Assurer la protection et surveiller les conditions de travail du professionnel dans son milieu d’exercice afin d’éviter tout accident de travail ou toute maladie en rapport direct avec son activité, faire des visites de reprise après un arrêt de travail, examiner au moins une fois par semestre le travailleur… Telles sont, entre autres, les missions du médecin du travail. Malgré l’importance, voire la pertinence de ses missions, le service de médecine du travail n’est pas forcément bien répandu dans les entreprises sénégalaises. Pas plus que les médecins du travail ne sont pas disponibles en nombre suffisant pour prévenir la santé des travailleurs et, par ricochet, garantir une meilleure productivité.
Mieux le travailleur est protégé et sécurisé, mieux il sera productif et efficace dans ses tâches quotidiennes. Le médecin du travail est justement le spécialiste qui a l’expertise, de par sa formation, de garantir cette sécurité des travailleurs dans les entreprises, les institutions et autres organisations. Contrairement aux autres médecins qui sont plus focalisés sur l’aspect clinique, le médecin du travail, lui, se consacre presque essentiellement à la prévention la plupart du temps avec des objectifs précis. «Dans le cadre de la prévention, nous nous déplaçons sur le lieu du travail pour voir si les conditions sont réunies et définir les programmes de protection et de prévention des travailleurs sur site », explique le Dr Moustapha Sakho, médecin du travail de l’hôpital Aristide Le Dantec. « Nous faisons aussi de la surveillance médicale du spécialiste pour certains types de travailleurs comme ceux exposés aux rayonnements ionisants » ajoute-t-il.
Le médecin du travail a aussi pour mission de faire des visites d’embauche, des visites périodiques, de la surveillance médicale particulière pour certains travailleurs, visite médicale de pré et de reprise (maternité, arrêt maladie), de constituer le dossier médical de chaque travailleur et qui est régulièrement alimenté tout en préservant le secret médical qui entoure chaque dossier. Il est important de préciser que les dossiers médicaux des travailleurs ne sont pas destinés à l’administration de l’entreprise ou au chef d’entreprise.
Un secteur bien organisé sur le plan législatif
Quand bien même le Sénégal n’aurait pas suffisamment de médecins du travail, constat valable dans toutes autres les spécialités médicales, il n’en demeure pas moins que le secteur de la médecine du travail est bien organisé au sens de la loi depuis des décennies et complété par un décret d’application qui ne fait aucune ambiguïté. En effet, le Décret n° 2006-1258 du 15 novembre 2006 fixe les missions, les règles d’organisation et de fonctionnement des services de Médecine du Travail. D’ailleurs, ledit décret abroge et remplace le décret 89-1329 du 7 novembre 1989, modifié par le décret 90-888 du 9 août 1990.
Ainsi, conformément à l’article 4 du décret 2006, les médecins du travail sont recrutés à plein temps, à raison d’un (1) médecin pour un effectif de 400 à 750 salariés. En d’autres termes, un médecin du travail ne doit pas suivre plus de 750 personnes. C’est illégal aux termes de la loi. Pour un effectif de 1 500 à 2 500 salariés, l’entreprise doit recruter 2 médecins du travail à compter d’un effectif de 2 500 salariés, 3 médecins sont recommandés pour une entreprise.
« Au-delà de 2 500 salariés, un médecin du travail sera recruté par tranche de 1 000 salariés ». La loi est donc claire est sans ambiguïté sur ce point. Toutefois, les réalités du terrain sont toutes autres dans les pays en développement comme le Sénégal.
La preuve, l’ex-hôpital Aristide Le Dantec, établissement centenaire (créé en 1922), n’a eu son premier médecin du travail qu’en 2017 officiellement en la personne du Dr Moustapha Sakho, lui-même diplômé de la première promotion des titulaires de DES* en 2016. Non seulement cet hôpital de référence a eu tardivement son premier médecin de travail, mais il n’est même pas en mesure de respecter la norme en termes d’effectifs.
Le Dr Sakho affirmait être le seul médecin du travail de cet établissement qui pourtant dépassait largement le nombre d’effectifs requis pour ne recruter qu’un seul médecin du travail. « Je suis seul pour un hôpital qui a plus d’un millier de travailleurs. C’est un peu costaud », confiait avec un sourie discret le Dr Sakho non sans rappeler qu’« au-delà de750 travailleurs, on devrait avoir un deuxième médecin du travail ».
