Par Mehdi Tanani, Chargé d’affaires senior à PROPARCO
Publié le 03 avril 2018, mis à jour le 17 juin 2021 dans https://ideas4development.org
Alors que le marché pharmaceutique africain affiche une nette croissance, son développement reste un défi. Pour le relever, il est impératif d’encourager une synergie entre secteur privé, institutions financières et autorités publiques.
À n’en pas douter, l’industrie pharmaceutique en Afrique est promise à un bel avenir. Le continent regroupe près de 13 % de la population mondiale et l’amélioration de la solvabilité des habitants leur permet de dédier une part toujours plus importante de leurs revenus aux dépenses de santé (celles-ci ne s’élèvent néanmoins qu’à 6 % environ). Ce n’est donc sans doute pas un hasard si l’Afrique affiche un taux de croissance annuel moyen du marché pharmaceutique estimé à 10 %[1], entre 2010 et 2020.
Industrie pharmaceutique : un secteur face à de multiples défis en Afrique
Si la situation laisse augurer un avenir meilleur pour le continent, il ne faut pas pour autant minimiser les lacunes et faiblesses qui pèsent encore lourdement sur le développement du secteur de l’industrie pharmaceutique en Afrique.
La production de médicaments en est l’un des marqueurs symboliques et souffre d’une large disparité : seule 3 % de la production mondiale de médicaments est issue du continent africain, provenant principalement de quelques « hubs » ou « pharmerging ». Ainsi, alors que l’Afrique du Sud ou le Maroc arrivent à satisfaire entre 70 % et 80 %[2] de leurs propres besoins pharmaceutiques, en Afrique centrale près de 99 % des médicaments en circulation sont importés de l’étranger, notamment d’Asie. Ce qui n’est pas sans poser plusieurs problèmes : les coûts élevés liés au transport font irrémédiablement augmenter le prix final des médicaments ; l’approvisionnement des stocks est, de fait, tributaire des délais de livraison, parfois très longs ; et surtout, le risque augmente de voir se développer sur les marchés locaux des produits contrefaits ou de moindre qualité.
Car la question de la qualité des médicaments est un enjeu vital. La mise en place de filières parallèles, bien aidée par la fragmentation des chaînes de distribution, et la prolifération de médicaments contrefaits, de moindre qualité, voire totalement inefficaces, sont un véritable fléau. Dans certains pays d’Afrique, il est en effet extrêmement compliqué pour les producteurs locaux de mettre en place les bonnes pratiques de fabrication (BPF), garantissant la qualité de la production.
Mettre en place des synergies entre acteurs publics et privés dans le secteur pharmaceutique
Selon nous, quatre critères permettent de définir aujourd’hui les enjeux autour de l’accessibilité du médicament en Afrique : la mise à disposition de produits de santé cohérents avec les besoins des populations, à des prix abordables et en nombre suffisant pour les patients, avec la garantie d’un haut niveau de qualité et d’efficacité, et soutenue par des réseaux de distribution efficaces. Pour répondre à ces enjeux et lever les blocages qui perdurent sur le continent, il est essentiel qu’une synergie s’opère entre acteurs privés, institutions financières de développement et autorités publiques. Déjà confrontées à la faiblesse des ressources budgétaires, les autorités publiques sollicitent de plus en plus les acteurs privés comme un acteur complémentaire dans les systèmes d’approvisionnement et de distribution des produits de santé.
Une des réponses à l’accessibilité du médicament sur le continent africain est le développement de capacités de production à l’échelle régionale. Des investissements pour soutenir les laboratoires pharmaceutiques africains sont nécessaires pour produire plus et pour élargir les gammes thérapeutiques disponibles. Notamment les traitements de lutte contre les maladies négligées et endémiques, que ce soient les médicaments génériques ou ceux produits sous licences (volontaires et en regroupement de brevets) ou en marque propre. Pour ce faire, les autorités publiques doivent se saisir de différents facteurs catalyseurs : l’harmonisation réglementaire régionale – par exemple une procédure unique d’autorisation de mise sur le marché (AMM) dans la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) – ou des politiques incitatives à l’investissement telles que des soutiens de commandes publiques avec un pourcentage d’approvisionnement auprès de producteurs locaux et régionaux sont des exemples de possibilités.
Au-delà de la production des médicaments, les institutions financières de développement doivent accompagner une montée en gamme des normes de qualité appliquées par les industries pharmaceutiques africaines, notamment via de l’assistance technique. Sur ce point, cet appui peut permettre aux laboratoires de s’engager plus facilement dans la mise en œuvre des standards de bonnes pratiques de fabrication, voire dans un processus de préqualification OMS, indispensable pour être référencé comme fournisseur auprès des organismes internationaux que sont l’Unicef, le Fonds mondial, Gavi, etc.
Agir sur les chaînes d’approvisionnement et de distribution de médicaments
Pour les institutions financières de développement, travailler main dans la main avec le secteur privé avec pour objectif une meilleure accessibilité du médicament pour les populations nécessite d’intervenir également sur les chaînes d’approvisionnement. En Afrique, celles-ci souffrent d’une fragmentation avec un trop grand nombre d’intermédiaires, du « grossiste répartiteur » jusqu’à l’officine. De plus, chaque intermédiaire ajoute sa marge, qui peut représenter jusqu’à 50 % du prix payé par le consommateur au Kenya et jusqu’à 90 % du prix dans des pays moins avancés et enclavés, contre 2 % à 24 % pour les pays de l’OCDE. Cela fait des médicaments vendus en Afrique subsaharienne les plus chers au monde.
Ces chaînes d’approvisionnement sont par ailleurs bâties sur un modèle de « push » : le distributeur réajuste son stock ou lance une commande auprès d’un grossiste lorsque la demande du consommateur (patients ou centres de soins) lui parvient, ce qui provoque des ruptures de stock régulières. Ce modèle ne permet pas une anticipation des réassorts et n’offre pas la capacité de négocier fortement les prix avec les entreprises pharmaceutiques. À l’inverse, un modèle « pull » permettrait une communication en temps réel entre centres de soins prescripteurs et distributeurs et rendue possible aujourd’hui par le biais des nouvelles technologies. Les patients ne parvenant pas à trouver sur le comptoir des officines les médicaments dont ils ont besoin et à des prix accessibles se tournent alors vers le marché parallèle. Car une chaîne logistique très fragmentée est incontestablement un facteur aggravant de la contrefaçon des médicaments. D’après une étude récente de l’Organisation mondiale de la santé, près de 42 % des faux médicaments dans le monde sont distribués sur le continent africain.
Hausse de la production, qualité des médicaments disponibles, prix abordables, meilleure gestion des stocks, structuration des réseaux de producteurs et de distributeurs : incontestablement, les institutions financières de développement peuvent et doivent soutenir les acteurs, publics et privés, du système pharmaceutique africain. Des investissements ciblés, permettant une bonne maîtrise des stocks et la mise en place d’un système de traçabilité afin de garantir la qualité des produits vendus au patient, sont un préalable indispensable.