L’avènement de la pandémie de Covid-19 a exacerbé le phénomène de burn-out (syndrome d’épuisement professionnel) en milieu hospitalier. Médecin du travail avec des années de pratique, le Dr Moustapha Sakho fait le point sur la question avec InfoMed. Le Dr Sakho est chef du service de la médecine du travail de l’hôpital Aristide Le Dantec de Dakar ENTRETIEN.
Dr Sakho, c’est quoi le burn-out ?
En réalité, il n’y a pas une définition consensuelle sur le burn-out ou l’épuisement professionnel puisque c’est un ensemble de signes. La diversité des définitions et des descriptions du phénomène font que nous avons des points communs pour le décrire. S’il y a des manifestations physiques, de la fatigue généralisée, des maux de dos associés à des manifestations émotionnelles et affectives, c’est-à-dire un sentiment de vide ou d’impuissance ou bien une association de manifestations cognitives (lorsque l’individu à une difficulté à se concentrer), comportementales (quelqu’un qui se replie ou s’isole et devient agressif). C’est donc cet ensemble-là qui forme ce qu’on appelle le syndrome d’épuisement professionnel.
Quelles sont les principales causes du burn-out ?
Elles sont d’origines psychologiques. Le plus souvent, en milieu du travail, lorsque l’individu est sous-estimé, c’est-à-dire s’il se dit «je travaille beaucoup alors qu’on n’a pas été reconnaissant envers moi », ou bien « je n’arrive pas à satisfaire l’exigence physique ou psychologique qu’on me demande », ce sont là des facteurs qui peuvent conduire au burn-out.
Si vous travaillez et que vous n’avez pas d’autonomie aussi et que vous n’avez pas de soutien, ou bien s’il y a une insécurité par rapport à l’emploi, par exemple quelqu’un qui se dit que «mon emploi est précaire et que tôt ou tard on va me renvoyer »…, tous ces facteurs contribuent à déclencher le burn-out.
En tant que médecin du travail, avez-vous déjà pris en charge des agents de santé ayant souffert de cette maladie ?
Oui ! On en voit. Pas plus tard que ce matin (Ndlr : lundi 18 octobre) j’ai reçu une infirmière et l’ensemble des signes qu’elle présentait me font dire que c’est un burn-out. Mais ce sont les exigences du métier. Le burn-out est très fréquent en milieu hospitalier. D’ailleurs, le syndrome est plus décrit dans ce milieu où les gens côtoient la mort, la souffrance des autres personnes. Alors les effectifs n’étant pas suffisants, la plupart du temps, c’est difficile d’échapper à cela. Les conditions ne sont pas des meilleures. Il y a beaucoup de stress. En réalité, c’est pour cela que certains disent que le burn-out est un état de stress chronique.
Vous avez indiqué que le phénomène est fréquent en milieu hospitalier. Est-ce qu’on peut dire qu’il s’est accentué pendant cette crise de COVID-19 chez les personnels de santé?
(Rires). On ne saurait donner de chiffre à propos. Mais de ce que l’on sait, c’est qu’il y avait une pression énorme. Ce qui est sûr, c’est que beaucoup d’agents de santé ont fait leur burn-out pendant la COVID-19.
Quelles sont les mesures qui ont été prises pour accompagner les agents?
A Aristide Le Dantec, nous avons anticipé parce qu’il y avait une psychologue conseillère qui agissait surtout au Centre de traitement épidémiologique (CTE) et une assistante sociale. Nous avons aussi fait des travaux de psychothérapie, c’est-à-dire des travaux de groupe. Nous n’avons pas attendu que les gens tombent malade pour agir. Moi-même, je recevais des agents pour discuter. Le niveau d’exigence était très élevé. A cela, s’ajoute la peur, les risques de contamination, etc. C’est cette prévention qui nous a permis de nous en sortir. Mais on sentait nettement que parmi cet effectif, il y en a qui avaient besoin de suivi.
Comment se fait la prise en charge en cas syndrome d’épuisement professionnel ?
La plupart du temps, c’est une psychothérapie de soutien. On accompagne le malade. En tant que spécialiste en santé du travail, on a des bases solides en psychologie. Et si cela nous dépasse, nous appelons un psychologue pour consulter les agents victimes de burn-out. La plupart du temps, ils ont besoin d’être écoutés et d’être accompagnés. Ils ont besoin d’être compris.
Quelles sont les conséquences du burn-out chez les agents de santé et les patients à qui ils prodiguent des soins ?
Lorsqu’on n’est plus concentré, lorsqu’on est démotivé, lorsqu’on n’a plus l’amour du travail, lorsqu’on est désintéressé, c’est sûr qu’on ne fait plus notre travail correctement. Cela peut se traduire par des absences. Le malade n’est pas bien pris en charge. Le burn-out n’est pas un phénomène rare dans le milieu hospitalier. Bien au contraire, au Sénégal, les hospitaliers côtoient cette maladie comme le démontre la thèse du Dr Cynthia, en service à l’hôpital d’enfant Albert Royer.
Enquête réalisée par Alioune DIATTA (Art2)