En première ligne dans la bataille contre le nouveau coronavirus (SARS-CoV-2), le personnel de santé est non seulement exposé aux risques de contamination mais aussi à la pression due à une charge de travail beaucoup plus importante. D’où les nombreux cas de Burn-out ou syndrome d’épuisement professionnel notés chez les agents de santé au Sénégal et ailleurs dans le monde.
Dans son ambulance devant le SAMU national, M. Badji est sur le qui-vive. Il s’affaire et se met dans les conditions d’intervenir à tout moment. « Tu as eu la chance de me trouver sur place. Car, dit-il, nous sommes tout le temps dans la circulation ». En cette période de baisse des contaminations, le rythme des interventions est moins intense. Mais, durant les pics des trois premières vagues de la pandémie de COVID-19, la situation était très tendue. « Il m’arrivait de quitter ici (Ndlr : le SAMU) le matin pour ne revenir que tard le soir. Le volume de travail était énorme. On était tellement fatigués. Ici, il n’y a pas de répit ! », lance M. Badji.
Cette surcharge de travail vécue dans des conditions stressantes a abouti au burn-out pour une bonne partie du personnel de santé au Sénégal. Le burn-out, aussi appelé syndrome d’épuisement professionnel, est un état qui s’installe à l’occasion d’une tension prolongée au travail, explique le Pr Aïda Sylla, chargé de cours de psychiatrie à l’Université Cheikh Anta Diop (Ucad) et psychothérapeute. Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), le burn-out est « un sentiment de fatigue intense, de perte de contrôle et d’incapacité à aboutir à des résultats concrets au travail ». En avril 2020, le Conseil international des infirmières (Cii) lançait l’alerte sur le risque accru de burn-out, de stress post-traumatique et d’autres problèmes liés au stress parmi le personnel infirmier.
Sollicité plus que jamais en période de COVID-19
En activité dans les allées du Centre hospitalier national universitaire de Fann (CHU), Abdoulaye Samba abonde dans le même sens que Badji. En 15 ans de service, ce brancardier dit n’avoir jamais été autant sollicité dans le cadre de son travail que durant la pandémie de Covid-19. D’un pas pressé, Dr Soumah du Service des maladies infectieuses et tropicales du CHU Fann fait la navette entre les différentes salles de consultation pour veiller aux soins des patients. Il est de garde en cette après-midi de samedi, jour où il a repris service après un mois de congés.
« Dans la période COVID, surtout pendant la troisième vague on gérait non seulement les patients ‘’ordinaires’’, les patients pré-COVID, c’est-à-dire les malades suspects de la COVID et les patients de la COVID », souligne-t-il. A l’en croire, pendant cette période, tout le monde était au bout du rouleau, au Centre de traitement épidémiologique (CTE).
« Il nous arrivait de travailler 24h d’affilée. Il n’y avait pas de congés parce qu’il fallait gérer les urgences. Tout le monde était épuisé, dans tous les secteurs. D’ailleurs dans certains services, on avait mis à la disposition du personnel les contacts de psy pour l’assistance psycho-sociale », confie Dr Soumah.
«Infirmières en état de détresse psychologique»
Dans une de ses enquêtes sur la protection des infirmières dans ce contexte de pandémie, près de 80 % des associations nationales d’infirmières (ANI) interrogées indiquent avoir été avisées que des infirmières engagées dans la riposte contre la Covid-19 étaient « en état de détresse psychologique ». Ces infirmières indiquent se sentir isolées de leurs familles et très soucieuses d’éviter de transmettre la maladie à leurs proches.
En Afrique, une enquête menée dans 13 pays a révélé qu’un pourcentage plus élevé de personnes interrogées affirmaient être atteintes de symptômes de dépression au quotidien pendant la pandémie (20 %) par rapport à la situation antérieure (2 %). Les auteurs de cette étude rendue publique le 5 janvier 2021 et intitulée « Risk of healthcare worker burnout in Africa during the COVID-19 » ou « Risque d’épuisement professionnel des travailleurs de la santé en Afrique pendant la pandémie de COVID-19 » ont rapporté que le pourcentage d’agents de santé déclarant ne jamais s’être sentis déprimé est passé de 61 % avant la pandémie à 31 % pendant la pandémie. Cela témoigne donc de l’ampleur du phénomène.
Le secrétaire général du Syndicat démocratique des travailleurs de la santé et du secteur social (SDT3S) qui admet la pléthore de cas de Burn-out durant la pandémie a dénoncé les mauvaises conditions de travail des agents de santé. « Il y a des choses qui ne pouvaient pas nous surprendre parce que nous savions déjà dans la planification, l’importance des ressources humaines dans le cadre de la prise en charge. Cette épidémie n’était pas prévue dans l’organigramme des services. Donc, il fallait s’adapter à cette nouvelle donne », explique Cheikh Seck.
