Le recours à un psychologue permet de traverser plusieurs épreuves relatives aux difficultés de la vie. Malgré ces avantages, bon nombre de Sénégalais préfèrent rester réticents quant à son recours.
La psychologie. Voila une discipline qui souffre de nombreux préjugés en Afrique. Le stéréotype du “psy” comme étant celui qui soigne les malades mentaux est ancré dans bien des esprits de Sénégalais. Le psychologue n’est donc pas le professionnel de référence même si son apport peut-être bénéfique dans certaines situations, comme le confirme Maria Sow trouvée sur les deux voies de Niarry Tally.
Mine joviale et très taquine, cette femme de 29 ans a gardé de mauvais souvenirs de sa dépression mentale. « Durant mon séjour en Europe, j’ai failli devenir folle avec le confinement. La solitude et le dépaysement m’avaient fortement affectée. Je commençais à développer des signes de sociophobie. C’était très compliqué», lâche-t-elle.
Assise sur un tabouret à l’intérieur d’une gargote, elle déclare que le recours à un psychologue lui a sauvé la vie. « J’ai commencé à me sentir mieux dès que j’ai consulté un spécialiste. Les conseils et les recommandations m’ont permis de retrouver mes esprits et de rester positive », confie-t-elle. Les thérapies peuvent, selon elle, être un moyen de remonter le moral et se remettre de quelques aléas de la vie.
« Le seul moyen de retrouver ses esprits » ?
« Il y a certaines situations d’où seule l’intervention d’un psychologue peut être le seul moyen de retrouver ses esprits », soutient-elle, mine souriante. A ses yeux, l’ignorance constitue le principal frein à la consultation d’un spécialiste en cas de besoin.
« Avec si peu de visibilité, la méconnaissance continue à entourer cette discipline. Les nombreux préjugés ont fait en sorte que la population n’en voit pas l’utilité », déclare Maria. Elle poursuit : « Beaucoup souffrent de dépression et n’arrivent pas à en parler »
Un peu plus loin, sur une ruelle de Ouagou Niayes, un autre son de cloche, qui n’entre pas en divergence avec la tirade de Maria, est émis par Iba Seck. Ce sémillant jeune homme âgé d’une trentaine d’années discute tranquillement avec ses amis dans une bonne ambiance.
La fraicheur matinale fouette les visages décontractés. En chemise blanche, le pantalon déchiré au genou, il considère que le non recours à un psychologue par une grande partie de la population sénégalaise peut s’expliquer par l’ignorance.
Un signe de faiblesse
« Les gens sont analphabètes et ne connaissent même pas à quoi sert la psychologie », lâche-t-il mine souriante. Il souligne que le recours à un psychothérapeute peut-être immédiatement interprété négativement par ses compatriotes. « Nous sommes dans une société où consulter un spécialiste en cas de problèmes mentaux peut être vue comme une signe de dépression, de faiblesse ou même de folie », justifie-t-il sans tiquer.
En face de lui, Fadel Diop est du même avis. Assis sur le trottoir, il affirme que les Sénégalais ont une perception négative de tout ce qui est relatif à la psychologie et à la psychiatrie. « Notre société a ses réalités. Au-delà de la réticence de recourir à un spécialiste, nous avons la perception qu’un psychologue rend plus fou avec ses méthodes thérapeutiques pour traiter ses patients ».
Visage souriant, taille moyenne et casquette sur la tête, il affirme que la psychologie peut être un moyen de régler plusieurs fléaux qui gangrènent la société actuellement. « Le recours à un psychothérapeute peut régler plusieurs problèmes qui secouent actuellement les mœurs comme les relations de couple, de famille et leur bien-être », énumère-t-il.
Selon lui, beaucoup ignorent que le psychologue ne soigne pas que les personnes souffrant de maladies mentales ou de dépression. « La psychologie peut contribuer à la résolution des conflits et à mieux gérer d’autres aspects connexes comme l’émotion, le traumatisme et le stress », affirme-t-il.
Toutefois, il soutient que la psychologie est européenne et ses principes et outils ne s’appliquent pas totalement aux réalités culturelles africaines. « En Afrique, la vie en communauté permet de mieux gérer nos problèmes avec l’appui des proches contrairement en Occident », souligne-t-il.
La famille comme bouclier
Rencontré à la cité des HLM 1, clé à la main, body fleurette, Soda Lam estime que la santé mentale est un sujet peu abordé au sein des foyers sénégalais. «La dépression est vue comme une maladie des “blancs” et nous voyons la psychologie comme propre à la société occidentale », dit-elle sourire aux lèvres.
Teint clair, forte poitrine, traits déridés et perruque périoxydée, la vingtaine souligne qu’à force de regarder les films étrangers, la plupart des membres de la société ont la certitude que le psychologue ne peut résoudre que les problèmes des occidentaux.
