Ibrahima Coulibaly est le directeur de l’Institut Universitaire Professionnel en Santé (IUP-SANTÉ). Économiste de la santé, il est également président du Syndicat des Directeurs d’École de Santé (SYDEPS). Dans cet entretien, il aborde les défis de l’enseignement privé de la santé au Sénégal.
Quelle est la situation de l’enseignement privé de santé au Sénégal ?
Vous savez que depuis quelques années, l’enseignement supérieur et la formation en santé ont particulièrement évolué, notamment la formation des infirmiers et des sages-femmes qui ont été soumises à plusieurs réformes. En 2007, la directive numéro 3 de l’UEMOA pour l’application du système LMD (Licence Master Doctorat) a été signée à Dakar. Ce système LMD a été adopté au Sénégal à travers la loi 2011-05. C’est à partir de cette loi que plusieurs décrets d’application ont été promulgués pour la formation des infirmiers et des sages-femmes.
Les gens ont tendance à dénoncer la qualité de la formation dans les écoles de formation privées de santé. Qu’en pensez-vous ?
C’est une aberration. Je vais m’exprimer de manière objective. Au Sénégal, nous avons la chance de bénéficier des meilleurs dispositifs législatifs et règlementaires de la sous-région. J’ai eu l’opportunité d’être invité en Côte-d’Ivoire, et j’ai alors constaté que ce pays ne disposait pas d’une autorité nationale d’assurance qualité, contrairement au Sénégal où une telle autorité existe. En matière d’enseignement supérieur, dès lors qu’on aborde la question de la qualité, on doit tenir compte de l’autorité habilitée à évaluer celle-ci, tant au niveau institutionnel qu’au niveau des programmes. Sur la scène internationale, pour la profession infirmière, il y a le Secrétariat International des Infirmières et Infirmiers de l’Espace Francophone (SIDIIEF). En 2012, cette organisation a émis une déclaration en faveur de l’universitarisation des professions infirmières et des sages-femmes. Cette déclaration du SIDIIEF a été pleinement approuvée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) ainsi que par une centaine d’organisations internationales, dont l’Organisation Ouest-Africaine de la Santé (OOAS). Dans cette déclaration, le SIDIIEF a affirmé que pour la formation des infirmiers, il était nécessaire de mettre en place des filières universitaires allant de la licence au doctorat. En ce qui concerne la formation des sages-femmes, la Confédération Internationale des Sages-Femmes (ICM) soutient également que pour devenir sage-femme, il faut être titulaire du baccalauréat et suivre une formation de trois ans. La confédération souligne également que les programmes de formation des sages-femmes doivent faire l’objet d’une accréditation périodique. Au Sénégal, c’est l’Autorité Nationale d’Assurance Qualité de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation (ANAQ-Sup) qui est chargée de cette accréditation. Il convient de souligner que l’accréditation est une obligation pour toutes les écoles formant des infirmiers et des sages-femmes.
une autorisation d’ouverture est valable uniquement pour un seul établissement. Cependant, nous constatons que des établissements non habilités ouvrent des écoles dans plusieurs régions, ce qui n’est pas acceptable
Il est regrettable qu’au Sénégal, après la réforme, peu d’écoles aient pris la peine de se rattacher à l’enseignement supérieur, comme le recommande le curriculum de l’OOAS. Les dispositions du décret 2018-850 portant sur le statut des écoles privées d’enseignement supérieur stipulent qu’afin d’ouvrir un établissement d’enseignement supérieur, une autorisation provisoire et une demande d’habilitation institutionnelle sont nécessaires pour évaluer la qualité. Nous sommes tous conscients que la qualité est évolutive. Il fut un temps où des agréments étaient délivrés à vie. Désormais, l’habilitation institutionnelle, matérialisée par un arrêté, est la reconnaissance de l’État, avec une durée de validité de dix ans. Chaque décennie, cette habilitation doit être renouvelée, et chaque programme doit faire l’objet d’une accréditation.
le Sénégal compte environ six établissements habilités à former des infirmiers et des sages-femmes, si l’on se réfère aux informations disponibles sur le site de l’ANAQ-sup
Ibrahima Coulibaly, Directeur de UIP-Santé
Par ailleurs, une autorisation d’ouverture est valable uniquement pour un seul établissement. Cependant, nous constatons que des établissements non habilités ouvrent des écoles dans plusieurs régions, ce qui n’est pas acceptable. Cela nuit gravement au niveau de formation des apprenants. Chaque établissement doit obtenir une autorisation d’ouverture pour se conformer aux règlements. De plus, il ne faut pas laisser n’importe qui ouvrir des établissements. Ce qui est particulièrement déplorable, ce sont les parents qui investissent des sommes conséquentes dans l’éducation de leurs enfants alors que les diplômes ne sont pas reconnus. Il incombe aux gouvernants de surveiller de près la prolifération des écoles de formation en santé. Lorsqu’une autorisation est accordée, l’État doit également exercer un contrôle sur les établissements
48 écoles de formation sur les 92 inspectées par les services du ministère de la Santé ne sont pas aux normes. Comment en est-on arrivé là ?
