Les défis de l’épidémie de la COVID -19 dans la région africaine
Selon les rapports disponibles, le 23 juin 2020, l’Afrique a enregistré 315 410 cas de lacovid-19 .L’Afrique subsaharienne est relativement peu touchée par l’épidémie en comparaison de l’Europe, de l’Amérique du Nord et du Sud mais aussi d’autres pays du continent, tels que l’Afrique du Sud qui comptabilise 32 % des cas. Les taux de décès apparaissent cependant beaucoup plus faibles en comparaison d’autres contextes européens ou américains. Ce « succès », malgré les moyens limités, a trouvé des tentatives de justifications comme par le rôle du climat, la faible densité dans les villes et les campagnes, les effets indirects des traitements de masse antérieurs( la chloroquinisation), le faible déplacement interlocalités, la jeunesse de la population, la plus grande réactivité de certains pays.
Malgré les premières alertes rapportées par la Chine fin 2019, et le premier cas notifié en dehors de la Chine le 20 janvier 2020, les systèmes de santé de cette région ont manqué de réactivité et de proactivité, comme bien d’autres pays du monde. De manière générale, il a fallu l’apparition des premiers cas pour commencer à mobiliser les ressources humaines, matérielles, informationnelles et financières nécessaires.
La gestion de la COVID-19 a nécessité, dès les premiers moments, un apprentissage par la production continue des connaissances relatives aux paramètres de l’épidémie : le R0 (taux de reproduction de base du virus), la durée d’incubation, l’intervalle intergénérationnel (temps entre le moment où une personne infectée rencontre une personne indemne (naïve) et le moment où celle-ci va développer la maladie), le taux d’attaque (nombre de personnes nouvellement infectées par rapport à l’ensemble de la population naïve), le pourcentage de formes graves nécessitant l’hospitalisation et sa durée, le taux de mortalité. Pendant cet apprentissage, les pays ont collectivement ou individuellement développé des mesures de santé publique pour lutter contre la COVID-19, bien qu’elles soient intervenues avec retard. Relevons les mesures les plus significatives : la déclaration de l’urgence nationale, la production de plans d’urgence et de directives, la mise en place des comités de gestion (sub et supranationaux), la protection individuelle par les masques et le lavage des mains, la distanciation physique, les formes de limitation des déplacements entre les régions, la quarantaine, la fermeture des frontières, l’isolement et la prise en charge des cas suspects dans des unités de soins spécifiques, la recherche de traitements anti-viraux efficaces et, à plus long terme, d’un vaccin, la fermeture des espaces publics, des marchés et des écoles, le soutien financier et alimentaire apporté par des ONG et par les États aux populations les plus affectées économiquement par la COVID-19, le recours au télétravail.
La COVID-19 dans des systèmes de santé exposés à la fragilité et en quête de résilience
Les systèmes de santé des pays africains au sud du Sahara sont caractérisés par une faible capacité d’adaptation face aux épidémies, car pour la plupart sous-financés. Les dispositifs de réponse face aux menaces sanitaires de grande ampleur et transfrontalières sont encore limités à cause des modèles persistants de priorisations et de planification guidés par les institutions financières. L’intégration régionale ou sous régionale dans le domaine de la santé est peu développée. Les mesures de protection de la population et du personnel soignant, à l’intérieur des pays et aux points d’entrée des frontières, nécessitent encore un renforcement. Cette fragilité adaptative est couplée à un traditionnel défi dans l’offre et dans l’accès aux soins et aux services. C’est une pénurie des ressources humaines et matérielles de base pour développer des soins et des services aux normes. Malgré l’engagement pour la Couverture Sanitaire Universelle et les politiques de gratuité, l’accès aux services et aux soins est contraint par la faiblesse du système de solidarité ou de couverture sociale, entraînant des dépenses importantes et un appauvrissement continu des populations. L’accès aux soins et aux services est également influencé par des contraintes logistiques, infrastructurelles et des logiques socioculturelles. Les fonctions de la santé publique ne sont pas suffisamment développées, notamment en ce qui concerne la sécurité sanitaire des populations. C’est dans ce contexte que la covid-19 est apparue et a été prise en charge par les pays.
Pourtant, certains pays du continent avaient été exposés 10 ans auparavant à l’émergence de certaines maladies infectieuses virales comme EBOLA, DENGUE, ZIKA, etc. Des stratégies prenant des dimensions régionales et sous régionales ont été développées pour rendre les systèmes de santé plus résilients face aux menaces et aux catastrophes sanitaires. La promotion des fonctions de la santé publique a connu un regain d’intérêt au niveau continental par la création, en 2015, d’un « Centre of disease control » (CDC africain), le repositionnement des organisations sous régionales, comme la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest – (CEDEAO), pour accompagner les pays vers l’accès à des infrastructures de santé publique comme les instituts nationaux de santé publique (INSP), les centres des opérations de réponse aux urgences sanitaires (CORUS ou COUS)). Cependant, ces organisations ont été insuffisamment appropriées par les pays qui ont été rattrapés par la COVID-19.
