Les temps de Carême ou de Ramadan constituent une période difficile pour le Centre national de transfusion sanguine avec une raréfaction des donneurs. Directeur du CNTS, Pr Saliou Diop explique cette situation dans cet entretien et décline les mesures palliatives pour ravitailler les banques de sang.
Est-ce que le Carême, démarré la semaine dernière par la communauté chrétienne, est une période de raréfaction des donneurs de sang ?
Les périodes de jeûne sont des moments où l’on s’attend à une réduction du nombre de donneurs. Par exemple, nous savons que, pendant le mois de Ramadan, on a environ 25% de moins de donneurs de sang. C’est la raison pour laquelle nous avons des stratégies pour faire de telle sorte qu’avant le Ramadan qu’on puisse disposer de stocks plus importants. Nous sensibilisons également les prescripteurs concernant les activités qui demandent du sang, pour les reporter si ce n’est pas urgent parce que nous savons que ce sont des périodes où il y a moins de sang. Si on a les deux communautés qui ne jeûnent pas au même moment, on compte sur l’une d’elles. Ce qui n’était pas le cas l’année dernière avec les deux communautés qui ont presque jeûné en même temps. Pour cette année, ce sera un peu décalé. Dans tous les cas, on s’attend à ce qu’il y ait moins de dons et il faudra faire un stock suffisant pour pallier le déficit.
Quel est l’état des lieux des banques de sang au Sénégal ?
Les défis qui se posent actuellement au système transfusionnel du Sénégal concernent sur toute la faible disponibilité du sang. Pour des besoins estimés à 180000 poches de sang par an, le Sénégal n’a réalisé que 117000 dons en 2022. Nous sommes en train d’actualiser les données de 2023 et cela re présente un gap qui persiste depuis une dizaine d’années. Un gap qui tourne entre 30 et 40% des besoins. C’est vrai que la résorption du gap se fait progressivement, mais les conséquences sont fâcheuses parce que cette faible disponibilité du sang explique pourquoi il y a parfois des activités médicales qui doivent se tenir et qui ne peuvent pas se faire. Ces ruptures surviennent lors des longs weekends ou durant les périodes de fête. Cette situation s’exacerbe durant le Ramadan et pendant les vacances.
Est-ce que la fermeture de l’Ucad a un impact sur la raréfaction des donneurs ?
Oui ! parce que les étudiants constituent notre principale source de don de sang. Le système est très fragile. Il suffit juste qu’il y ait un soubresaut pour que ce déficit et cette rupture se voient. L’impact est que des malades qui sont dans les hôpitaux, ayant besoin du sang, ne peuvent pas être satisfaits. Les besoins en sang augmentent parce que nous avons des pratiques médicales de plus en plus spécialisées. Il y a beaucoup de malades qui ont des cancers traités par des chimio thérapies. Des types de traitement qui n’existaient pas avant. Les centres d’hémodialyse, il y en avait très peu et, maintenant, on a beaucoup de centres sans compter la chirurgie très spécialisée avec la chirurgie cardiovasculaire. Plus le pays va se développer sur le plan des infrastructures médicales. On va vers la greffe de rein – plus les besoins en sang vont être importants.
Que faut-il pour combler ce déficit ?
Cela exige une conscience populaire sur le fait que le don de sang doit être une habitude de chacun. Le meilleur système pour disposer du sang, c’est de susciter le volontariat, l’altruisme… Il faut que toutes les personnes entre 18 et 60 ans soient conscientes au moins 2 ou 3 fois par an, pour se déplacer et effectuer un don de sang. Il y a une problématique de disponibilité du sang. Maintenant, il y a deux autres problématiques qu’il faut tenir en compte. En effet, il y a une question d’organisation du système dans le pays. Si on veut respecter l’équité, il faut que la pratique transfusionnelle soit la même : que ce soit à Dakar, à Kédougou, à Touba et partout dans le pays. Il faut que le système transfusionnel soit de même qualité partout dans le pays.