Précisons que même si la loi recommande au moins un médecin du travail à partir de 400 employés, elle n’exempte pas pour autant que les entreprises ayant des employés en dessous de ce seuil. Elles ne peuvent se débiner, car la loi y a prévu une alternative. En effet, des entreprises ou structures n’atteignant pas ce seuil peuvent se regrouper par zone géographique ou par pôle d’activités pour mettre en place un service médical interentreprise et recruter un médecin de travail qui assurera la protection et le suivi médical de leurs travailleurs.
« Les établissements qui ont un effectif inférieur à 400 travailleurs sont tenus d’organiser un service médical du travail interentreprises ou d’adhérer à un service médical du travail interentreprises», indique l’article 12 du décret n°2006 du 15 novembre 2006. Pour mémoire, dans le privé, c’est le chef d’entreprise qui recrute le médecin du travail et organise le service aux charges de l’entreprise.
Qui peut exercer en tant que médecin du travail ?
Il urge de faire un distinguo entre le médecin du travail et le médecin d’entreprise. Le second ne saurait remplacer valablement le premier. En effet, dans certaines entreprises, l’on trouve tout simplement des médecins d’entreprise. Mais théoriquement, un médecin d’entreprise n’a pas de compétences requises pour assurer des prérogatives d’un médecin du travail. Un médecin du travail, est avant tout un docteur d’État en médecine, spécialisé en médecine du travail, inscrit à l’Ordre des médecins comme tel et autorisé à exercer. Il doit surtout être nanti en plus d’un Certificat d’étude spécialisé (CES) en médecine du travail ou d’un Diplôme d’études spécialisés (DES).
Longtemps, le Sénégal ne délivrait que le CES (Doctorat+3 ans). La nouvelle formule DES (Doctorat+ 4 ans+ mémoire) est relativement récent.
Un médecin du travail est recruté à plein temps sur la base d’un contrat signé avec une entreprise ou avec le service médical du comité de gestion interentreprise. Un médecin même spécialisé dans un autre domaine ne peut être apte à assurer de manière optimum la fonction de médecin du travail au risque de passer à côté des missions assignées au médecin du travail.
Mais force est de constater que «le plus souvent, ceux qui sont recrutés, n’ont pas cette formation. Même si ce sont des médecins spécialisés dans d’autres domaines, ils ne sont pas spécialistes dans la médecine du travail qui a ses procédés, ses techniques, son intervention.
La médecine de travail « ce n’est pas dans le curatif, mais plus dans le préventif avec des actions bien connues par ceux qui sont des spécialistes dans ce domaine-là. Ce qui fait que si ces conditions ne sont pas respectées, on amène un médecin qui ne s’y connaît pas le plus souvent, il est là à faire des consultations curatives qui ne devraient pas exister dans ces locaux parce qu’il y a d’autres structures de santé qui sont habilités à faire ces prestations », constate pour le regretter pour sa part, le Dr Amadou Sow dans une vidéo publiée sur YouTube.
Un médecin du travail doit être assisté
Si certains chefs d’entreprise recourent à un médecin non spécialisé au poste de médecin du travail c’est «parce que tout simplement recruter un médecin non spécialiste en santé au travail coûte moins cher », relève le Dr Balla Sy, médecin du travail et consultant.
Dans le service médical d’entreprise, le médecin du travail peut être aussi assisté par un(e) infirmier/ère du travail. Ainsi, une entreprise qui a plus de 100 employés est tenue d’avoir un infirmier ou une infirmière du travail avec un local dédié pour accueillir les consultations médicales des employés « dans le respect du secret médical ». Outre l’infirmière ou l’infirmer, le médecin du travail doit être aidé par un secrétaire médical. «Le principal défi de la médecine du travail au Sénégal est l’application stricte et sans réserve par toutes les entreprises du décret 2006 – 1258 du 15 novembre 2006 organisant les missions et le fonctionnement des services de médecine d’entreprise », estime le Dr Balla Sy.
En définitive, les médecins du travail ne courent pas les rues au Sénégal. Nous n’avons pas pu trouver des statistiques précises. Toutes nos tentatives pour obtenir un entretien avec le Pr Mor Ndiaye, chef de la médecine du travail de la Faculté de l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) sont restées sans suite. Bien qu’il eût reçu à sa propre demande une lettre plus un protocole d’entretien. Cependant, le Dr Sakho note que de plus en plus de jeunes médecins en formation s’intéressent à cette spécialité. Sur un répertoire disponible sur le web Go Africa dédié à cette spécialité, nous avons trouvé une quarantaine de médecins du travail dont la plupart sont basés à Dakar. C’est aussi là une des problématiques. Nous n’avons pas réussi à confronter cette liste à d’autres sources.
Frédéric ATAYODI