 en Angleterre et 4.000 en France. Au Sénégal, un programme national de lutte contre les infections nosocomiales (Pronalin) a vu le jour depuis 2008 avec pour mission la mise en place de comités de lutte contre les infections nosocomiales (Clin) au niveau des structures hospitalières et des districts sanitaires. Ces comités sont chargés de mettre en œuvre les mesures de prévention et de prise en charge des infections nosocomiales. Ils s’occupent de la promotion de l’hygiène des mains, des accidents exposant au sang, du bio-nettoyage, de la gestion des déchets, de la résistance aux antibiotiques, des infections associées aux soins, de la gestion des événements indésirables, de la sécurité du patient… Il est bon de rappeler que près de 80 % des infections nosocomiales passent par les mains (par manu-portage). Le reste de la transmission se faisant par l’air, l’eau, les aliments, etc. C’est pourquoi, le 5 mai a été décrétée, « journée mondiale de l’hygiène des mains ». Depuis trois ans, le Pronalin a été remplacée par une direction de l’hygiène, de la sécurité et de la qualité pour une meilleure harmonisation des programmes. La Direction de la Qualité, de la Sécurité et de l’Hygiène Hospitalières (Dqshh) est dirigée par notre amie Dr Ndella Konaté. Elle encadre, supervise et oriente les activités des Clin au niveau des structures sanitaires. Des rapports semestriels d’activités sont envoyés et des missions de supervision viennent visiter les structures.
Les infections nosocomiales sont-elles bien maîtrisées en milieu hospitalier notamment dans les services à risque ?
Il est difficile de parler de maîtrise des infections nosocomiales en milieu hospitalier. Mais plutôt de prise en compte de ces infections. Il y a des services sensibles comme la réanimation, la néonatalogie, la médecine, la chirurgie qui nécessitent une attention particulière. En plus des mesures d’hygiène standard (hygiène des mains, port de gants, port de masques), il faut aussi des mesures complémentaires (comme la surblouse, l’isolement, etc). Mais tout cela a un coût. Il faut un personnel qualifié bien formé, du matériel adéquat et des locaux adaptés. Des efforts sont faits, mais il revient aux comités de lutte de maintenir un bon niveau de qualité des soins et de faire un plaidoyer pour améliorer l’existant. Il est d’ailleurs demandé à ces comités de faire régulièrement des enquêtes sur l’incidence de ces infections au niveau de leur structure. C’est un bon baromètre pour le suivi évaluation. Notre dernière enquête qui date de quatre ans, nous avait montré un taux de 4% d’infections nosocomiales à l’hôpital Ndamatou de Touba. Nous envisageons une nouvelle enquête au mois de juin.
C’est pour bientôt ; êtes-vous optimiste quant à une réduction de ces infections au Sénégal, particulièrement à Touba ?
Bien sûr. Parce que la pandémie a augmenté les mesures d’hygiène générales. Par rapport à l’équipement et à la formation également, il y a eu une mise à niveau d’une manière générale. Les gens sont devenus plus alertes. Les gens se lavent les mains, ils font la distanciation physique… Il y a eu beaucoup de maladies. J’ai entendu le Pr Didier Raoult dire que sur sept infections par virus rencontrées annuellement dans la même période les 3 à 4 sont disparues. Il faut dire que l’hygiène a fait disparaitre beaucoup de ces virus.
A l’hôpital Ndamatou, peut-on s’attendre à une réduction de ce taux jusqu’à 2% ?
Un taux de 2% ! Ça, c’est le « high level ». C’est les structures de haut niveau. C’est des trucs que l’on ne peut pas éviter. C’est lié au service. Parce que, en réanimation par exemple, on ne peut pas les éviter, on ne peut que les limiter. Pour une opération chirurgicale, la personne va subir beaucoup d’agression par voie veineuse, urinaire… C’est tout un manœuvre avec des matériels. Mais s’ils sont bien aseptisés, et que l’intervention se passe dans un endroit propre avec toute la rigueur, là, le risque est moindre. Mais il faut dire que plus le nombre de personne augmente, plus la qualité du service pose problème. Une personne peut être très professionnel, mais une autre peut l’être moins.
Quand on multiplie les interventions, on multiplie les risques. Si la voie veineuse se fait correctement avec une personne très professionnelle, le patient peut se passer d’une infection. Mais une autre personne peut ne pas le faire dans les mêmes conditions. L’entretien de ces deux voies veineuses ne se sera fera pas de la même façon. Quand on te met une sonde, c’est un facteur de risque. Surtout s’il s’agit d’un malade qui se trouve dans le coma, Il faut l’aspirer avec des tuyaux qui peuvent favoriser des germes. C’est pourquoi quand on explique que la réanimation est un service à risque, ça se comprend. Mais si c’est un service ou tout ça ne se fait pas, tu as plus de chance de ne pas être exposé à une infection. Mais dans une salle de soins qui reçoit plusieurs types de patients, là, le risque est grand aussi.