Je ne sais pas d’où proviennent ces chiffres. Le Ministère de la Santé n’est pas habilité à déterminer quelles sont les écoles en règle ou non. Le ministère avait lancé une inspection des établissements, ce qui est, à mon avis, une démarche illégale. Avant que les établissements ne soient orientés vers l’enseignement supérieur, le décret 2005-29 fixant les conditions d’ouverture et de contrôle des établissements d’enseignement privé exige que le ministère de la formation professionnelle demande au ministère de la santé de mener des enquêtes réglementaires lors de l’ouverture d’un établissement de formation. Ces enquêtes devraient permettre de vérifier si l’école remplit les conditions requises. Cependant, ces enquêtes n’ont jamais été menées par le ministère de la santé et aucun rapport d’enquête n’a jamais été soumis. C’est pourquoi il y a presque systématiquement des irrégularités dans les écoles de formation, même avant leur rattachement à l’enseignement supérieur. Le ministère n’a pas le pouvoir d’accomplir ces tâches. Lorsque les écoles ouvrent de manière anarchique, il est impossible de déterminer le nombre exact. On constate que le Sénégal compte environ six établissements habilités à former des infirmiers et des sages-femmes, si l’on se réfère aux informations disponibles sur le site de l’ANAQ-sup. Ces établissements sont les seuls à disposer d’une habilitation institutionnelle. Parmi ces six, dont je suis au courant, seulement trois possèdent une accréditation institutionnelle.
Le nombre d’établissements de formation en santé a connu une hausse vertigineuse. Une telle prolifération a-t-elle un impact négatif sur la qualité de la formation ?
Je me réfère à des dispositifs règlementaires. La culture de la qualité est une démarche rationnelle. Plusieurs organisations existent pour faire de la qualité le pilier de la formation. La qualité est une exigence tant au niveau international que local. Aujourd’hui, un étudiant sans une licence habilitée et reconnue ne peut pas poursuivre ses études à l’étranger. La qualité est évaluée sur la base de référentiels. Seules trois écoles respectent les critères de qualité, en termes d’habilitation et d’accréditation. Selon le décret 2018-850, les écoles accréditées par l’ANAQ-sup peuvent présenter leurs étudiants aux examens organisés par l’État. Cependant, mon établissement ne participe plus à ces examens organisés par le ministère de la Santé depuis qu’il est rattaché à l’Université Cheikh Anta Diop. Comment le ministère peut-il organiser un examen pour une école qui n’est plus sous sa tutelle? Les établissements non conformes participent à ces examens. Le droit d’ouvrir un établissement est un droit subjectif. Tout le monde a le droit d’ouvrir un établissement, mais cela doit se faire dans le respect des dispositifs législatifs et réglementaires, ce qui n’est pas le cas actuellement. Les conséquences sont désastreuses.
Pourquoi les examens de certification organisés par le MSAS sont considérés comme illégaux avec la nouvelle réglementation ?
Cela est dû au décret 77-887, modifié par le décret 2018-1430, où il est stipulé dans la fonction publique que le corps d’accueil est la sage-femme d’État ou l’infirmier d’État. Il est également mentionné que le diplôme de recrutement n’est pas délivré par le ministère de la Santé. Ces textes ne sont pas en cohérence avec les dispositions du système LMD, car ils font référence à l’obtention de 60 crédits dans une université canadienne, comme s’il n’existait pas d’universités au Sénégal. Pour le recrutement dans la fonction publique, il est impératif d’obtenir un diplôme d’État de sage-femme de l’ENDSS après trois ans d’études post-baccalauréat, conformément au décret 2009-752. Dans ce décret, il est clairement indiqué que c’est le ministère de la Santé qui organise l’examen de certification de l’ENDSS pour délivrer le diplôme. Cependant, si l’ENDSS ne fait plus partie de ses services, comment pourrait-il organiser cet examen ? Il aurait été plus simple de parler du diplôme de licence obtenu dans un établissement accrédité et habilité, comme le précise le décret 2018-850.
Avez-vous peur de passer ces examens ?
Non. Beaucoup de détracteurs affirment que nous avons peur de passer les examens du ministère de la Santé. Ce qui est faux. Nous ne pouvons pas participer à un examen organisé par des établissements illégaux, comme si nous encouragions cette pratique. Le simple fait de participer à cet examen nous mettrait en contradiction avec les dispositions du décret 2018-850, qui stipule dans son article 21 que seuls les établissements habilités et dont les programmes sont accrédités peuvent présenter leurs candidats aux examens organisés par l’État. S’ils souhaitent organiser un examen au niveau de la licence, à l’instar de ce qui se fait en France, il n’y aurait aucun problème, mais les établissements illégaux ne pourraient pas y participer.
