Adama Faye est ingénieur en biologie et inventeur d’un appareil biomédical qui mesure la vitesse de la sédimentation sanguine. Etant donné que dans les structures de santé la réalisation de cette analyse de sang se fait de façon manuelle, l’objectif de M. Faye et de rendre plus facile le travail du laborantin et aussi renforcer la fiabilité des résultats par la mise en place d’un appareil automatique. Depuis 2019, il a entamé les travaux avec la réalisation d’un premier prototype de cet appareil biomédical. Avec cette invention, l’ingénieur a remporté le prix africain de l’innovation technologique, puis représenté l’Afrique au salon International des Inventions de Genève où il a obtenu la médaille d’Argent. Très récemment, il a lancé un deuxième prototype de cet appareil biomédical qui lui a valu la médaille d’or au salon international d’Abidjan en Côte d’Ivoire. Retraité de l’hôpital Aristide Le Dantec et actuellement étudiant en master2 de Recherche en Hématologie Biologique à la Faculté de Médecine de l’UCAD, il compte encore mettre en place un troisième qui va «explorer la vitesse de la sédimentation sanguine ».
Interview avec Adama Faye.
Vos travaux portent sur la vitesse des sédimentations, parlez-nous en.
La sédimentation sanguine c’est une analyse de laboratoire comme beaucoup d’analyses à savoir la numération, la glycémie, d’azotémie… Elle consiste alors à mesurer la sédimentation du sang qui, dans les conditions normales, a une certaine valeur. Mais lorsqu’il y a un problème, cette sédimentation est accélérée. Ceci est dû au comportement des globules rouges. En temps normal, les globules rouges ont des charges positives tout autour de leurs membranes, ce que l’on appelle le potentiel Zêta qui les maintient en équilibre dans un prélèvement de sang avec un anticoagulant. Cet équilibre fait que lorsque l’on prélève du sang dans un flacon avec un anticoagulant, il va sédimenter c’est-à-dire les globules rouges et blancs vont descendre lentement. Mais quand il y a une inflammation qui est une réaction normale de défense de l’organisme qui peut avoir pour causes (une infection par une bactérie ou un virus, un traumatisme une cause immunologique, tumorale…) l’organisme va envoyer dans le sang des protéines dites de l’inflammation qui sont sécrétées par le foie. Et lorsque ces protéines comme la CRP, le Fibrinogène, le SAA, l’Orosomucoide etc. arrivent dans le sang, ils perturbent ce potentiel Zêta, ainsi l’équilibre des globules rouges est perturbé, ce qui les fait descendre rapidement.
Qu’est-ce que vos travaux ont apporté de nouveau en ce qui concerne l’étude de la vitesse de sédimentation sanguine ?
C’est un paramètre qui se fait depuis très longtemps avec la méthode manuelle de Half Westergreen : en prenant les flacons de sang, les retourner pour homogénéiser, le mettre dans des pipettes graduées et le laisser sédimenter et lire les résultats à l’œil nu sur les graduations. Maintenant, l’appareil biomédical que j’ai inventé fait tout cela automatiquement. Avec moins des risques et plus de précision dans les résultats. Parce qu’il fallait ouvrir les flacons après les prélèvements, faire de l’homogénéisation, faire une aspiration. Du coup, la sécurité du laborantin n’était pas autant assurée. Avec l’appareil que j’ai inventé, le prélèvement est automatique, l’homogénéisation est automatique, la lecture est automatique : on la faisait à l’œil nu, en regardant les graduations. Maintenant c’est les micros capteurs à détection infrarouge qui vont le faire. Donc il y a la précision et la qualité. Il existe ailleurs des appareils automatiques mais la plupart fonctionnent avec deux machines : l’une mélange, l’autre fait la lecture. Ce qui fait la particularité de mon invention, c’est que j’ai réuni toutes ces deux fonctions dans une seule machine que l’on appelle un monobloc, ainsi, lecture n’est plus séquentielle mais une seule lecture d’ensemble de tous les échantillons à la fois.
Votre travail va certainement révolutionner le travail du laborantin dans l’étude de la sédimentation sanguine
Oui, effectivement ! Parce qu’au-delà de ce que je viens de citer, cet appareil va favoriser également l’économie du consommable. Avec l’ancienne méthode, on achète beaucoup de tubes et de pipettes. Avec cet appareil, on en consomme peu. La fiabilité des résultats est également améliorée sans oublier la rapidité et la simplicité parce qu’avant la vitesse de la sédimentation sanguine se faisait après une heure ou deux heures, alors qu’avec cet appareil, en trente minutes les résultats sont disponibles. Il y a également d’autres commodités dans l’appareil à savoir le fait qu’il peut être commandé à distance par WIFI depuis son bureau : on peut démarrer et arrêter l’appareil qui se trouve dans le laboratoire à des dizaines de mètres et même entrer dans la base de données pour faire sortir des résultats.
Vous êtes dans ce projet depuis 2019, y a-t-il eu des avancées notoires entre temps ?
Effectivement, avec l’aide de partenaires financiers tels que la Fondation Sonatel, j’ai fait un deuxième prototype. L’’Etat, par l’ASPIT, m’a envoyé au Salon international de l’OAPI au Congo Brazzaville, à l’exposition Universelle de Dubaï et au Salon International de Cote d’Ivoire. Avec ce deuxième prototype, j’ai sollicité les services de Momar Sourang qui m’a aidé sur le plan électronique. Actuellement pour le troisième prototype, je suis allé vers un autre partenaire pour une meilleure amélioration mais aussi pour une innovation de plus, ce qui va me permettre de rentrer dans la phase « Exploration de la Sédimentation sanguine » en rapport avec mes activités de Recherche à la Faculté de Médecine de l’UCAD.
Quand est ce que cet appareil pourrait être mis à la disposition des structures de santé ?
J’ai bon espoir qu’en 2023 il pourra être mis à la disposition des structures de santé. Et quand l’appareil sera mis au point, on pourrait installer une usine de fabrication de ce produit qui sera vendu dans les hôpitaux où le besoin existe, au Sénégal comme ailleurs.
Sentez-vous un certain engouement des autorités sanitaires par rapport à ce que vous faites ?
L’ASPIT m’accompagne dans ce que j’ai fait depuis le début en 2019. J’ai même eu les félicitations du ministre de l’industrie quand je suis revenu de la côte d’Ivoire, le Ministère du Commerce par l’ASEPEX m’a envoyé à Dubaï comme Start-up au pavillon Sénégal. A présent j’attends la réaction au plus haut niveau de l’Etat pour la valorisation de l’invention.
Il y a aussi l’université de Dakar qui m’a félicité, de même que la Fondation de l’université qui est prête à m’accompagner dans la recherche. Maintenant ce qui reste c’est le financement de ce prototype de troisième génération et la valorisation de l’Appareil et j’attends que le gouvernement, les partenaires financiers. Je signale que deuxième prototype a été financé par la fondation SONATEL tandis que le premier je l’ai fait avec mes propres moyens.
Ibrahima Minthe (Infomed Magazine)