France Soir : Docteur Abdoulaye Bousso, merci d’avoir répondu à notre invitation, pouvez-vous présenter votre parcours, comment êtes-vous arrivé à ce poste ?
Dr Abdoulaye Bousso : Oui, effectivement, je suis le directeur du Centre des opérations des urgences sanitaires qui est une structure en charge de la préparation et de la réponse face aux urgences de santé publique. C’est un peu l’équivalent du CORRUSS en France, le Centre opérationnel de régulation et de réponse aux urgences sanitaires et sociales. Je suis médecin de formation et j’ai fait des études en chirurgie orthopédique et traumatologie. J’ai beaucoup été impliqué dans les associations comme Médecins sans frontières [section en France], avec qui j’ai travaillé sur certains théâtres d’opérations comme Haïti, au moment du tremblement de terre, en Côte d’Ivoire après la crise post-électorale, et également au Nigeria. J’ai beaucoup été impliqué dans l’humanitaire. Après, j’ai un peu basculé dans la santé publique, et ensuite c’est un concours de circonstances qui m’a fait travailler dans le cabinet de l’ancien ministre de la Santé Awa Marie Coll Seck.
J’ai été son conseiller technique, et Ebola a fait basculer ma carrière parce que c’est après Ebola que nous avons beaucoup réfléchi, dans le cadre du renforcement de notre système de santé, à mettre en place un centre de gestion des urgences, c’est à dire un centre qui serait capable H24 de pouvoir gérer une crise sanitaire… Nous avons tiré beaucoup d’expérience de cette crise Ebola, nous avions un cas en 2014 au Sénégal, mais ce cas a mobilisé presque l’ensemble du ministère de la Santé, mettant en suspens les autres programmes, et c’est donc au détour de cette crise, plus exactement en décembre 2014, que nous avons mis place ce centre des opérations d’urgences sanitaires qui a un rôle dans la préparation aux crises sanitaires, à travers l’élaboration de plans, de procédures, à travers l’évaluation des risques, des ressources, à travers la formation des personnels dans la gestion des urgences. Et donc, voilà, je pense qu’aujourd’hui, c’est un outil qui nous sert grandement dans la gestion de cette épidémie Covid.
Racontez-nous comment s’est passé l’épidémie au Sénégal. La première épidémie avait été relativement contenue et vous avez connuu une deuxième vague il y a quelques semaines, a-t-elle été plus violente ou plus difficile à gérer ?
Oui, tout à fait, nous sommes en plein dans notre deuxième vague, la première vague comme vous le dites a été moins intense, avec une amplitude qui était moins grande. Si on compare nos deux vagues, la deuxième vague est deux fois plus grande que la première. La première, nous avons eu notre premier cas le 2 mars 2020. Effectivement, c’est une augmentation progressive, avec surtout des cas importés. Des mesures fortes ont été prises dès le départ. Des mesures de fermeture de l’aéroport, des mesures de port de masque obligatoire, des mesures d’interdiction de voyager entre les régions et des mesures de couvre-feu alors qu’on n’avait pas cinq cas dans le pays. Donc très tôt, des mesures très fortes ont été prises, ce qui nous a beaucoup aidé à vraiment contenir cette première phase qui a évolué jusqu’au mois de novembre, avec une baisse des cas. Mais à partir du mois de décembre, on a commencé à avoir une deuxième vague qui a été beaucoup plus intense. Je donne un exemple, dans la première phase, le maximum de cas qu’on a eu en une journée, était de 207. Sur la deuxième vague, notre maximum de cas en une journée a été de 462. Nous avons également vu la mortalité par semaine doubler sur cette deuxième vague, beaucoup plus intense. Mais là, depuis deux semaines, nous commençons à avoir une amorce de descente. Depuis maintenant deux semaines, le nombre de cas a tendance à chuter, en espérant qu’avec la vaccination qui a commencé au Sénégal, on sera en mesure de maîtriser cette deuxième vague.
