Poussés à la porte de l’exil par des conditions de travail minables, des pays comme le Gabon, la Mauritanie, la Côte-d’Ivoire, le Djibouti les accueillent à bras ouverts. Le nombre de départs augmente de plus en plus, laissant derrière eux famille, femme ou enfants : ce n’est pas par choix, mais plutôt par pure nécessité.
Tel le berger derrière son troupeau à la recherche de pâturage et de cours d’eau, des diplômés sont autant mobiles. Diplômes dans les bagages, cerveaux bien fournis, ils font le tour des pays de la sous-région souvent pour répondre à une offre d’emploi qu’ils ne peuvent trouver chez soi. Envie inassouvie, rêve brisé, c’est l’illusion quotidien des jeunes pharmaciens qui ne peuvent hélas servir leur pays qui les a pourtant formés.
Originaire de Thiès, Dr Akim, fait partie de ceux-là, il explique : « Au Sénégal, nous n’existons pas, c’est comme si nous mourions à petit feu. Non seulement les salaires sont dérisoires, mais on ne les domicilie pas à la banque. A la fin du mois on te remet une enveloppe, trois jours après c’est fini. On a plus de ressources. La réalité est que personne ne désire quitter son pays, car rien ne peut remplacer une vie de famille. Pour rien au monde je ne serais parti ailleurs si j’avais trouvé dans mon pays, les moyens nécessaires pour ma subsistance ».
Ce jeune docteur en pharmacie a laissé ses parents et sa femme pour aller chercher un avenir meilleur. Ce quotidien, il le partage avec beaucoup d’autres jeunes, qui comme lui ont préféré aller à la recherche d’autres horizons plus prometteurs. Partir à la découverte d’un monde meilleur, partir pour fuir la misère à laquelle ils sont exposés, partir pour un ailleurs meilleur.
Au Gabon, Dr Fallou Fall y exerce lui aussi son métier de pharmacien : « En ce qui me concerne, ce choix est venu naturellement et n’a été motivé que par la recherche d’une meilleure situation financière et l’espoir d’un meilleur avenir. En effet, quoi de plus naturel que quelqu’un qui a investi près de 20 ans de sa vie à étudier dur pour s’assurer une condition socioéconomique minimale et qui se retrouve avec une condition socioéconomique plus que misérable, choisit de s’envoler pour près de 10 fois mieux ailleurs pour le même statut ». Bref, les facteurs qui poussent les jeunes pharmaciens à partir sont multiples et variés. Pour Dr Keita : « Lorsqu’on nous appelle Dr, que des espoirs s’animent, mais qu’une misère tenace est toujours présente, partir devient un ultime recours. C’est ce que bon nombre d’entre nous a fait ».
Même cas avec Dr Amadou Ly : « Tout ce que nous voulons c’est exercer dignement notre métier de pharmacien en rendant les médicaments accessibles aux populations. Mais malheureusement, les autorités auxquelles on a confié ce secteur nous montrent que cela est impossible. Face à cette situation, nous sommes obligés de nous exiler dans la sous-région à savoir la Mauritanie, le Gabon ou encore le Djibouti afin de gagner dignement notre vie, même si quelque part ça nous fait un peu mal ».
Contrats inexistants
Cet exil forcé est aussi caractérisé par l’expression d’un profond malaise et d’un mal-être du travailleur sénégalais confronté à l’absence d’un contrat de travail qui vous permet de savoir que vous êtes professionnellement « indispensable ». Un goulot d’étranglement pour ces jeunes pharmaciens. En effet, comme bon nombre de structures, le contrat n’est jamais servi sur un plateau d’argent.
« On ne signe pas de contrat. Quand nous sommes malades, nous n’avons pas de prise en charge. Nous souhaiterions vraiment que le président de la République et le ministre de la Santé nous viennent en aide. Que la liste pour de nouvelles pharmacies soit publiée. Notre pays a beaucoup fait pour nous permettre de bien faire nos études de l’école publique à l’université. Nous ne souhaiterions que travailler pour notre pays, mais c’est regrettable qu’on en arrive à ce stade », martèle Dr Fadel Keita.