« Dans plusieurs séries étrangères, les individus souffrant de dépression ou de traumatisme sont souvent soignés par les psychologues », soutient-elle. Cette perception est à l’origine de la réticence de certains. « Les gens n’ont pas l’habitude de se dévoiler facilement ou d’exposer leurs problèmes à un inconnu. Ils préfèrent se confier aux membres de leurs familles ou leurs amis pour se remettre d’une situation difficile », estime Soda.
Selon elle, l’entourage joue un rôle de support en cas de coups durs ou d’épreuves difficiles. « Nos proches agissent en première ligne pour la santé mentale individuelle. Ils sont là pour écouter, conseiller et soutenir contrairement à la société occidentale d’où la solitude est le paradigme dominant », souligne-t-elle.
Néanmoins, elle soutient que le recours à un marabout reste la pratique la plus répandue. « Nous sommes dans une société où les guérisseurs traditionnels sont perçus comme des omnipotents même dans les domaines où ils ne sont pas compétents », constate-t-elle d’un ton désolant.
Les marabouts en vogue
Un rapport de mars 2019 de la division santé mentale du Ministère de santé et de l’action sociale (Msas) souligne l’insuffisance des ressources humaines, de personnels qualifiés dans la prise en charge psychiatrique, de budget alloué à la santé mentale et l’indisponibilité des psychotropes.
Trouvé sur le jardin des Hlm 1, Mamadou Dieng est plus « sceptique ». Cet homme d’une trentaine d’années préfère relativiser quant à la nécessité de consulter un psychologue. « A quoi bon se confier à quelqu’un qui ne fait qu’augmenter vos soucis ? », s’exclame-t-il après une kyrielle de griefs.
Les yeux marrons et les rastas en bataille, il affirme que la société africaine en général a ses croyances. « L’Afrique a ses réalités qui sont différentes de celle des occidentaux », déclare-t-il. Selon lui, chaque peuple à ses coutumes et ses mythes qui lui sont propres. «Le recours à un marabout pour la résolution de nos problèmes personnels est fortement influencé par les pratiques dans notre milieu d’origine et qui ont contribué à notre éducation », soutient-il.
Ses propos ne souffrent d’aucune ambivalence comme d’ailleurs ceux Pape Demba particulièrement narquois. « La psychologie, c’est pour les blancs, ils craquent pour tout et pour rien, ils sont trop faibles. Nos guérisseurs traditionnels sont nos psychologues», estime-t-il.
En uniforme blanc et les bottes entachés de boue, la quarantaine révolue souligne que certains problèmes sont plus complexes pour nécessiter l’intervention d’un psychothérapeute. « Il y a des situations dont seul l’intervention d’un marabout peut-être la solution pour régler des problèmes dans l’urgence », affirme-t-il en faisant référence aux «rabs» (esprits) qui peuvent tourmenter les hommes pour recevoir d’eux les offrandes ou sacrifices comme du temps de leurs ancêtres.
Psychologue clinicienne et psychothérapeute à Dakar, Hélène Bazin explique que le non recours à un psychologue peut être expliqué par l’éducation inculquée dès l’enfance. « On apprend dès qu’on vient au monde à partir des modèles que sont nos parents ou les personnes qui nous élèvent et nous entourent et on se modèle en grande partie sur cette base, à partir de la manière de se comporter et de voir les choses des adultes de référence », déclare-t-elle.
Selon Madame Bazin, lorsque les enfants n’apprennent pas à exprimer leurs émotions et leurs peines, cela crée des blocages et des souffrances qui ressurgissent à l’âge adulte. Pour elle, beaucoup de personnes ont souvent recours au psychologue au dernier moment, après avoir tout essayé. « Ce sont essentiellement des femmes qui viennent se faire consulter, parfois après avoir eu recours à d’autres approches plus traditionnelles », confie-t-elle.
Selon elle, l’atout d’un psychologue reste le sens de l’écoute, la bienveillance et la confidentialité pour trouver des clefs permettant d’aider la personne, en étant dans le non-jugement. Ce qui contredit, d’après la psychologue, les rumeurs avancées sur la discipline comme étant propre aux occidentaux.
« Toute personne en souffrance sur le plan psychologique peut avoir besoin d’une aide ponctuelle dans ce domaine et se tourner vers un professionnel de la santé mentale, les psychiatres et les psychologues travaillant souvent en parallèle pour aider les patients », avance Mm Bazin.
Elle a souligné que la santé mentale reste un parent pauvre de la santé au Sénégal. « Avec les grandes urgences médicales à traiter, la santé physique est privilégiée par rapport à la santé mentale», ajoute-t-elle. Pour Mme Bazin, les personnes peuvent être en bonne santé physique et aller très mal mentalement. « Idéalement, il faudrait se saisir des deux dimensions de la santé, au même niveau de préoccupation ».
El. Hadji Ibrahima Faye