Pourtant, une loi a été votée en 2020 en ce sens. Est-ce qu’elle est entrée en vigueur ?
Cette loi qui a été votée en 2020 est promulguée. On at tend encore l’aboutissement parce que le décret a été élaboré et se trouve actuellement au niveau du Secrétariat du Gouvernement. Nous sommes très pressés que ce décret, qui organise la pratique transfusionnelle dans le pays, puisse sortir. Mais, cela ne suffit pas parce qu’il faut des centres régionaux de transfusion sanguine, des postes de transfusion sanguine et des dépôts de transfusion sanguine. Cela me renvoie à la troisième problématique qui est le financement. Pour avoir cela, il faut de l’argent. Actuellement, dans l’idée populaire, le sang est donné gratuitement et il doit donc être gratuit. Le souci est que, pour faire un produit sanguin de qualité, cela demande beaucoup de ressources. Donc, l’État doit donner des subventions et des ressources nécessaires pour ça. Sinon, il faut trouver d’autres formules. Beaucoup de formules existent dans tous les pays du monde. Je donne l’exemple de la France où c’est la Sécurité sociale qui rembourse pour les patients.
Dans d’autres pays, c’est le patient qui paie, même si je suis contre cette option. Si ces conditions sont réunies, la transfusion sanguine va jouer son rôle de support de l’activité médicale et contribuera à l’amélioration de notre système de santé en réduisant la mortalité maternelle infantile. En effet, chez les femmes qui accouchent, 25% des causes de décès sont liés à un problème de sang, des hémorragies. Donc, régler le problème de la transfusion sanguine, c’est permettre de réduire la mortalité maternelle infantile, sécuriser la transmission d’infections et améliorer la prise en charge des urgences. Quand il y a des urgences, il faut que le sang soit sur place et non faire attendre le patient pour aller chercher du sang.
Comment expliquer les disparités qui existent entre le centre de Dakar et les autres centres régionaux ?
À Dakar, il y a une structure, un plateau technique qui permet d’utiliser des équipements plus élaborés. On peut, par exemple, séparer le sang en ces différents produits. Ces investissements, on ne peut pas les avoir partout dans le pays. Ce n’est pas possible. Donc, il faut les regrouper dans des plateaux. C’est ce qu’on appelle les centres régionaux de transfusion sanguine. Je pense que cela a été très tôt compris et c’est l’idée de la réforme avec la nouvelle loi.
Combien de centres existent dans les autres régions ?
En dehors de Dakar, il y a le Centre régional de transfusion sanguine à Matam. Il y en a un en construction à Louga et un Centre de transfusion sanguine à Kaolack.
Quels sont les grands axes du Plan stratégique de trans fusion sanguine 2022-2026 ?
Compte tenu des difficultés que j’ai énumérées, nous avons élaboré un Plan stratégique avec des orientations. La première, c’est comment optimiser la disponibilité du sang et faire en sorte que cela puisse satis faire tous les besoins. La deuxième orientation, c’est comment faire pour mieux coordonner l’activité transfusionnelle dans le pays de telle sorte que la structuration décrite plus haut soit élaborée. La troisième orientation est de faire en sorte qu’il y ait un système pérenne pour le financement. Ensuite, l’autre orientation vise le renforcement du capital humain. Il s’agit de former les gens, d’élaborer des projets de recherche et d’enseignement.
Quel est le budget du CNTS ?
Au niveau du Sénégal, il faut savoir qu’il y a le CNTS de Dakar, un établissement public de santé qui reçoit une subvention directe de l’État avec un budget global qui tourne autour d’un milliard de FCfa. Mais, vous savez, dans un budget, il y a ce que l’État donne, les ressources propres générées. Cependant, il faut savoir que les 45 % de dons de sang dans le pays sont faits dans les régions, dans les autres centres qui ne sont pas le CNTS. Et ce financement-là est assuré directement par les structures hospitalières qui hébergent ces banques de sang.
Infomed avec Le Soleil