Un peu de sémantique pour commencer, car tout débute par une histoire de vache. Ou plus précisément, par une maladie de vache, à la fin du XVIIIe siècle. À cette époque, la vaccine, plus connue sous le nom de variole de la vache, maladie infectieuse qui initialement touchait les bovidés et les équidés. Le mot vaccine est donc dérivé du latin vacca, qui signifie vache. Le terme de vaccinologie lui a été proposé par Jonas Salk, le père du vaccin contre la poliomyélite. Ce terme souligne I’interdisciplinarité : dès qu’il s’agit de vaccins, sciences biomédicales et sciences sociales s’impliquent mutuellement. La vaccination est un fait de société, et L’étude des résistances à cette méthode de prévention, qui se sont manifestées très tôt, nous éclaire sur l’acceptabilité des vaccins par les sociétés de notre temps. Au Sénégal, l’histoire vaccinale s’est longtemps confondue avec celle de la médecine coloniale.
Cette dernière a eu notamment très tôt à faire face à la variole où elle fit de nombreux ravages, difficilement chiffrables. Elle est mentionnée officiellement au Sénégal en 1818 pour la première fois. Au début du XXe siècle, le foyer de la variole se déplaça des grands centres urbains (Dakar, Gorée, Saint-Louis, Rufisque) et des escales du chemin de fer pour prendre un caractère épidémique dans l’hinterland. Dès le 1er novembre 1905, débutèrent les premières campagnes de vaccination massives contre la variole. Le vaccin, dont l’efficacité restait douteuse, était régulièrement fourni par l’institut vaccinogène de Saint-Louis qui produisait la quantité de lymphe active nécessaire et assurait la livraison aux autres colonies de la fédération. Dès les années 1940, un plan de vaccination quadriennal fut exécuté dans la colonie.
En 1953, la vaccination étant rendue obligatoire dans la colonie, une bonne partie de la population infantile fut vaccinée. Pourtant, à la veille de l’Indépendance, le problème resta entier, le maintien d’une couverture vaccinale suffisante en quantité et en qualité se trouvant compromis par l’insuffisance de moyens matériels et humains à laquelle s’ajoutait l’épineux problème d’information. Les campagnes d’immunisation se butèrent non seulement à la dispersion de l’habitat dans certaines zones (Ferlo, Fleuve, Sénégal Oriental), mais surtout à la méfiance des populations. La vaccination, mal perçue par les populations, était assimilée à des opérations de recrutement militaire et de levée de main d’œuvre. Les scarifications, interprétées comme des marquages étaient frottées pour faire disparaître les cicatrices, occasionnant l’hostilité des populations durant les premières campagnes d’immunisation qui, d’ailleurs se soldèrent par des échecs. Surtout qu’elles furent suivies de réactions vaccinales (fièvre, éruption).
Le professeur d’archivistique à l’École de bibliothécaires, archivistes et documentalistes (Ebad), Ahmeth Ndiaye indique qu’« une lecture des rapports du service de santé montre que le Sénégal, en dépit de l’existence d’un centre vaccinogène, a fait moins bien au début que d’autres colonies comme la Guinée, le Dahomey ou la Côte d’Ivoire où les populations acceptaient de se faire vacciner sans rechigner ». Autre exemple éloquent, celui du vaccin contre la fièvre jaune mis au point après la grande épidémie de 1927 en Afrique occidentale française (AOF) et dont les premières vaccinations ont commencé au Sénégal à Dakar en 1934.
Les effets secondaires post-vaccination et de troubles gastro-intestinaux ont constitué rapidement un frein au développement des opérations vaccinales. Finalement en 1941, un arrêté ministériel du 10 décembre rendra obligatoire la vaccination antiamarile pour toute la population, européenne et autochtone. Enfin, un cas patent nous éclaire sur la célérité qui peut être exercée en matière de vaccination même sous couvert d’une difficile acceptation par les populations.
Nous sommes en novembre 1965, la brutale apparition d’une épidémie de fièvre jaune à Diourbel, région située au carrefour d’un grand nombre de voies de communication amène les autorités sanitaires à appliquer immédiatement un certain nombre de mesures destinées à arrêter la progression de la maladie dans le foyer épidémique et son extension à d’autres régions du pays. Ce fut tout d‘abord l’immunisation rapide et massive de la population par le biais de la vaccination. Dans un délai de deux mois, de mi-novembre 1965 à mi-janvier 1966, 1 989 500 vaccinations ont été pratiquées. Le plus grand nombre de vaccinations a été effectué dans le foyer épidémique et dans la région du Cap-Vert où plus de 90 % de la population a été vaccinée.
Dossier réalisé par Bastien DAVID (Art 2)