Cette production a pour but de proposer des échanges sur la plausibilité de l’apport de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles à la souveraineté pharmaceutique en Afrique. Mais aussi d’inviter les décideurs, chercheurs, universitaires et inventeurs africains à engager un débat commun sur les enjeux et les perspectives de l’apport de notre patrimoine thérapeutique pour relever les défis sanitaires de notre continent.«La pandémie du Covid-19 a mis en évidence la fragilité des infrastructures sanitaires de notre continent et le besoin urgent de renforcer l’ensemble du système de santé, afin de garantir l’accès à des soins de qualité à tous les Africains, quand et où ils en ont besoin, sans contraintes financières.» (Dr Matshidiso Moeti, Directrice régionale de l’Oms pour l’Afrique)
A cet effet, l’appel lancé à l’époque par l’Oms pour solliciter la contribution de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles dans la riposte au coronavirus consacre l’importance de ce potentiel dans la réponse à apporter aux défis sanitaires du continent, notamment ceux relatifs à la souveraineté pharmaceutique.Les assemblées annuelles du Groupe de la Banque africaine de développement, tenues du 22 au 26 mai 2023 à Charm el-Cheikh en Egypte, ont validé la Fondation africaine pour la technologie pharmaceutique, basée au Rwanda, dont les objectifs sont de renforcer les entreprises pharmaceutiques africaines pour qu’elles puissent s’engager dans des projets de production locale, de fournir des médicaments de qualité tout en contribuant à la réduction des coûts.
Elle aidera également à améliorer l’accès à des médicaments abordables pour les Africains et amoindrir la balance des paiements du continent.Une industrie pharmaceutique africaine est une garantie sûre de souveraineté sanitaire continentale, constituant ainsi un maillon essentiel et déterminant pour protéger les Africains contre d’éventuelles pénuries ou crises, mais aussi permettre d’éviter de se retrouver tributaire de décisions se prenant à l’international à l’encontre des intérêts continentaux et d’être à l’abri de contingences politiques, notamment en matière d’accès aux soins
L’Oms estime que près de 80% des populations africaines ont recours en première intention de soins à la médecine traditionnelle et aux remèdes issus de la pharmacopée traditionnelle.L’insuffisance de l’accès aux médicaments essentiels, le faible pouvoir d’achat des populations, la légitimité sociale et culturelle de la communauté au sein de laquelle elle s’exerce, justifient l’engouement sans cesse croissant de la médecine traditionnelle.
Actuellement, le continent africain produit moins de 5% des médicaments que consomment ses populations, alors que 95% sont importés, révèle Proparco, filiale de l’Agence française de développement, dans son rapport 2018 intitulé «Le médicament en Afrique : répondre aux enjeux d’accessibilité et de qualité».D’après le cabinet McKinsey, le volume des médicaments importés sur le continent est passé de 4,7 milliards Usd en 2003 à 20,8 milliards Usd en 2013, pour atteindre entre 40 et 65 milliards Usd en 2020.La progression témoigne du fort besoin des populations africaines en médicaments.
Ainsi, l’Afrique consacre une part importante de ses ressources financières à l’achat de médicaments dans les pays développés, ce qui contribue à un déséquilibre de la balance commerciale et au développement des marchés parallèles. Les besoins en devises pour l’achat de médicaments, si on n’y prend pas garde, risquent d’atteindre des niveaux insupportables pour nos économies déjà très éprouvées par l’inflation.
Pourtant, l’Afrique peut tirer grand profit de la médecine traditionnelle grâce à la conjugaison de sa richesse botanique, de l’héritage médicinal transmis au fil des années et les recherches scientifiques modernes, résolvant ainsi nombre de ses problèmes de santé.Au-delà de garantir l’accès d’un plus grand nombre aux soins de santé de qualité, la médecine traditionnelle peut également être une richesse financière importante pour les Etats africains au regard de la forte demande en médicaments abordables.
Dans un de ses rapports de recherche, Market Research Future (Mrfr) indique que le marché mondial des médicaments à base de plantes a atteint un volume de plus de 129 milliards Usd en 2023, avec un taux moyen de croissance annuelle de 5,88% sur la période de prévision 2018-2023.Les médicaments à base de plantes sont largement utilisés à travers le monde et ont une importance considérable dans le commerce international. La reconnaissance de leur valeur clinique, pharmaceutique et économique continue de croître, bien que cela varie selon les pays.Les plantes médicinales sont importantes pour la recherche pharmacologique et l’élaboration des médicaments.
La flore africaine se caractérise par son extrême richesse et sa très grande diversité, avec plus de 30 000 espèces médicinales qui sont cependant exploitées sans précaution particulière. En vue d’assurer la conservation et la disponibilité de ces plantes pour l’avenir, la réglementation de leur exploitation et de leur exportation est essentielle, tout comme la coopération et la coordination au niveau international.
