Depuis deux ans, la COVID-19 a ravi la vedette presque à toutes les autres pathologies en termes de visibilité et peut-être aussi en termes de mobilisation de fonds. Mais pour le Dr Doudou Sène, le Coordonnateur du Programme national de lutte contre le paludisme (CNLP), au Sénégal, le tempo de la lutte contre paludisme a été maintenu. D’ailleurs, le Sénégal s’est déjà mobilisé depuis des semaines pour accueillir ses premières doses du vaccin annoncé début octobre et recommandé aux pays par l’OMS. De l’avis du Dr Sène, ce vaccin nommé RTS,S est une «arme supplémentaire » dans la lutte contre le paludisme. Dans la deuxième partie de l’entretien accordé à Infomed, le médecin se félicite du candidat vaccin découvert du côté du Burkina Faso. A l’en croire, c’est une arme sophistiquée de plus. Les chercheurs doivent, selon lui, être vigilants et alertes parce que si un vaccin a été trouvé, le parasite lui ne dort pas. Il se débattra pour exister sous une autre forme comme font les virus. ENTRETIEN 2
Dr Sène le paludisme n’a-t-il pas été un peu délaissé pendant ces deux dernières années puisque la COVID-19 est devenue l’urgence sanitaire absolue ?
Non Pas du tout (il répète 3 fois). Malgré que nous fussions dans un contexte difficile lié à la pandémie de la Covid-19, des expériences qui ont été tirées de l’épidémique d’Ebola en 2014 où nous avons constaté que les gens se sont tellement focalisés sur d’Ebola qu’en Guinée et en Sierra Leone, nous avons connu une hausse extraordinaire du nombre de cas de paludisme et de décès. Je pense qu’il y a plus de 14.000 cas supplémentaires de décès en Guinée et en Sierra Leone. Et à partir de ces leçons que l’OMS a tiré à partir dès le début de l’épidémie, il a donné des recommandations fortes aux pays pour qu’ils les respectent et que, quelle que soit la situation, de continuer le combat contre le paludisme. C’est ainsi que nous avons élaboré ce qu’on appelle un plan de contingence qui nous permettait de voir quelles sont les meilleures stratégies pour dérouler nos activités. Il s’agissait donc d’assurer une meilleure protection de la population, mais également des agents de santé qui étaient chargé de dérouler ces activités sur le terrain. Ainsi, nous avons très tôt fait une dotation en masques et en gel hydrologique l’ensemble des agents de santé sur l’ensemble du territoire national.
On peut donc dire que tout ce qui avait été prévu avant l’avènement a été fait…
Nous avons pu dérouler notre campagne de chimio prévention saisonnière comme il se devait mais également la campagne d’aspersion intradomiciliaire dans les régions où il était indiqué. Nous avons également poursuivi les autres activités qui étaient prévues. C’est peut-être dans la communication que les gens ne l’ont pas senti mais les activités ont continué à se dérouler correctement parce que la COVID-19 a quand même occupé pratiquement tous les médias. Ce qui fait que vous ne pouviez pas dire des choses et que les gens vous entendent. Comme j’ai l’habitude de le dire c’est comme pleurer en période de pluie, les gens ne verront pas vos larmes (Rires).
Toutefois Dr Doudou Sène, est-ce que dans ce contexte les partenaires suivaient ?
Ils suivaient très bien. Et d’ailleurs dans ce sens, une partie des économies a servi quand même à dérouler ce plan de contingence contre le paludisme. Ceci pour vous dire que le Fonds mondial, l’USAID et la Banque islamique de développement ont injecté des ressources supplémentaires au niveau de programmes pour leur permettre d’acheter les masques, du gel hydroalcoolique et également de doter le niveau opérationnel des moyens de protection contre la Covid-19.
Le vaccin RTS-S est une bonne nouvelle certes mais en fin septembre une recherche a montré que le parasite a muté à tel point que des enfants malades avaient été testé négatifs. Est-ce que cela ne met pas en doute l’espoir que représente ce vaccin ?
Pas du tout parce que le niveau de mutation varie en fonction des pays. Peut-être qu’au niveau de l’Éthiopie et même dans cette zone ( Ndlr : Afrique orientale) ce n’est pas sur tout le territoire éthiopien que cette résistance a été constaté. C’est une étude qui a été menée et qui a montré cette modification de la composition génomique du parasite et ça arrive dans la plupart de nos parasites. Ici Au Sénégal nous avons cette force d’avoir une surveillance très rapprochée du comportement du parasite à travers des laboratoires qui font ce qu’on appelle des études génomiques qui permettent de le suivre. Les tests également de diagnostic rapide sont contrôlés chaque année par les laboratoires et les résultats de l’année dernière ont montré une efficacité à 100% de l’ensemble de nos tests. Même s’il y a une mutation dans l’avenir, la science va continuer à trouver des moyens pour faire face. C’est un combat parce que le parasite aussi ne se laissera pas faire, ni les moustiques mais les hommes feront le nécessaire en permanence pour permettre de les anéantir.
C’est au bout de 21 ans que les chercheurs du Burkina en collaboration avec leur confrère d’Oxford ont pu mettre au point ce vaccin. S’il est approuvé dans quelques années ce sera une bonne nouvelle supplémentaire …
Évidemment ce sera toujours une bonne nouvelle. Dans une guerre plus vous avez des armes beaucoup plus sophistiquées et diversifiées, plus vous avez la chance de gagner votre combat. Et donc ce nouveau vaccin si toutefois, il est homologué par l’OMS, sera le bienvenu dans l’arsenal dont disposent les acteurs de la lutte contre le paludisme. Donc c’est évident que ce vaccin dont l’efficacité a été estimée à peu près 77% ferait quand même un pas supplémentaire énorme pour atteindre cet objectif de l’élimination du paludisme en Afrique.
Entretien réalisé par Frédéric ATAYODI