Comment expliquez vous le succès, lorsque vous annoncez des chiffres qui en France, laisseraient presque rêveurs, même rapportés à la différence de « pyramide des âges » de nos populations respectives ? Outre la préparation bien en amont et l’expérience des crises sanitaires que vous avez mentionnées, quels facteurs ont joué ? Prise en charge, traitements ?
Oui, déjà, je disais qu’il y a eu une prise en charge très précoce, mais même avant je pense, tout à l’heure je parlais de l’historique du centre des opérations d’urgence sanitaire. Je pense que je vais vous parler un peu globalement de ce qui s’est passé en Afrique… Il y a quand même eu des leçons apprises. Ce n’est pas la première fois que nous faisons face à des épidémies. Aujourd’hui, quand on parle du succès de l’Afrique dans cette épidémie, il n’y a pas que le facteur chance qu’on peut mettre en avant, non plus que l’âge ou la jeunesse de la population. Je pense qu’il faut quand même prendre en compte les expériences retenues. Nous avons fait face souvent à des épidémies, et ces épidémies nous ont obligé, même si nos systèmes de santé ne semblent pas si solides que ça, à être capables de nous renforcer, à avoir les réflexes, à avoir des personnels qui ont quand même l’habitude de faire face à ce genre de situation. Et dans le cas de cette épidémie, ça a été des choses importantes. Nous avions une structure qui avait été mise en place, qui en était déjà au stade disons d’entraînement, de préparation, de travail dans un cadre multisectoriel, ça aussi, c’est très important. Ce que nous avons retenu depuis les dernières épidémies, c’est que le système de santé ne peut pas travailler et ne peut plus travailler seul. Nous sommes obligés de travailler avec d’autres secteurs et c’est ce que nous avons fait dans le cadre de toutes nos stratégies, même dans le cadre de la formation des personnes…
Ça, c’est la partie avant l’épidémie, cette phase de préparation qui à mon avis a été quand même assez décisive. Après, c’est toutes les mesures prises tout de suite, et je peux dire aussi que ce qui s’est passé en Europe et aux États-Unis nous a un peu servi en termes de communication, même si cela a été un peu excessif par moments, parce que les gens avaient très peur quand on voyait les hôpitaux débordés, tous les cercueils alignés. On s’est dit : « si cette chose arrive sur notre continent, dans nos pays, ça va être la catastrophe ». Ce qui fait que les mesures ont été prises très très rapidement. Il y a eu une communication agressive, ce qui je pense a aidé. Et aussi, un élément important dans la stratégie, c’est le fait de tester, isoler et traiter rapidement les gens. Nous avons très rapidement pris en charge l’ensemble des personnes dans les centres, et nous avons également décentralisé la partie diagnostics-laboratoire, ce qui est un élément important, et qui a fait qu’en 24 à 48 heures, nous avons pu avoir des tests sur l’ensemble du territoire national.
Justement, où en est la coopération interafricaine pour la Covid-19 ? Coopération internationale, y compris avec la Chine, coopération européenne et coopération française, dans le cadre du traitement et dans le cadre des vaccins ?
Il y a quand même eu beaucoup de limites quant à la coopération, on était dans une situation où, comme j’ai l’habitude de dire, « toutes les cases brûlaient dans le monde », chacun avait sa case qui brûlait, chacun s’occupait de son pays. Dans le cadre de la collaboration, nous avons beaucoup travaillé avec certaines organisations internationales comme l’Unicef, l’OMS qui nous ont amené un apport technique, nous avons eu certains techniciens qui étaient ici et qui ont travaillé avec nous dans le cadre de la riposte. Des soutiens également en termes d’équipements, de protection, aussi bien à travers les organisations, qu’à travers la collaboration entre les États. Mais moi, ce que je retiens, c’est quand même que l’ensemble des moyens, en termes de ressources financières comme de ressources humaines, c’est le pays qui les a apportées. Donc j’avoue que cette frange n’a pas été si importante, même dans la collaboration, je pense au niveau interafricain, c’est vrai qu’avec des organisations comme l’Union Africaine, la CEDEAO [Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest], il ya eu des soutiens dans le cadre également des équipements mais également aussi dans le cadre de formations, parce que je me rappelle qu’au début de la pandémie il n’y avait que l’Institut Pasteur de Dakar et un autre laboratoire en Afrique du Sud qui étaient en mesure de faire les tests PCR pour pouvoir diagnostiquer la Covid, donc l’Union africaine a organisé une formation à Dakar qui a permis à la plupart des pays d’être en mesure de faire des tests, des diagnostics rapides grâce à la collaboration.
