Depuis plus de deux décennies, le Sénégal s’est imposé comme un acteur majeur dans la lutte contre le paludisme, grâce à une synergie entre la recherche scientifique et les politiques de santé publique. Cette avancée est le fruit d’une collaboration entre le Centre International de Génomique Appliquée aux Maladies Infectieuses et à la Santé (Cigass), le Ministère de la Santé et de l’Action Sociale, ainsi que le Programme National de Lutte contre le Paludisme (PNLP). Dans un entretien de nos confrères du soleil, le Pr Daouda Ndiaye, chef du service de parasitologie et pharmacie à la Faculté de Médecine de l’Université Cheikh Anta Diop (UCAD) et président du pôle Cigass, met en exergue le rôle central de la recherche scientifique dans cette lutte et les défis encore à relever.
La contribution déterminante de la recherche dans la lutte contre le paludisme
Le recul significatif du paludisme au Sénégal résulte d’une approche fondée sur des stratégies étayées par des évidences scientifiques. Le Pr Ndiaye rappelle que depuis les années 2000, les chercheurs ont testé, analysé et évalué différentes stratégies avant de les soumettre au PNLP et au ministère de la Santé pour mise en application. Cette méthodologie rigoureuse a permis d’élaborer des politiques thérapeutiques efficaces, incluant la sélection des médicaments les plus appropriés pour le traitement et la prévention du paludisme.
Aujourd’hui, le Sénégal est une référence dans la lutte contre cette maladie. Plusieurs pays viennent s’inspirer de l’approche sénégalaise, qui repose sur une collaboration active entre les chercheurs et les professionnels de la santé. Ce modèle a contribué à la réduction significative du nombre de cas dans plusieurs régions du pays.
Les zones rouges : un défi persistante
Malgré les progrès réalisés, certaines régions du Sénégal, notamment Ziguinchor, Tambacounda, Kédougou et Kolda, restent fortement touchées par le paludisme. Plusieurs facteurs expliquent cette persistance. Tout d’abord, la transmission de la maladie repose sur un équilibre complexe entre le moustique (Anophèle femelle), l’homme infecté et le parasite. Ces trois acteurs évoluent dans un environnement parfois défavorable, où la gestion des conditions environnementales demeure un défi majeur.
En outre, l’accessibilité aux soins dans les zones reculées constitue un obstacle. Les patients, souvent confrontés à des difficultés de transport, arrivent tardivement dans les structures de santé, alors que la maladie a déjà évolué. Le Pr Ndiaye souligne cependant que les données actuelles montrent une régression du paludisme dans ces régions au cours des cinq dernières années, preuve que les interventions commencent à porter leurs fruits.
L’élimination du paludisme d’ici 2030 : un objectif réaliste ?
L’élimination totale du paludisme d’ici 2030 semble difficilement atteignable. Fixée il y a une dizaine d’années, cette échéance se heurte à plusieurs réalités. Une élimination efficace nécessite une couverture totale du territoire et des moyens considérables. Or, tant que des patients restent inaccessibles aux soins et que certaines zones rouges persistent, l’élimination demeure un objectif lointain. Le Pr Ndiaye va même plus loin en s’interrogeant sur la possibilité d’atteindre la pré-élimination d’ici 2030, compte tenu des ressources disponibles.
Dans les pays d’Afrique subsaharienne, les fonds alloués à la lutte contre le paludisme sont insuffisants. Pour atteindre une réduction durable des cas, il est crucial d’intensifier les investissements et de renforcer les interventions sur le terrain.
Une augmentation des cas à Dakar
Le taux de prévalence du paludisme a connu une légère augmentation à Dakar ces dernières années. L’une des principales raisons de cette recrudescence est la pandémie de Covid-19. Les ressources financières et logistiques, initialement destinées à la lutte contre le paludisme, ont été réaffectées à la gestion de la crise sanitaire. Le Pr Ndiaye explique que chaque année sans progrès dans la lutte contre le paludisme entraîne un recul équivalent à trois ans, ce qui a été le cas durant la pandémie.
D’autres facteurs, tels que le changement climatique et les inondations, ont également joué un rôle dans l’augmentation des cas. De plus, les interventions de lutte contre le paludisme ont davantage ciblé les régions rurales que la capitale. Contrairement aux zones reculées, où les populations sont mieux sensibilisées à l’utilisation des moustiquaires imprégnées, à Dakar, leur utilisation est plus rare. L’urbanisation rapide et la mobilité importante des habitants compliquent encore la mise en œuvre des mesures de prévention.
La formation et la recherche : un levier essentiel
Le Cigass a investi massivement dans la formation de spécialistes pour renforcer la lutte contre le paludisme. Le Pr Ndiaye exprime sa satisfaction d’avoir formé quatre professeurs agrégés, dont trois sont aujourd’hui titulaires dans des universités. Ces enseignants-chercheurs, actifs au Sénégal et dans d’autres pays d’Afrique, poursuivent la transmission du savoir et contribuent à l’avancée des connaissances sur le paludisme.
En outre, au moins quinze chercheurs ont bénéficié d’une formation avancée entre le Sénégal et les États-Unis, se spécialisant dans les domaines de pointe de la recherche sur le paludisme. Certains sont aujourd’hui experts au sein de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), à l’image du Dr Alpha Diallo, un jeune chercheur prometteur qui s’est imposé comme une référence en Afrique.
La lutte contre le paludisme au Sénégal repose sur une approche scientifique rigoureuse, qui a permis d’enregistrer des progrès significatifs au cours des vingt dernières années. Cependant, des défis persistent, notamment dans les zones rouges et les grandes agglomérations comme Dakar. L’objectif d’élimination du paludisme d’ici 2030 semble ambitieux, mais des avancées notables restent possibles si les efforts sont maintenus et renforcés. La formation et la recherche continueront à jouer un rôle central dans cette bataille pour la santé publique au Sénégal et en Afrique.
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