Avec l’évolution de la COVID-19 depuis presque deux ans, chaque matin son syndicat fait le point sur la situation des Centres de traitement des épidémies (CTE), révèle-t-il. « Nous avons noté une insuffisance de personnel parce que des gens travaillaient pendant 24h d’affilée. De plus, l’accompagnant du malade exerce une pression énorme sur le personnel soignant. Chaque malade pense qu’il a une situation plus urgente que les personnes trouvées sur place », raconte le syndicaliste qui déplore la gestion de la pandémie par les autorités sanitaires. « Ce qui est dommage et qui fait mal », selon Cheikh Seck, c’est que l’argent qui était destiné à la riposte contre la COVID-19 soit utilisé à d’autres fins ».
« J’ai fait trois Burn-out en une année »
Selon Pr Aïda Sylla, les principales causes du burn-out résultent de conditions de travail insatisfaisantes et/ou frustrantes. Le travailleur n’a pas les moyens de communiquer sur ses conditions de travail et ne peut pas y amener un changement. Un des agents de santé que nous avons rencontrés avoue avoir fait trois burn-out en une année. « J’ai travaillé dans un hôpital qui accueillait les malades COVID à Thiès. J’ai eu énormément de patients COVID. A un moment donné, le système public n’en pouvait plus, il n’y avait plus un système de tri. Je devais trier les malades et les rediriger. C’était un travail risqué, d’ailleurs j’ai eu le COVID deux fois », confie Dr Youssou Sow.
Chirurgien gynécologue à l’hôpital de Pikine, Dr Youssou Sow raconte qu’en ces périodes de syndrome d’épuisement professionnel, il ne se sent pas motivé. « Je n’ai pas cette volonté d’y aller. Parce que j’en ai beaucoup vu et que j’ai trainé ce sentiment pendant des mois », confesse-t-il.
A la question de savoir s’il s’est fait suivre par un spécialiste, la réponse de Dr Sow est sans appel : « Absolument pas », rétorque-t-il. «Personnellement, la seule chose qui me permettrait de gérer cela, c’est de prendre un mois de répit ; faire quelque chose d’autre que la médecine. Je ne vois pas de malades, je ne prends pas les appels des malades, je ne circule pas entre deux ou trois hôpitaux. C’est la seule issue que je vois pour moi pour sortir de cela », argumente-t-il. Le Dr Sow reconnait toutefois que certains de ses confrères vont voir des spécialistes pour suivre un traitement.
Quel traitement pour des cas avérés de burn-out ?
Pour la professeure de psychiatrie Aïda Sylla, la prise en charge des cas de burn-out chez le personnel de santé, a consisté en « la prescription de médicaments et la communication avec les médecins du travail pour des réaménagements au niveau professionnel ». D’après elle, un bon indicateur de l’ampleur du burn-out en milieu hospitalier serait les changements de profession. « Certains agents de santé vont migrer vers des postes administratifs pour échapper à la frustration de travailler dans des conditions matérielles inadéquates », constate-t-elle. Cette psychiatre révèle avoir vu du personnel de santé affecté par le burn-out en grand nombre lors de la pandémie à COVID-19.
Des témoignages d’agents de santé dont le nombre d’heures de travail est revu à la hausse et qui ont éprouvé une détresse mentale sont légion. C’est le cas de cet ambulancier en service au CHU de Fann. « Je n’avais pas de vie de famille. L’avènement de la pandémie au Sénégal a été très dur pour moi. Entre transfert des malades, des corps, et l’acheminement des prélèvements à l’Institut Pasteur de Dakar, la charge de travail était insoutenable », témoigne-t-il sous couvert d’anonymat.
Ce dernier, en plus d’avoir chopé le virus, soutient avoir souffert le martyre au cours des quatre premiers mois de la pandémie. « Mentalement je ne tenais plus. Je suis resté plus de deux mois sans travailler », confie-t-il. Après des semaines de repos, et un suivi médical, cet ambulancier en service depuis les années 1990 a repris le travail et se réjoui de la décrue des contaminations notée ces dernières semaines. Si le burn-out ne fait pas la une des journaux ce n’est pas pourtant qu’il n’existe pas. La pathologie s’est d’ailleurs révélée davantage au plus fort de cette pandémie comme l’explique le médecin du travail Dr Moustapha Sakho.
Enquête réalisée par Alioune DIATTA (Art 1)