En ce qui concerne les vaccins, où en êtes-vous au Sénégal ?
Pour les vaccins, nous avons commencé notre vaccination depuis bientôt une semaine, mercredi dernier. Le Sénégal est déjà membre de l’initiative COVAX qui devrait normalement couvrir les 20% de notre cible et qui fait une donation aux pays qui sont membres de cette initiative. Mais au-delà de ça, le président avait demandé à ce que nous puissions couvrir notre cible qui est de 20% qui représente à peu près 3 millions de personnes – principalement les personnels de santé, les personnes de plus de 60 ans et les personnes vivant avec des comorbidités, et on savait que tout ce qui est donation ne pouvait pas suffire à nous permettre d’atteindre notre cible, aussi le président a demandé à ce qu’on qu’on puisse acheter [des vaccins]. Donc les premiers lots que nous avons reçus au Sénégal viennent de la firme Sinopharm, nous leur avons acheté 200 000 doses de vaccins, la vaccination a effectivement commencé au Sénégal, et aujourd’hui nous sommes à près de 30 000 personnes vaccinées… Donc depuis le 23 février, nous avons officiellement entamé la vaccination.
Maintenant, nous allons recevoir dans la semaine, de l’initiative COVAX, à peu près 1.300.000 doses de vaccins une première partie, autour de 400 000 doses devraient être reçues d’ici la fin de la semaine, ce qui nous permettra de continuer à pouvoir vacciner notre cible. Le Sénégal continue également à réfléchir pour avoir d’autres vaccins, parce que nous sommes ouverts, nous ne sommes pas fixés sur un seul type de vaccin, donc aujourd’hui aussi nous sommes en train de discuter avec la Russie pour pouvoir disposer également du vaccin Spoutnik V.
Et quels sont les vaccins qui vous sont proposés par COVAX ?
C’est Astrazeneca, que nous allons recevoir dans la semaine.
Observez-vous une adhésion dans la population, y compris parmi les personnels soignants ? En France particulièrement, il y a une certaine défiance vis-à-vis du vaccin y compris parmi les personnels soignants, ou en tout cas vis-à-vis de certains types de vaccins, certaines personnes se méfie des vaccins à ARN messager, d’autres du vaccin AstraAeneca… Comment la population regarde-t-elle l’arrivée de ces vaccins, au Sénégal ?
C’est vrai que c’est un peu particulier, avant de recevoir les vaccins les discours étaient très tranchés. Il y a eu beaucoup de débats autour des vaccins, avec beaucoup de personnes, et même des techniciens de santé, qui étaient contre le vaccin, prétextant que la durée de fabrication de ces vaccins étaient tellement courte que ça ne pouvait pas être si efficace. Donc il y a eu ce débat : nous au ministère de la Santé, nous avons fait de la communication pour rassurer un peu sur la qualité des vaccins, et surtout sur l’effort que le ministère de la Santé ferait pour que tous les vaccins qui arrivent au Sénégal soient des vaccins autorisés et homologués. Maintenant depuis que le vaccin est arrivé, nous avons fait une séance de communication, des personnes « cibles » ont fait leur vaccination de manière publique. Le président de la République a fait son vaccin en direct, le ministre de la Santé également… Beaucoup de personnalités, religieuses aussi, de l’islam, de la chrétienté, ont reçu le vaccin… Cette communication a donné une certaine confiance à la population. Aujourd’hui nous sommes presque débordés, parce qu’il y a une forte demande de vaccination… Comme je l’ai dit, pour cette première partie, nous avons juste 200 000 doses, mais aujourd’hui nous avons des dizaines de milliers de demandes sur la plate-forme tous les jours, pour être vacciné. Pour le moment en tout cas, ce que nous voyons, c’est que la situation semble se renverser et que nous avons une approche beaucoup plus positive sur la vaccination.