Vous affirmez que le MSAS outrepasse ses prérogatives et continue d’organiser illégalement l’examen de certification pour les infirmiers et les sages-femmes, non pas pour l’ENDSS et les UFR-SANTÉ, mais plutôt pour les établissements privés de formation et les CRFS non reconnus par le MESRI. Quelles peuvent être les conséquences ?
Les conséquences peuvent être très néfastes, surtout sur le plan du capital humain. La jeunesse, depuis plusieurs décennies, est laissée en rade. Beaucoup de jeunes diplômés sont désormais à la recherche d’une vie meilleure, prêts à prendre le chemin de l’océan pour rejoindre l’Europe. Pourtant, chez eux, on aurait pu au moins leur garantir une éducation de qualité et des diplômes reconnus. Dans les pays développés, la santé et l’éducation absorbent une part importante du budget. Imaginez les parents qui ont dépensé beaucoup d’argent pour l’éducation de leurs enfants, pour finalement découvrir que le diplôme de l’établissement n’est pas reconnu. C’est quelque chose de très grave. L’organisation de ces examens fait violer au ministère de la Santé l’ensemble des dispositions de l’arrêté portant sur l’organisation de ces examens.
Au niveau des structures sanitaires, les « cartouchards », qui n’ont pas réussi ces examens et qui sont issus des écoles de formation illégales non habilitées, possèdent parfois des attestations de formation non conformes. Ces diplômes sont utilisés pour travailler dans certaines structures de santé. Or, nous parlons d’une profession réglementée. Il existe un code d’éthique et de déontologie harmonisé par l’OAAS, qui stipule qu’il faut avoir un diplôme reconnu et être autorisé par l’ordre. Dans notre pays, seul l’ordre des sages-femmes a été créé, mais l’ordre des infirmiers n’existe pas encore. Ces ordres sont indispensables pour réguler la pratique et la formation. Le personnel non diplômé constitue un danger public pour la santé. À cause de ces recrutements, des étudiants disposant de diplômes reconnus quittent le pays.
Pourquoi le ministère de la fonction publique refuse-t-il le recrutement des diplômés de la Licence en Sciences Infirmières et Obstétricales (LSIO) issus des établissements privés ?
Je ne le sais pas encore. Mais ce que je peux dire, c’est que dans les dispositifs législatifs et réglementaires, il est stipulé que seuls les établissements habilités et accrédités sont reconnus au niveau de la fonction publique. Les infirmiers et les sages-femmes représentent plus de 50% du personnel soignant. Ils dispensent essentiellement les soins. Si le recrutement de ce personnel n’est pas conforme aux dispositions, cela présente un danger considérable pour la population.
Pourquoi accuse-t-on le MSAS de traitement inéquitable et discriminatoire envers les établissements privés de santé ?
Le ministère de la Santé était auparavant responsable de la gestion des établissements de formation en santé. Dans sa gestion des écoles, une discrimination a été observée. Le SYDEPS n’a jamais été convié aux réunions de préparation pour les examens de certification lorsque nous participions à ceux-ci. Cependant, madame la ministre nous a reçus il y a quelque temps. Elle a affirmé que tout ce qui est post-bac serait transféré au niveau de l’enseignement supérieur. Cependant, cela ne s’est pas produit. Nous avons été surpris par une lettre circulaire annonçant les examens de certification pour cette année.
Quelles solutions préconisez-vous pour une résolution des différends entre le MSAS et les instituts privés de formation ?
Un système de santé repose sur plusieurs fonctions : le financement, la régulation, l’offre de soins, entre autres. La dernière fonction repose essentiellement sur la disponibilité des ressources humaines de qualité pour assurer l’accès aux soins. Il est donc primordial de veiller à la formation du personnel de santé. Le Sénégal dispose d’un système éducatif performant, attirant des milliers d’étudiants venant de la sous-région pour se former ici. Ainsi, il est nécessaire de réguler et de respecter les dispositifs règlementaires et législatifs en vigueur.
Propos recueillis par infomed. sn
Les autorités doivent tout faire pour créer l’ordre des paramédicaux en des catégories et statuts différents : Infirmiers .sage femme . Assistants infirmiers. Brancardiers. Vendeur en Pharmacie …… Appliquer les nouvelles reformes en respectant strictement les décrets présidentiels pris dans ce sens.
Je suis désolé et je pense qu’il fallait publier la liste des établissements agréés. Votre fonction vous y oblige. Cela éviterait aux parents payeurs de gaspiller de l’argent. Comment peut on laisser des pères et mères de famille débourser autant d’argent pendant trois ans et retrouver leurs enfants sans diplôme valable.
Une belle analyse mais il y’a l’ordre des infirmiers qui peut régler problème.pour Abdoulaye c’est Sup santé,institut santé service,ISS Mbour,IUP Santé