La vague Covid-19 va en s’estampant globalement dans le monde, y compris au Sénégal. Quand bien même le SarsCOV-2, l’agent pathogène, a repris activement du service dans le pays de sa naissance, la situation d’ensemble semble apaisante. Ici au Sénégal, alors que l’on observe aussi une certaine accalmie, Infomed revient sur la réticence vaccinale qu’a connue le pays, l’an dernier. Il n’aura échappé à personne que si le Sénégal a jusqu’à présent réussi à juguler l’expansion de la Covid-19 sur son territoire, la campagne de vaccination n’a pas encore répondu aux attentes des autorités. L’équation de l’accès aux vaccins a laissé place à celle que certains appellent la « réticence vaccinale », d’autres l’« hésitation vaccinale ». Le Sénégal est loin d’être un cas isolé parmi les nombreux pays qui font face à cette fronde anti-vaccin. Pour autant, s’en singularise-t-il au regard de son histoire vaccinale et de ses enjeux sociétaux propres ?
En cette matinée du vendredi 29 octobre 2021, des candidats aux vaccins sortent aux compte-gouttes du garage de l’Ambassade des États-Unis d’Amérique, à Dakar, où leur ont été administrés la dose unique du vaccin Johnson & Johnson. La Représentation diplomatique étasunienne a décidé conjointement avec le ministère de la Santé et de l’Action sociale d’organiser une journée de vaccination à destination du grand public. Cette initiative intervient moins d’une semaine après l’annonce de cette ambassade de l’arrivée de 336.000 doses de ce même vaccin offert par Washington dans le cadre de l’initiative Covax.
Mamadou Wade, après avoir sacrifié à la prise de ce vaccin qui jouit d’une assez bonne réputation au Sénégal, du fait de l’origine de sa fabrication, mais surtout de l’absence de rappel, confesse que c’est par défiance qu’il a attendu autant de temps pour se faire vacciner : « La polémique autour des effets secondaires, ainsi que le tâtonnement de la communication gouvernemental m’avaient un peu refroidi, mais au final après avoir pris le recul nécessaire, j’ai pris la décision d’y aller.» « Les gens attendent pour voir », c’est souvent l’argument avancé pour justifier le déficit d’engouement autour du vaccin. Jacqueline et Félix ont quant eux l’excuse de la jeunesse, âgés respectivement de 17 et 20 ans, ils ne s’estimaient jusqu’alors pas encore éligibles, mais reconnaissent également avoir pris peur au début de la campagne de vaccination du fait « des effets secondaires et de toutes sortes de rumeurs véhiculées autour du vaccin ».
Pour l’ensemble des vaccinés rencontrés ce matin-là, les réseaux sociaux et les infox qu’ils relaient, sont la source de cette réticence au vaccin. Ceux-ci étant par nature planétaire, il n’y avait pas de raison particulière pour que le Sénégal échappe à la règle. D’autres invoquent la disponibilité de certains vaccins pour justifier la latence observée pour se faire vacciner comme Mamy Touré qui explique être venue par opportunité, mais surtout par obligation professionnelle. Originaire du Burkina Faso, Évelyne Naré assure que si elle a tardé à se faire vacciner c’est uniquement du fait qu’elle se trouvait loin de son pays de résidence, le Sénégal. Elle a donc préféré attendre son retour pour le faire.
Pour autant, elle ne voit pas « de raisons singulières pour lesquels les Africains et les Sénégalais en particulier refuseraient de se faire vacciner ». Elle cite en exemple le roi des mossis, le Mogho Naaba qui n’a pas hésité à apporter son adhésion à la campagne de vaccination. Une adhésion des relais traditionnels à laquelle Ousmane Fall qui habite Thiès accorde son satisfecit comme « lors de la dernière Tabaski où El Hadj Mansour Mbaye, président des communicateurs traditionnels s’est adressé aux Sénégalais sur la chaîne nationale les appelant à se faire vacciner en masse ».
Néanmoins, il déplore le « yo-yo » de la communication gouvernementale en particulier lors de la période qui a précédé la troisième vague, source selon lui de la défiance grandissante qui s’est installée entre l’opinion et le gouvernement autour de la vaccination. En somme, chacun essaie de trouver des raisons domestiques à la réticence vaccinale observée au Sénégal. La veille, le représentant de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) à Dakar, le Dr Aloyse Waly Diouf indiquait que sur un total de 3 674 378 doses de vaccination reçues par le Sénégal, seulement 1 852 896 avaient été utilisées. A cette date, toujours selon l’OMS, seules 883 546 personnes étaient complètement vaccinées.