Vous êtes donc plutôt confiant, y compris compte tenu des mutations qu’on observe ? Les variants vous paraissent une nouvelle problématique ou la continuité logique de l’épidémie ?
Oui tout à fait, au Sénégal nous avons pu séquencer le variant britannique. C’est une personne qui a pu guérir et qui n’a pas créé de chaîne de contamination, en tout cas, pas pour le moment. Le séquençage continue avec les différents laboratoires que nous avons dans le pays et ne montre pas encore d’autres variants, par exemple le variant brésilien ou le variant sud-africain. Dans notre stratégie, nous devons aller plus vite parce qu’aujourd’hui cette vaccination pourrait nous aider à freiner cette entrée de ce variant. Car, plus nous allons attendre, plus le risque grandirait d’avoir ces variants, et cela rendrait plus difficile notre campagne de vaccination. C’est pourquoi nous mettons vraiment l’accent sur cette campagne de vaccination, avant d’être envahi par ces variants, parce que ce sera être difficile de faire face. Bon, pour le moment c’est vrai qu’il y a la limitation du trafic aérien, mais c’est sûr qu’on va les recevoir ces variants.
Nous avions reçu le professeur McCullough dans un précédent debriefing, qui nous avait dit que les pays qui n’avaient pas tout misé sur le vaccin s’en sortaient mieux dans l’ensemble que les pays qui n’avaient fait qu’attendre un vaccin comme une solution miracle. Les pays occidentaux industrialisés ne se sont-ils pas leurrés en attendant trop le vaccin ?
Le vaccin fait partie d’un arsenal de lutte contre la Covid, nous insistons dessus, parce qu’il ne faudrait pas que les gens pensent qu’il suffit d’un vaccin pour résoudre le problème. Il y a la vaccination mais il y a aussi l’obligation de continuer à respecter les mesures barrières, à mettre les stratégies qui nous permettront de contenir, de rompre la chaîne de transmission. Et c’est très important, ce n’est pas parce qu’on va commencer à vacciner tout de suite que l’épidémie va partir, l’épidémie va encore persister un moment, jusqu’à ce qu’on ait les 60 ou 70% de la population de vacciné. Donc il ne faudrait surtout pas que l’on commette l’erreur de penser que c’est la vaccination qui va régler tout de suite le problème, donc vaccinons, continuons à sensibiliser et à maintenir les mesures barrières pour que d’ici quelques semaines ou quelques mois, on voie l’épidémie baisser… Personnellement, je pense que cette maladie va être sous une forme endémique et qu’à un moment, on aura… même si on verra tous les jours des cas, ça ne devrait plus poser de problèmes. Pour nous aujourd’hui, le combat c’est de limiter le nombre de cas graves et les décès. Si on arrive vraiment à avoir une bonne maîtrise de ces formes sévères, le fait d’avoir des cas positifs, même 10, 20 ou 30 par jours, à mon avis ne posera plus problème.
Au Sénégal, des mesures restrictives : confinement, couvre-feu ont été prises également – même si les restaurants sont restés ouverts par exemple, hors couvre-feu… Le président Macky Sall a-t-il pris des mesures pour en amoindrir les effets économiques et sociaux ?
