Dr Balla SY, Médecin du travail, Consultant / Formateur en QHSE :
Rigoureusement organisée sur le plan législatif, la médecine du travail ne serait toutefois pas largement adoptée au Sénégal par des entités qui y sont astreintes. En effet, beaucoup de chefs d’entreprises ne s’engagent pas sur ce plan. Certains préfèrent se tourner tout simplement vers un médecin d’entreprise en lieu et place d’un médecin du travail attitré. Conséquence, le médecin d’entreprise se contentera de faire la médecine curative alors même que la médecine du travail est essentiellement préventive. De ce point de vue, l’efficacité et le rendement que devrait garantir le médecin du travail se trouvent compromis. Dans cet entretien, le Dr Balla Sy, consultant en médecine du travail et formateur explique les enjeux et les défis de cette spécialité médicale au Sénégal. Le spécialiste décline les missions de la médecine du travail et relève un certain laxisme de la part des pouvoirs publics qui ne prennent pas des mesures pour contraindre des entreprises à engager un médecin du travail conformément aux dispositions de la loi en vigueur. ENTRETIEN
Qu’est-ce qui explique l’absence de service médical dans beaucoup d’entreprises qui y sont pourtant astreintes en vertu du décret n° 2006-1258 du 15 novembre 2006
C’est toujours bien de rappeler l’article 8 du décret n° 2006-1258 du 15 novembre 2006 fixant les missions et les règles d’organisation et de fonctionnement des services de Médecine du travail. Il stipule que les établissements qui ont un effectif égal ou supérieur à quatre cents travailleurs doivent créer un service médical d’entreprise. Plusieurs situations peuvent ainsi expliquer l’absence de service médical dans les entreprises. D’abord certains employeurs ignorent cette disposition légale. D’autres la connaissent mais ne l’appliquent pas correctement. Il s’agit des entreprises qui contractualisent avec des médecins non spécialisés en santé au travail sous forme de vacation. Des motifs économiques peuvent aussi être évoqués car la création d’un service médical a un coût. Il faut recruter du personnel médical qualifié, construire une infrastructure de santé et l’équiper avec du matériel médical. Par ailleurs, l’inspection du travail doit jouer son rôle de contrôle et de veille réglementaire. Toute entreprise qui ne se conforme pas à cette loi devrait en être contrainte sous peine d’être sanctionnée.
La culture de la médecine du travail n’est donc pas répandue au Sénégal malgré l’obligation légale… Quel est le niveau d’application des dispositions règlementaires en la matière ?
Il sera difficile de parler de niveau d’application si une évaluation ou un audit du secteur n’a pas été réalisé. On constate juste que plusieurs entreprises au Sénégal ne disposent pas d’un service médical dirigé par un médecin du travail qui travaille à temps plein. Ce qui lui permet d’assurer pleinement sa mission de préventeur (évaluer et prévenir les risques professionnels, sensibiliser les salariés…). Le médecin vacataire, en revanche, travaille à temps partiel (exemple : 02 matinées dans la semaine) pour ne faire que des consultations curatives c’est-à-dire traiter des maladies. Il faut rappeler que la médecine du travail au Sénégal est essentiellement préventive. Ce qui veut dire que le médecin du travail doit d’une part évaluer les postes de travail, identifier les risques et proposer des mesures de prévention et d’autre part prendre en charge les salariés malades.
De façon précise, quelles sont les missions du médecin du travail dans l‘entreprise et son action dans la pratique ?
