Fin des spéculations et autres conjectures sur l’étrange phénomène de santé qui sévit à Ngor depuis une décennie. Deux chercheurs de l’Institut sénégalais de recherche agricole (ISRA) et de l’Institut de recherche pour le développement (IRD) ont découvert les vraies causes des maux saisonniers qui sévissent de manière circonscrite dans la commune de Ngor. Contrairement aux différents bruits qui couraient ici et là, c’est une «microalgue marine toxique» qui est à la base de ce problème de santé publique.
Depuis une dizaine d’année, à l’approche de l’hivernage, les habitants riverains de la mer, les professionnels et autres habitués de sport nautique sont pris de manière subite et brutale d’éternuement, de maux de gorge, de rhinite, de fièvre, de maux de tête et d’otite. «Ce phénomène sporadique débute au changement de saison, et se produit par intermittence tout au long de la saison chaude jusqu’à la reprise des alizés (saison froide)», explique un article publié sur le site de l’ISRA.
Longtemps, la situation est restée inexplicable et préoccupante pour les scientifiques qui se sont penchés sur le sujet. Ce qui a favorisé l’émergence de thèses les plus invraisemblables et irrationnelles. En effet, certains ont soutenu que ces problèmes résultaient de la non observance de normes et règles sociales en l’occurrence des jeunes coupables selon les dires, de comportements contraires aux bonnes mœurs. D’autres explications aussi faciles et rassurantes pour le cerveau, mais plus rationnel, consistaient à dire que le phénomène est dû à la pollution marine. Mais rien de tout cela ne tenait la route sans des études empiriques.
Il a fallu du temps pour que les vraies causes soient révélées au mois de septembre dernier. Saisis par la société civile, deux chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et du Centre de Recherches Océanographiques Dakar-Thiaroye de l’Institut Sénégalais de Recherches Agricoles (ISRA/CRODT) ont effectué une mission sur le terrain pour prélever des éléments susceptibles de fournir un début de réponse à l’énigme.
Selon un article publié sur le site d’ISRA, les chercheurs «ont fait des collectes d’algues, d’oursins et de fleurs d’eau, pour après procéder à des observations et des analyses de la population d’ostreopsis au laboratoire de la biologie marine du CRODT de l’ISRA». De leur étude, il est ressorti que les symptômes provoqués qui sont apparus dans cette commune il y a une décennie, sont causés par « une microalgue marine toxique».
D’après l’équipe de recherches bien que «l’espèce en question» ne soit «pas encore complètement identifiée, aucun risque létal n’existe pour les populations même si elle occasionne des fièvres et des otites désagréables».
Les résultats de l’étude publiée fin septembre 2021 dans une note a été confirmée par des chercheurs allemands et français, souligne-t-on. «Dès que les symptômes caractéristiques ont commencé à apparaître, nous avons réalisé 18 plongées et prélevé un peu d’échantillons d’eau à côté d’endroits où il y a des eaux usées. On a ensuite validé que c’était une microalgue toxique, du genre ostreopsis, qui donne les symptômes que nous ont rapportés les populations», a expliqué Dr Waly Ndiaye, chercheur en aquaculture à ISRA/CRODT.
Selon l’écologue Patrice Brehmer de l’IRD, les microalgues à l’origine de cette toxine se développent à deux ou trois mètres de profondeur quand l’eau est chaude. Libérée dans l’eau, la toxine remonte quand il y a de la houle, puis les vents la transportent jusque sur le littoral. Il précise que d’autres raisons expliquent leur efflorescence.
Ceux qui avançaient la thèse de la pollution n’ont pas totalement tort si l’on en croit l’explication de Patrice Brehmer. Les eaux usées et les problèmes d’assainissement peuvent rendre la situation plus préoccupante. «Les effluents, c’est-à-dire les eaux usées non traitées, peuvent être un facteur aggravant», relève M. Brehmer.
«La première observation de ce type de phénomène, une quinzaine d’années en arrière, correspond bien à l’urbanisation massive de la presqu’île des Almadies, avec des capacités d’assainissement sous-dimensionnées. Il faut absolument, dans les plans d’urbanisme, mettre des capacités d’assainissement adéquats aux futurs lotissements», recommande M Brehmer.
F. Atayodi