Le Sénégal ne compte que 8 orthophonistes dont 5 nationaux et 3 étrangers en cours de formation.
Le bégaiement est l’un des handicaps les moins bien pris en charge au Sénégal dans un contexte de déficit criant de spécialistes que sont les orthophonistes. Selon Alioune Guèye, premier orthophoniste du Sénégal et président de l’Association sénégalaises pour la prise en charge du bégaiement au Sénégal (Apbs), non seulement les spécialistes sont insuffisants pour l’ensemble du pays, mais les 8 orthophonistes sont basés dans la région de Dakar au détriment de l’hinterland où la demande reste tout aussi forte. « Pour leur prise en charge, ces patients de l’intérieur sont obligés de venir à Dakar », se désole Monsieur Alioune Gueye.
Le déficit d’orthophonistes au Sénégal s’accompagne d’un manque notable d’infrastructures. Le Sénégal ne dispose d’aucune école publique qui forme des orthophonistes. La seule structure sénégalaise dédiée est une école privée logée à l’intérieur de la Faculté de médecine et dont les frais de scolarité sont onéreux et loin d’être à la portée de tous. D’ailleurs, Alioune Guèye a plaidé le weekend dernier pour la construction d’une structure de prise en charge.
« Il est urgent de créer une école de formation en orthophonie, car la demande est très forte. Nous ne sommes que cinq si je prends en compte les deux étudiants en fin de formation », a-t-il dit à la presse, samedi lors de la célébration, à Saint-Louis, de la Journée mondiale du bégaiement, cité par l’Agence de presse sénégalaise. « Je lance un appel aux autorités pour la construction d’une structure publique de formation d’orthophonistes au Sénégal », insiste-t-il.
Au Sénégal, le nombre de bègues est évalué à 170 000 et sont essentiellement pris en charge dans les structures privées. Ce chiffre met en lumière le déficit relevé plus haut. « Le bégaiement, précise Mr Alioune Guèye, n’est pas une maladie, mais un handicap au même titre que les autres qui peut-être bel et bien traité ». Toutefois, poursuit le spécialiste, « certains cas de bégaiement peuvent être accompagnés de trouble de l’attention, d’une perte de confiance en soi, d’anxiété et nécessite une prise en charge psychologique. C’est pourquoi nous travaillons en étroite collaboration avec les neurologues et les psychologues ».
Les causes du bégaiement
Abordant les causes du bégaiement, M. Alioune Guèye, contrairement à certaines opinions véhiculées sur le sujet, explique qu’il est impossible de devenir bègue par imitation. La cause la plus plausible est génétique. « Beaucoup d’orthophonistes se rapprochent plus de la thèse génétique. Des études ont démontré que la plupart des personnes bègues ont des parents ou arrières-parents qui bégaient », explique le spécialiste avant d’ajouter « le bégaiement peut aussi être dû à des facteurs externes tels que le stress, l’émotion ou la colère. L’individu qui devient bègue face à ces situations a besoin d’être encadré par un orthophoniste».
Qu’est-ce qu’un orthophoniste
L’orthophoniste est un spécialiste qui s’occupe de la prévention, de l’évaluation, du traitement des troubles de la voix, de l’alimentation, de la parole, des fonctions associées à la compréhension, à la réalisation et à l’expression du langage oral et écrit. Il a aussi en charge le traitement des autres formes de communication humaine et des troubles associées, chez l’enfant, l’adolescent, l’adulte et la personne âgée. «Toutes personnes présentant un handicap lié à la parole ou à la communication a besoin d’un orthophoniste », estime monsieur Alioune Guèye.
« Le retard de langage chez l’enfant est traité par l’orthophoniste de même que les troubles de la voix chez une personne âgée dus à un accident cardio-vasculaire (AVC). Il est donc difficile dans ces cas-là de se passer d’un orthophoniste, confesse-t-il. Malgré cette importance de l’orthophoniste, les autorités politique ne semble pas prendre en charge la question de la formation de spécialistes dans ce domaine
Cela dénote d’un « manque de volonté de la part des autorités », déplore le professionnel. Dans la sous-région, la situation n’est pas particulièrement reluisante sauf quelques rares pays qui restent en avance sur le Sénégal en termes d’infrastructures. Des pays comme le Togo ou la Côte d’Ivoire ont une longueur d’avance en termes d’infrastructures d’orthophonie par rapport au Sénégal. L’Ecole d’orthophonie du Togo par exemple existe depuis 15 ans. La Côte d’Ivoire est aussi un pays qui forme beaucoup d’orthophonistes. Cependant, des pays comme le Mali ou la Guinée n’en disposent pas. Les ressortissants de ces pays sont obligés d’aller à Abidjan ou de venir à Dakar.
D’après Fatoumata Gaye, coordonnatrice de l’Association pour la prise en charge du bégaiement au Sénégal, l’Organisation mondiale de la santé (Oms) estime que le nombre de bègue représente 1% de la population mondiale. « Au Sénégal, aucun recensement n’a encore été fait par la tutelle pour connaitre le nombre de bègues »
Le bégaiement, facteur de discrimination
Toujours selon Fatoumata Gaye, il y a une sorte de stigmatisation que vivent les personnes souffrant du bégaiement dès lors qu’il s’agit de recrutement dans l’Administration ou dans les entreprises. Pourtant, il existe selon le Dr Guèye beaucoup de bègues très compétents mais qui malheureusement s’insèrent difficilement ou sont même recalés lors des concours où l’aisance à l’oral est essentielle pour se démarquer des autres candidats.
Par Amadou Guèye