Pour ce faire, il est important de leur conférer un cachet scientifique qui bénéficie de l’apport de tous les instruments internationaux de mesure en qualité, innocuité et efficacité pour les remèdes issus de ces plantes.L’accessibilité et la disponibilité de médicaments de qualité sont les piliers de la lutte contre les médicaments contrefaits, fléau des temps modernes, phénomène mondial qui touche principalement les pays émergents, comme les pays d’Afrique où les médicaments contrefaits représentent 30% des médicaments commercialisés. Leurs conséquences sur la santé publique peuvent être graves, voire dramatiques. L’impact est sanitaire mais également socio-économique, voire environnemental.
Au niveau mondial, le commerce des produits pharmaceutiques contrefaits représente jusqu’à 200 milliards de dollars Us par an ; l’Afrique étant une des régions les plus touchées. L’Oms déclare que 42% de tous les faux médicaments qui lui ont été signalés entre 2013 et 2017 provenaient d’Afrique. Une étude de 2015 a estimé qu’en Afrique subsaharienne, 122 000 enfants de moins de cinq ans avaient perdu la vie en un an seulement à la suite de médicaments antipaludiques de qualité inférieure ou falsifiés.L’atteinte aux droits de propriété intellectuelle est également très importante pour l’industrie pharmaceutique, avec des pertes énormes en termes de devises et d’emplois.
C’est pourquoi l’évolution de la propriété intellectuelle, en particulier l’Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle touchant au commerce (Adpic), permet de promouvoir la créativité dans tous les domaines, y compris les médicaments, de protéger les droits des inventeurs, de promouvoir et de garantir les investissements, tout en facilitant le transfert de technologies.Le Centre africain de contrôle et de prévention contre les maladies (Cdc/Afrique), en relation avec l’Organisation africaine de la propriété intellectuelle (Oapi) et l’African Regional Intellectual Property Organisation (Aripo), et tous les autres organismes africains qui s’occupent de propriété intellectuelle se doivent d’assurer la protection des inventions relatives aux médicaments issus de la médecine et de la pharmacopée traditionnelles, et dont la qualité, l’efficacité et l’innocuité sont prouvées. Le dynamisme des chercheurs africains n’est plus à démontrer dans ce domaine, en plus des mémoires et thèses de doctorat.
L’Union africaine doit soutenir fortement la recherche et l’innovation en dotant nos chercheurs de moyens adéquats et suffisants pour les appuyer dans leurs travaux, tout en contribuant à la vulgarisation des résultats de recherche.L’enjeu aujourd’hui, c’est d’amener les dirigeants africains à prendre conscience de l’importance scientifique, économique et de santé publique des plantes médicinales dans les défis sanitaires. Il s’agit d’opérer un changement de comportement et d’attitude par une meilleure prise de responsabilités et une mutualisation des moyens.
La flore africaine est riche et diversifiée, et représente un énorme potentiel en termes de plantes médicinales, ouvrant ainsi des perspectives intéressantes pour la recherche et la mise au point de nouveaux médicaments, tout en constituant une source d’informations précieuses pour la découverte de nouvelles molécules actives dans la prise en charge thérapeutique des pathologies courantes en Afrique, épargnant des dépenses lourdes pour l’achat de médicaments (95% des besoins actuels).
L’Afrique doit se solidariser et se positionner pour valoriser les inventions et innovations des chercheurs et inventeurs de notre continent en matière de médicaments. A ce titre, la mise en place d’un fonds continental par l’Union africaine est à encourager.Pour une fois, les Africains doivent prendre l’initiative pour promouvoir notre patrimoine thérapeutique et cesser d’être à la remorque des pays du Nord. Assurer la sauvegarde des plantes médicinales du continent africain, tout en encourageant l’utilisation des médicaments à base de plantes pour le traitement des maladies, requiert une stratégie réfléchie et coordonnée afin qu’elle soit efficace et durable.
C’est fort de cela que l’Organisation ouest-africaine de la santé (Ooas) a mené plusieurs actions dont notamment l’élaboration de deux pharmacopées des plantes médicinales de l’Afrique de l’Ouest. Ces outils, qui résument la base scientifique de quelques plantes communes dans l’espace communautaire, validés et adoptés par l’Oms afro, sont des documents de référence non seulement pour les pays de la sous-région ouest-africaine, mais également pour toute l’Afrique. Au total, 85 monographies, 53 formulations de plantes médicinales à efficacité prouvée et un manuel pour le traitement à base de plantes de 42 maladies usuelles d’Afrique de l’Ouest ont été produits.L’Union africaine doit s’approprier ce travail qui entre en droite ligne de l’Agenda 2063, qui est le cadre stratégique du continent qui vise à atteindre son objectif de développement inclusif et durable.Face à cette impérieuse nécessité, l’Union africaine ne peut plus se permettre de perdre du temps.
Dès lors, il est impératif de réunir les scientifiques africains pour apporter des réponses adaptées à nos réalités. Relever les défis sanitaires du continent ne sera pas facile tant que l’expertise, les solutions locales et endogènes ne seront pas privilégiées. Pour cela, il faudra soutenir une stratégie africaine globale et coordonnée.
Alioune AWA