Il est vrai que les mesures prises ont un impact sur le plan économique. C’est vrai que dans la première vague, les mesures étaient beaucoup plus rigoureuses, il y avait un couvre-feu sur l’étendue du territoire national de 20h à 5h du matin. Et il y avait une limitation, une interdiction de transport entre les régions. Ça avait eu un mpacté énorme sur le plan économique qui avait même amené l’État à apporter un soutien à la population, en terme de denrées de premières nécessités. Mais également à soutenir certains secteurs, que ce soit les artistes, l’hôtellerie, la restauration, pour les appuyer en ressources financières pour passer ce cap. Sur cette deuxième vague, nous avons seulement deux régions ciblées par le couvre-feu, la région de Dakar et la région de Thiès. Ces deux régions ont plus de 65% de l’ensemble des cas, donc c’est juste un couvre-feu de 21h à 5h du matin, où tout est fermé, il n’y a pas un seul commerce ou restaurant d’ouvert. Dans la journée effectivement, les restaurants, les commerces, les marchés sont ouverts. Et ce qui est recommandé ou plutôt exigé, c’est de respecter les mesures barrières. Le port du masque est obligatoire, même sur les voies publiques, comme la distanciation physique et le lavage des mains.
Dans nos « vieux pays » européens, nord-américains… Jugez-vous que l’on s’est fourvoyé, en ne sachant pas articuler éthique du soin et éthique de la recherche, en péchant par dogmatisme, en manquant de pragmatisme, de confiance dans l’expérience de terrain ?
Effectivement, c’est délicat mais je pense qu’on peut le dire, un peu : l’Europe et les États-Unis n’avaient pas imaginé que l’impact serait à ce niveau. C’est pourquoi ils ont un peu sous-estimé l’impact de cette crise, et son effet. Parce qu’on le voit, ce n’est pas juste une question de moyens qui permettent de régler cette épidémie, il y a aussi une question d’organisation, d’approche, et de stratégie qu’il faut savoir prendre très rapidement et au bon moment. Et ça a manqué, quand même : quand on a entendu à un moment que le port du masque n’était pas obligatoire, et qu’après on revient pour dire qu’il faut le mettre, ça crée beaucoup de dégâts dans la communication. Juste un exemple simple : sur les tests, quand aux États-Unis, ils mettaient une semaine pour avoir les résultats d’un test PCR, au Sénégal on était très surpris mais ce n’était pas qu’ils n’avaient pas les moyens, c’était parce qu’ils sont organisés de manière à ce que les tests allaient d’une côte à une autre. Et ce n’est pas possible, dans une épidémie comme ça il faut avoir des résultats, et isoler les personnes. C’est pourquoi, c’est au-delà des moyens, c’est toute l’organisation qui est en place, et peut-être est-ce parce que ces pays n’avaient jamais fait face à de tels types d’épidémies. Et puis après, on se rend compte qu’il y a une partie importante de l’organisation, et je suis sûr qu’aujourd’hui c’est une des grandes leçons apprises par les Européens et les Américains, sur une vraie organisation de leur système, malgré les moyens qu’ils ont. Et je pense que cette organisation, nous l’avions déjà, malgré la faiblesse de nos moyens. Et cette organisation nous a aidéje pense à mieux faire face à cette pandémie, en tout cas pour le moment.
L’influence de l’industrie pharmaceutique s’est trouvée au coeur des débats qui ont émaillé cette crise, vous a-t-elle influencée ? Au Sénégal, en Afrique, les laboratoires tentent-ils aussi de placer leurs pions et d’influer sur les politiques de santé ?
Oui, tout à fait, il y a une géopolitique autour de cette Covid, et je disais au début, en tout cas pour nous, on ne tiendra pas compte de cela – par exemple sur les vaccins où on sent qu’il y a une certaine opposition Est/Ouest, nous ne sommes pas dans ce débat : le premier vaccin que nous avons reçu, c’est le vaccin Sinopharm. Ce vaccin n’a pas encore été accepté par l’OMS, ça ne nous a pas empêchés de l’utiliser parce que je pense que pour nous, ce sont juste des données scientifiques dont nous avons besoin pour prendre nos décisions, et nous ne pouvons pas rentrer dans ce jeu. Ce qui est important, c’est l’intérêt de nos pays.