Les enseignements de la COVID-19 en Afrique Subsaharienne.
La survenue de cette maladie crée des opportunités pour accélérer la marche vers le renforcement de la fonction de veille sanitaire, déjà entrepris dans le prolongement des réformes de ces 10 dernières années. La gestion de la COVID-19 dans cette région de l’Afrique a montré l’importance de la mobilisation et de l’implication des communautés dans la gestion de la santé publique et des épidémies, de l’importance du leadership institutionnel dans la riposte et dans la communication sur les risques.
S’agissant de la mobilisation et de l’implication des populations dans la gestion des épidémies : comment arrimer les mesures de protection individuelle et collective sans porter atteinte aux libertés individuelles et collectives ? Comment articuler santé publique et démocratie ? La santé publique des pays de l’Afrique au sud du Sahara est confrontée à ce dilemme comme dans d’autres régions. De l’analyse de leur application, il ressort que la mesure de mise en quarantaine des villes actives (avec au moins un cas positif au coronavirus) a semblé relativement bien suivie. Il s’est agi de l’isolement des villes, de la fermeture des points d’accès aux grandes villes, de la fermeture des lieux publics. Par contre, les dispositions relatives au confinement, au port de masques faciaux à caractère obligatoire dans certains pays et à la distanciation physique sont plus discutables. La mesure du lavage des mains semble relativement bien acceptée. Cependant, dans un contexte de rareté de l’eau dans les ménages, elle est difficilement applicable. Les couvre-feux n’étaient pas respectés par certaines populations qui préfèrent s’exposer aux sanctions pour répondre à leurs besoins journaliers essentiels, ou ressentent le besoin de sortir du fait de la surpopulation de certains logements urbains. Ces contraintes ont engendré des mesures répressives contre la population, des comportements de résistance de la population pour faire lever plus tôt les mesures barrières collectives sans que, dans certains pays, les dispositifs de prévention soient optimisés. Il ressort de ces constats qu’il est difficile de demander aux populations de modifier brusquement leurs comportements et normes sociales sans préparation . La santé publique est faite pour les populations, à la fois pour les protéger et pour réduire les inégalités sociales. Par conséquent, le comportement répressif et agressif de certains gestionnaires de la santé publique au cours de cette épidémie témoigne d’une impuissance et d’un manque d’arguments pour traiter de telles questions à caractère largement social. Cela démontre encore la faible implication des populations organisées dans la gestion de leur propre santé, comme le prévoient les programmes de santé communautaire. Devant la rareté des ressources humaines en santé, dont certaines n’ont pas les compétences pour communiquer avec les populations, les réseaux communautaires constituent le bon pilier pour s’introduire dans les communautés et pour faciliter la mise en œuvre des stratégies de communication de proximité et de suivi des mesures barrières.
S’agissant du leadership institutionnel dans la riposte, dans la plupart des pays d’Afrique subsaharienne, des infrastructures de santé publique sont en maturation, notamment des opérateurs de la veille sanitaire. Ces infrastructures ont pour mandat de produire l’intelligence normative et du savoir-faire en lien avec les départements des ministères de la santé et des autres secteurs de la santé selon une approche One Health (la sécurité, l’élevage, l’environnement). Ce mécanisme de coordination nationale de la gestion des épidémies comme la COVID-19 mérite encore un renforcement. Cette coordination évite les chevauchements intra-sectoriels et intersectoriels dans la prise de décision au cours de la gestion de la COVID-19. Ces infrastructures répondent bien aux préoccupations actuelles de la santé publique posée sur la communication sur les risques. La gestion actuelle de la Covid-19 laisse penser que la communication institutionnelle sur les risques a échappé aux gestionnaires de la crise. L’analyse montre que les principales sources d’information sur les risques liés à la COVID-19 viennent des médias, télévision, radio, mais aussi réseaux sociaux tel que Facebook et Twitter qui peuvent véhiculer des thèses complotistes, disséminent de fausses informations, thèses complotistes, fausses rumeurs sur la maladie, avec une perte de confiance entre les gestionnaires de la crise et la population. Par conséquent, il faut repenser globalement le leadership institutionnel et son rôle dans la communication publique sur les risques et la gestion des rumeurs. Cette maîtrise de l’information devient une composante indispensable à développer davantage pour la gestion de la santé publique, car une bonne gestion de cette communication permet d’anticiper, d’ajuster et de rendre plus résilientes les initiatives liées à la sécurité sanitaire.
La gestion de la COVID-19 par les systèmes de santé des pays de l’Afrique est un apprentissage continu des capacités d’adaptation individuelle et collective. Même si la résilience d’un système de santé commence par la résilience au niveau individuel, la résilience collective qui semble avoir joué un rôle plus positif dans la réponse face à la COVID-19 devrait être mieux valorisée. Elle engage mieux la dynamique populationnelle et valorise mieux la santé publique
Dr Serigne Falilou Samb