Selon Dr Akim 90% de pharmaciens n’ont pas de salaire domicilié à la banque.
« Pour s’inscrire à l’ordre des pharmaciens il te faut un contrat ce qui n’est pas évident. Il faut laisser les sortants s’inscrire sans conditions », soutient-il.
A l’en croire, certains signent des contrats à l’amiable. Ce qui est loin d’être professionnel. D’où la nécessité, nous dit-il, d’enseigner aux pharmaciens la gestion des ressources humaines. « On apprend qu’à gérer des médicaments alors que plus tard le pharmacien est appelé à devenir un chef d’entreprise. Si le salaire était au moins domicilié à la banque, ça pouvait nous aider dans nos projets », estime Dr Akim. En effet, la masse salariale du pharmacien au Sénégal est très basse. Dans les autres pays, certains d’entre eux ont vu leur salaire passer du simple au triple voire au quintuple.
Biologiste de formation, Dr Djibril Yade confirme : « Nous sommes mal payés, nous n’avons pas la possibilité d’avoir un contrat. Les salaires sont trop faibles. Même en étant célibataire on ne parvient pas à vivre dignement. On essaie de survivre alors que nos familles attendent qu’on les assiste. Alors que nous ne pouvons même pas subvenir à nos besoins. Nous dépendons d’aînés qui ne nous prennent même pas au sérieux. Ils réfléchissent en chiffre d’affaires. Ils pensent que quand il y a trop d’officines leurs chiffres d’affaires, ça va baisser. Nous les jeunes nous sommes carrément exclus. Il y a aussi des critères d’ancienneté. Il y a un lobbying qui viole les droits des jeunes pharmaciens. Les pharmacies sortent au compte-goutte ».
Les dernières décisions étatiques datent de 2018
Ces jeunes diplômés déplorent la situation statique dans la parution de la liste de création d’officine. Depuis fin 2017, la direction de la pharmacie n’a pas sorti de liste, jusqu’en 2021, toujours rien. Bientôt 2022 et les jeunes n’ont toujours pas espoir. L’espoir et les privilèges sont réservés aux anciens. Ne dit-on pas que l’espoir c’est la jeunesse ! Les lenteurs dans les procédures et la publication de la liste de création d’officine ont fini par démoraliser ces jeunes.
« La Direction de la pharmacie et du médicament ne joue pas son rôle. Même si on dépose notre dossier, on ne le prend pas en compte. Dans une commune, s’ils devaient en ouvrir cinq officines, ils vont en faire seulement deux », déplore Dr Ndéné Diop.
Ces propos sont corroborés par Dr Amadou Ly, qui regrette que « Depuis 2018, il n’y a pas eu un arrêté portant sur la création d’officines de pharmacie qui pourrait permettre aux pharmaciens de soumettre leurs dossiers pour l’ouverture de pharmacie afin de rendre les médicaments accessibles. Il est inadmissible aujourd’hui de voir des citoyens sénégalais parcourir des km pour se procurer du paracétamol ou de l’ibuprofène au moment où on voit des centaines de pharmaciens qui chôment. Ceci n’est dû qu’à une mauvaise volonté politique du ministère de la Santé et de la Dpm ».
Dr Ly, de soutenir : « Le statut du pharmacien assistant qui n’est pas pris en compte par l’ordre des pharmaciens et le syndicat aggrave davantage la situation. La majorité des pharmaciens titulaires continue à exploiter les jeunes pharmaciens en les faisant travailler sans contrat avec un salaire qui doit être revu ».