Maintenant, effectivement, un autre aspect de l’industrie pharmaceutique, c’est que pour nous en tout cas, en tant que pays africain, nous devons renforcer cette industrie pharmaceutique. Par exemple, pour le Sénégal qui est un gros point faible, quand à un moment il y avait un déficit de masque au niveau international, quand certains pays ont réquisitionné les masques, quand aujourd’hui on a des problème pour avoir des gants, on se pose des questions. Et donc ce que l’on retient ici, c’est qu’il y a un minimum de production pharmaceutique que l’on doit être capable de faire, pour être indépendant et de mieux gérer certaines crises. Donc il y a vraiment besoin, au détour de cette crise, aussi au niveau africain, de se renforcer. Peut-être que sur le plan des vaccins ça va être un peu plus difficile, mais au moins sur l’ensemble des outils, et des équipements de protection individuelle, ce sont des choses qui sont accessibles. Et il faudra impérativement que nos communautés puissent se développer pour nous permettre d’être plus à l’aise. Parce que d’autres événements de santé publique vont survenir. Aujourd’hui pour le Sénégal, nous avons Ebola à nos portes qui a recommencé en Guinée, donc cela veut dire que nous serons toujours dans un éternel recommencement en terme de gestion d’événements de santé publique.
Et quelle va être la politique du président pour développer des laboratoires africains, sénégalais, des politiques de santé publique ? Y a-t-il une volonté politique, au niveau de l’Union africaine, de la CEDEAO ?
Déjà sur le plan national, la volonté est là, parce que le Président a déjà demandé au ministère de la Santé de travailler sur un plan d’investissement sectoriel qui va renforcer, un peu, le système de santé en terme de capacité de nos structures hospitalières, en terme de décentralisation également, renforcer les centres de santé, renforcer le personnel de santé… Je vous donne juste un exemple, c’est la question des cas graves. Il ne faut pas que des lits de réanimation, il faut avoir un médecin anesthésiste, il faut avoir un technicien supérieur. Pour cela, il faut des années pour les former. Donc c’est cette projection sur laquelle on est en train de travailler pour renforcer ces systèmes de santé en termes d’infrastructures et de ressources humaines. Maintenant, sur la question de l’industrie pharmaceutique, cela passe par la coopération. Dernièrement, le Président a été en Turquie, voir un grand laboratoire pharmaceutique. Actuellement, l’option c’est d’aller dans cette collaboration avec un transfert de compétence qui nous permettra d’être plus ou moins autonome en terme d’industrie pharmaceutique. Maintenant, les initiatives au niveau sous-régional ou continental peuvent aussi se développer. Mais en tout cas au Sénégal, nous n’attendons pas ces initiatives, pour pouvoir, au niveau local, se renforcer.
Que représente le budget de la lutte pour la Covid-19 ?
On était à 1000 milliards de francs CFA [environ 1,5 milliard d’euros] qui ont été mobilisés. Et ce que je trouve extrêmement important, c’est qu’en terme de financement, le pays sort lui-même ses ressources, parce que nous n’avons pas attendu l’aide internationale pour commencer à répondre au problème. Et cela a beaucoup aidé à être plus efficace. Donc il y a eu beaucoup d’argent qui est sorti des fonds propres de l’État, qui nous ont permis de pouvoir faire face, et nous permettent encore de pouvoir faire face.
Un petit clin d’oeil à une figure de la crise en France, le professeur Raoult dont vous connaissez les liens avec le Sénégal, dont il a salué la gestion épidémique d’ailleurs, êtes-vous en lien avec l’IHU de Marseille, échangez-vous des informations ?
Nous particulièrement, non, moi, je suis dans la partie stratégique, opérationnelle de coordination des réponses. Maintenant, je sais que nos équipes de prise en charge ont continué à utiliser l’hydroxychloroquine pour traiter les cas modérés. Et je sais que ces équipes communiquent avec celles du professeur Raoult, à Marseille.
Merci de nous avoir accordé cet entretien, pour les lecteurs de France Soir !
Merci beaucoup de nous donner l’opportunité de partager nos expériences, merci à vous.
Merci aux journalistes du Soleil, au professeur Moussa Seydi, et à Dominique Dutilloy, d’avoir permis la réalisation de cet entretien.
Auteur: FranceSoir
[NDLR : entretien réalisé le 1er mars]