Pour le cas des malades avec les interventions à mains multiples, on comprend mais pour certains malades venus en consultation et les accompagnateurs, comment éviter ces infections ?
A l’hôpital, on utilise l’expression « Toucher avec ses yeux ». On demande aux usagers d’éviter de poser les mains sur les murs et de s’autocontrôler dans certains endroits. Il faut toujours garder ses mains loin des objets. Les yeux servent de repères.
A l’hôpital, il est fréquent de voir des accompagnateurs venir avec un enfant différent de la personne malade. Pourtant c’est déconseillé…
L’hôpital, c’est un milieu de soin, mais de germes aussi. L’hôpital ce n’est pas un hôtel. Il y a des maladies infectieuses, et que l’enfant ne peut pas gérer ses mains. Alors que l’adulte peut s’autocontrôler. C’est pourquoi on leur interdit l’accès quand ils ne sont pas venus en consultation.
Pourquoi la néonatologie, la réanimation, la chirurgie, entre autres, sont qualifiés de services à risque ? Quels sont les types de patients les plus exposés à ces infections ?
Parce que ces services sont des lieux où les activités à risques sont les plus importantes. Parmi ces facteurs favorisants une infection nosocomiale, nous pouvons citer les poses de cathéter veineux, les sondages urinaires, les intubations, les aspirations broncho-pulmonaires. Quand toutes ces activités sont menées sur une seule personne, par plusieurs personnes, dans un petit espace, vous comprenez qu’il y aura de réels problèmes pour respecter les règles d’hygiène et d’asepsie. C’est ce qui explique la situation de la réanimation, de la néonatalogie, de la médecine, de la chirurgie. Les patients exposés sont ceux qui sont immunodéprimés, les personnes âgées et les personnes ayant des pathologies chroniques.
Pour minimiser les dégâts, ne devrait-on pas mettre en place des activités de sensibilisation et de formation du personnel de santé et des usagers ?
La formation et la sensibilisation vont au-delà du personnel. Les comités de lutte ont pour mission de travailler avec l’association des usagers et des patients. L’hygiène de base concerne la propreté de l’environnement, la propreté corporelle, la propreté des habits… Cette hygiène de base concerne toute la population. La promotion de l’hygiène des mains est indispensable à tous les niveaux. Des mains propres sont des mains plus sûres.
Ne pensez-vous pas qu’on devrait aussi être plus sérieux dans les activités de collecte de données, de surveillance, de stratégie de lutte dans chaque structure de santé par les comités dans le but d’améliorer la qualité dans les établissements de santé ?
La direction de la qualité, de la sécurité et de l’hygiène hospitalière fait une évaluation annuelle des activités avec un classement des structures sanitaires. Notre structure se classe régulièrement dans le peloton de tête derrière les hôpitaux comme Principal et Pikine. Mais, il s’agit d’amélioration continue et il faut toujours maintenir un niveau de satisfaction optimale. Il appartient à chaque Clin de respecter la feuille de route, de renforcer la formation du personnel et le contrôle des infections.
En Israël et en France, des études ont montré des flambées d’infections nosocomiales par le Sars Cov-2 avec des contaminations survenues dans un même service avec un fort taux de décès. D’ailleurs, des cas similaires de contamination ont été notés en 2020 et en plein pandémie de Covid-19 dans des hôpitaux de Dakar et des autres régions, notamment dans les centres de traitement des épidémies (Cte). Faut-il donc s’inquiéter pour le Sénégal où la Covid-19 a fini de mettre à nu notre système de santé déjà très fragile ?
Au Sénégal, nous sommes en avance par rapport aux risques d’infections nosocomiales par Sars cov-2. Notre personnel médical est vacciné. Ce qui réduit les risques de contamination de patients. Ce n’était pas le cas en France dans un passé récent avec quelques centaines de morts liés à la Covid-19 et contractés à l’hôpital. Certains ont même réclamé une vaccination obligatoire pour le personnel médical. Notre hôpital a réussi à vacciner 100% de son personnel bien que cette vaccination ne soit pas obligatoire. C’est un signe d’une adhésion et d’un engagement éclairé.
Et si on parlait de nosocomiales en chiffres ?
Les pays du nord font régulièrement des publications sur le nombre de cas et le nombre de décès. À la place des chiffres, je dirais : mettons des visages sur les cas pour mieux comprendre ces infections. Une plaie opératoire qui suppure et ses conséquences, une septicémie post césarienne avec décès maternel, une amputation de main d’un nouveau-né à la suite de gangrène post cathéter veineux etc. La réduction des infections nosocomiales doit être un combat pour la population, les décideurs politiques, les directions, le personnel médical, les usagers.
Propos recueillis par Maïmounatou (Infomed Magazine)
Félicitations et encouragements pour l’excellent travail accompli à Ndamatou. Bonne continuation. B. DIOP