« Tout être humain souhaiterait rester dans son pays pour voir sa famille, exercer sa profession sans aucun problème. C’est un idéal pour toute personne. Malheureusement, après l’obtention du doctorat, il nous était difficile de travailler afin de gagner notre vie dignement. Après la thèse, dès qu’on devient Dr, tout le monde pense que tu es peinard, que tu gagnes beaucoup alors qu’on ne vit que de « soutoura ». Je sortais de chez moi à 8h pour revenir à la maison à 23 h 45. Je ne pouvais pas travailler dans une seule pharmacie parce que je ne pouvais pas couvrir mes dépenses. J’étais obligé de travailler dans une officine de 8h à 15h 30mn. Je me dépêchais pour arriver dans l’autre officine où je travaillais l’après-midi entre 16h et 23h. Je le faisais tous les jours », explique Dr Fadel Keita.
Ils invoquent aussi le fait que leurs titulaires les considèrent juste comme des vendeurs et non comme des pharmaciens. Tout cela a créé des frustrations qui poussent les jeunes pharmaciens à aller ailleurs.
« Les jeunes pharmaciens se sentent plus respectés, plus à l’aise dans les autres pays car là-bas les textes et règlements sont suivis à la lettre. C’est vraiment désolant que les jeunes pharmaciens sentent le besoin de quitter leur propre pays à la recherche de lendemains meilleurs dans d’autres horizons », affirme Dr Ndéné Diop .
« A la fin du mois, on vous met vos quelques billets dans une enveloppe. Nous ressemblons plus à des boutiquiers bana-bana », déplore Dr Akim Kane.
Ces jeunes nourrissent l’espoir qu’un jour leur propre pays leur offrira un avenir meilleur chez eux. Afin qu’ils puissent rentrer au bercail. « Oui, personnellement j’aimerais bien y retourner et ce, le plus vite possible; toutefois, le retour au pays ne saurait être motivé que par une garantie d’une situation socioéconomique acceptable », dit Dr Fallou.
D’après lui, l’État devrait faciliter l’ouverture des sites d’installation d’officine de pharmacie en application au décret 2007 qui prône le retour à l’orthodoxie dans le respect des conditions de distances et de populations. Permettre le recrutement de plus de pharmaciens à la fonction publique, d’appliquer le code du travail dans l’exercice de la pharmacie.
D’appliquer le code de déontologie et le respect du nombre d’assistants (avec un traitement correct) en fonction du CA.
« Sans oublier une reconsidération du métier de pharmacien avec l’éradication du phénomène des médicaments de la rue, le retrait des spécialités médicales dans les rayons des pharmacies hospitalières. L’État est plus informé que tout le monde de ce qui se passe. Donc, il sait ce qu’il a à faire si la volonté est là. On n’aime que notre cher pays mais il nous a formés et abandonnés », disent-ils.
Retour Prodige ?
« Si nous devions rentrer dans notre pays, les choses devraient changer. Nous n’allons pas rentrer pour retourner dans les mêmes conditions de travail. Que la Direction de la pharmacie mette en place des zones viables pour que les jeunes puissent eux aussi créer leur propre officine. Ici il y a plus d’avantages. Au Sénégal, le salaire n’a ni traçabilité, ni garantie bancaire. Que les propriétaires de pharmacie arrêtent de faire un business de bana-bana », insiste Dr Kane.
Même son de cloche chez Dr El Hadji Ndéné Diop, qui assure : « Des efforts doivent être faits. Il ne suffit pas de former des pharmaciens pour les laisser partir par la suite. Il faut les garder, en étant plus attractif et en améliorant la gestion du capital humain. Le salaire ne correspond pas au diplôme obtenu. Il y a un manque de respect notoire. Plusieurs facteurs ont motivé notre départ. En 4ème année, on nous fait faire plusieurs filières, notamment en biologie, officine, pharmacie, industrie. Mais ils reviennent tous en officine parce qu’on n’arrive pas à exercer les autres filières adéquatement au Sénégal par manque de laboratoire…. »
La tendance des départs pourrait s’intensifier car de nouveaux pharmaciens ont déjà eus des propositions dans ces pays. Et cela pourrait avoir des conséquences sur l’économie pharmaceutique.
SENEWEB