Certaines missions ont été déjà abordées dans les réponses précédentes. Le médecin du travail est d’abord le conseiller de l’employeur, des salariés, des représentants du personnel, des services sociaux sur toutes les questions liées à la santé des travailleurs. Il doit entres autres :
- faire la visite médicale d’embauche de tous les salariés nouvellement recrutés afin de déterminer leur aptitude aux postes affectés ;
- organiser la visite médicale annuelle de tous les salariés pour évaluer leur état de santé ;
- participer à l’évaluation des risques professionnels (risques chimiques, biologiques, physiques, ergonomiques, psychosociaux…) à travers des visites des lieux de travail ;
- proposer des adaptations ou aménagements de poste pour les travailleurs qui présentent un état de santé incompatible avec les exigences du poste de travail ;
- analyser les causes des accidents du travail avec le Comité d’hygiène et de sécurité au travail dont il est membre ;
- réaliser ou faire réaliser la métrologie d’ambiance pour protéger les salariés contre les nuisances et notamment, contre les risques d’accidents du travail ou d’utilisation des produits dangereux ;
- promouvoir l’hygiène et la santé à travers une sensibilisation et une éducation sanitaire.
Parlons des résultats de cette médecine. Pensez-vous que les entreprises qui ont un médecin du travail attitré notent une plus-value dans leur entreprise ?
Oui, bien-sûr. Déjà sur le plan préventif, le médecin du travail en collaboration avec les autres membres du Comité d’hygiène et de sécurité au travail (CHST) préviennent la survenue des accidents du travail et des maladies professionnelles. Ce qui peut à la fois réduire le taux d’absentéisme et les dépenses en santé. En France, le coût moyen annuel de l’absentéisme au travail est estimé à 25 milliards d’euros, soit environ 3 500 euros annuels par salarié. Donc l’absentéisme est un manque à gagner énorme pour l’entreprise.
L’intervention du médecin du travail sur les risques professionnels améliore la santé et la qualité de vie des travailleurs et donc la productivité de l’entreprise. Par ailleurs, les consultations curatives au service médical sont gratuites pour les agents et leurs familles. Ce qui réduit également les dépenses en santé du personnel et de l’entreprise.
Les employeurs qui ont compris l’importance de la médecine du travail ne lésinent pas sur les moyens pour un fonctionnement optimal du service médical d’entreprise.
Pourquoi certaines entreprises optent-elles pour un médecin non spécialisé en santé au travail qui pourtant n’est pas habilité à opérer comme médecin du travail?
Parce que tout simplement recruter un médecin non spécialiste en santé au travail coûte moins cher.
Avez-vous une idée de combien de médecins du travail compte le Sénégal aujourd’hui et quelle est la répartition géographique dans le pays ?
Je ne sais pas. Peut-être que le département de Santé au travail de la faculté de Médecine ou l’Association des Médecins d’entreprise du Sénégal pourront vous donner le nombre de médecins du travail que compte le Sénégal. L’inspection du travail pourra peut-être aussi vous dire combien d’entreprises disposent d’un médecin du travail.
Existe-t-il une association ou société savante qui regroupe les praticiens de la santé au travail dans le pays ? Que fait la chaire de médecine du travail pour la promotion de cette discipline médicale et l’observance des dispositions règlementaires ?
Il y’a plusieurs organisations qui regroupent les praticiens de la santé au travail :
- l’Association des médecins d’entreprise du Sénégal (AMES)
- la Société sénégalaise de santé au travail et environnement (SOSESATE)
- International commission on occupational health (ICOH)
- l’Association des paramédicaux d’Entreprise du Sénégal (APES).
Globalement quels sont les défis de la médecine du travail au Sénégal ?
Le principal défi de la médecine du travail au Sénégal est l’application stricte et sans réserve par toutes les entreprises du décret 2006 – 1258 du 15 novembre 2006 organisant les missions et le fonctionnement des services de médecine d’entreprise. Ce qui permettra :
- Un recrutement massif des médecins du travail en temps plein
- Un recrutement de personnel infirmier et secrétaires médicaux à temps plein dans les services médicaux d’entreprise
- La création de service médical inter-entreprise pour les entreprises qui ont un effectif de moins de 400 employés
- Une amélioration de leurs conditions de travail
Interview réalisée par Frédéric ATAYODI