Une défiance aux causes extrinsèques
Nous sommes à la fin de l’année 2020 synonyme pour beaucoup de crises multidimensionnelles. Plusieurs vaccins contre la COVID-19 ont été validés par l’Organisation mondiale de la Santé. La vaccination s’est enfin imposée au niveau mondial comme l’unique moyen de mettre fin à la pandémie. C’est le 23 février que la campagne de vaccination a été lancée au Sénégal. Cependant, comme dans plusieurs pays du monde au Sénégal aussi, on a fait face à une réticence de la population face aux vaccins. Les 200.000 premières doses du vaccin Sinopharm et les 324.000 doses du vaccin AstraZeneca/Oxford qui ont suivi dans le cadre l’initiative Covax, ont souffert avant de trouver preneur. L’initiative Covax qui a pour but d’assurer un accès équitable à la vaccination contre la COVID-19 dans les pays à faibles revenus. Ce rééquilibrage dans l’accès aux vaccins pour les pays du Sud intervient au moment où les mouvements anti-vaccins prennent de l’ampleur partout dans le monde.
Dès le 25 février 2021, le chef de l’Etat, après s’être fait vacciner aux côtés d’Idrissa Seck, le président du Conseil économique social et environnemental (CESE), soulignait depuis le palais de la République les efforts consentis pour se procurer ces premières doses et avertissait ses compatriotes : «Cela n’a pas été facile et très peu de pays africains ont aujourd’hui cette possibilité de se faire vacciner. Ce serait dommage qu’on ne prenne pas les vaccins.»
Et d’ajouter dans une sorte de harangue un brin provocateur «Si on ne les prend pas, moi je vais les donner à d’autres pays africains qui en ont besoin. Nous allons continuer d’essayer d’en trouver d’ici la semaine prochaine ou les jours à venir. Nous avons espoir que nous pourrons avoir d’autres lots. Il faut que ces vaccins soient pris par nos compatriotes.» Dans un premier temps, cette campagne de vaccination concernait seulement le personnel de santé, les personnes âgées de plus de 60 ans et celles vivant avec des comorbidités mais elle a été rapidement ouverte à l’ensemble des adultes.
Afin de tâter le terrain, le Bureau de prospective économique (Bpe) diligente du 12 au 14 mars 2021une enquête téléphonique réalisée auprès d’un échantillon de 961 personnes sélectionnées selon la méthode des quotas en langues nationales ou en français, sur la base d’un questionnaire préétabli. L’univers de l’enquête est constitué des individus âgés de 18 ans ou plus, des 45 départements du pays, appartenant à un ménage ordinaire. Il ressort alors que 33,4% des sondés déclarent qu’ils refuseraient de se faire vacciner si un vaccin leur était proposé.
Les raisons invoquées sont les suivantes : le risque des effets secondaires (pour 65% d’entre elles, nous sommes à cette époque en pleine polémique autour du vaccin Astra Zeneca) ; la non dangerosité du COVID-19 (pour 8,3% d’entre eux) ; la rapidité de fabrication des vaccins et la non-responsabilité des laboratoires (pour 6,2% d’entre elles) ; de multiples autres facteurs (pour 20,4% des sondés).
Les trois premières raisons se confondent avec les arguments qu’opposent de par le monde ceux qu’on désigne désormais sous le vocable d’ « antivax ». Reste à explorer ces « multiples autres facteurs » que soulèvent une partie des sondés. Selon le socio-anthropologue Pape Serigne Sylla, chercheur à l’Ecole des Hautes études en sciences sociales (Ehess) de Paris, la réticence de certaines populations à aller se faire vacciner n’est que « le prolongement des peurs et frustrations que la mauvaise gestion politique de cette pandémie a suscité en amont ».
Une affirmation illustrée par une étude d’Afrobaromete publiée début mars 2021 et réalisée dans cinq pays d’Afrique de l’Ouest (Bénin, Libéria, Niger, Sénégal et Togo). L’étude indique que la plupart des personnes sondées affirment ne pas faire confiance à leur gouvernement pour garantir l’innocuité des vaccins. Pourtant, c’est à ce moment qu’une ruée vers les centres de vaccination s’est opérée.
Le Directeur de la Prévention et porte-parole du ministère de la Santé et de l’Action Sociale, El Hadji Mamadou Ndiaye estime que cette période est révélatrice des tréfonds de l’acceptabilité sociale de la vaccination : « Si les Sénégalais avaient saisi les enjeux de la vaccination, nous serions de ce fait en rupture de vaccin en attendant de nouvelles livraisons sous huit à dix jours. Ce serait en réalité le schéma idéal qui s’est produit seulement lorsqu’il y a eu la troisième vague provoquée par l’arrivée du variant delta. A ce moment-là, les centres de vaccination ont été pris d’assaut.» Le Dr Boly Diop, Chef de la Division de surveillance épidémiologique et riposte vaccinale au même ministère, assurelui qu’il ne faut jamais perdre de vue les fondamentaux en de telles périodes de crise : « Au moment où le variant delta sévissait au Sénégal, nous avons enregistré une demande importante de vaccination parce que les gens avaient senti le danger et donc la nécessité de se faire vacciner. L’être humain est ainsi, s’il n’est pas menacé il ne ressent pas le besoin d’adhérer à la dynamique, mais c’est à nous de donner la bonne information.».
Dossier réalisé par Bastien DAVID (Art 1)