Le mois du Ramadan est le temps d’une modification transitoire du rythme de vie, des habitudes alimentaires et des modalités thérapeutiques pour les malades. Pour les patients souffrant de diabète, ces modifications peuvent être source de déséquilibre glycémique. Ainsi, chaque année, les professionnels de santé et les patients se trouvent confrontés à des problèmes de prise en charge du diabète, et en particulier l’impact du jeune sur l’équilibre métabolique et le traitement hypoglycémiant.
La modification brutale du rythme de vie et des habitudes alimentaires durant le mois de Ramadan induit des modifications métaboliques glucidiques, lipidiques, protéiques, hydro-éléctrolytiques, mais aussi hormonales et psychologiques chez les sujets, mêmes sains.Bien que le Coran exempte les malades de jeûner si celui-ci risque de nuire à leur état de santé, de nombreux diabétiques musulmans tiennent à observer scrupuleusement le Ramadan.
Cette période a une signification personnelle très forte pour les musulmans, tant sur le plan spirituel que socio- culturel et pour les patients diabétiques musulmans, cette pratique reste un moment incontournable à partager avec leurs proches.L’alimentation au cours de ce mois est bouleversée avec une modification des horaires, de la qualité et de la quantité des apports alimentaires avec une consommation accrue de produits sucrés.
Le respect du suivi du régime alimentaire, garant de l’équilibre glycémique, de nos patients diabétiques durant ce mois peut être compromis par cette volonté de partager les mêmes repas avec sa famille et ses amis.En période de jeûne, l’objectif principal de l’organisme est d’assurer une normo-glycémie, garant d’un fonctionnement optimal de l’organisme (une glycémie minimale de 0.45 g/l est indispensable au fonctionnement cérébral), et d’assurer l’approvisionnement des tissus en substrats énergétiques grâce à des mécanismes d’adaptation complexes. Les risques liés au jeûne (l’hypoglycémie, l’hyperglycémie, la déshydratation) ne sont pas les mêmes chez tous les patients diabétiques. Une réduction de ce risque a été démontrée chez les patients bénéficiant d’une prise en charge adaptée tant thérapeutique, diététique qu’éducative.
1- Problématique
Le jeûne du mois de ramadan est un jeûne très particulier par son caractère religieux, discontinu et répété pendant une période d’environ un mois.
Le jeûne du Ramadan est un jeûne religieux obligatoire prescrit à tous les musulmans dans le Coran. C’est une obligation pour tout musulman pubère, sain d’esprit et n’ayant pas de motif particulier d’exemption. Certaines situations ou pathologies dispensent les musulmans du jeûne du Ramadan selon les versets coraniques suivants : « Celui d’entre vous, qui malade ou en voyage aura été empêché de le faire (le jeûne du Ramadan) devra jeûner plus tard un nombre de jours égal a celui des jours non observés.
Allah tient ainsi a vous faciliter l’accomplissement des devoirs religieux et non à vous les rendre difficile … » (Coran II, 185).Le Coran dispense spécifiquement les personnes atteintes de certaines affections du devoir de jeûne, en particulier si il peut avoir des conséquences néfastes. Certaines personnes diabétiques se retrouvent dans cette catégorie d’exemption. Le diabète est une pathologie métabolique chronique qui peut exposer à un risque élevé de développer plusieurs complications si le rythme et le volume des repas et des boissons sont fortement altérés.
Malgré cela certains patients décident quand même de jeûner. Le médecin ne peut rien imposer surtout dans le domaine religieux. Quelle que soit la décision de son patient son rôle consiste à bien informer des risques potentiels encourus ; à faire les recommandations médicales nécessaires pour que le jeûne se passe dans les meilleures conditions. La communication entre médecin et patient est donc indispensable.
Il est extrêmement important que les personnes atteintes de diabète et leurs prestataires de soins soient conscients des risques potentiels associés au jeûne.L’étude EPIDIAR (Epidemiology of Diabetes and Ramadan), réalisée sur la population générale (impliquant 12 243 personnes atteintes de diabète vivant dans 13 pays islamiques), a révélé qu’environ 43 % des personnes atteintes de diabète de type 1 et 79 % des personnes atteintes de diabète de type 2 jeûnaient pendant le Ramadan.
2-Pourquoi les diabétiques sont-ils exposés ?
La période de Ramadan implique un changement du rythme et de la qualité des repas, une diminution relative de l’activité physique et des modalités thérapeutiques. L’apport énergétique lors de la rupture du jeûne peut être très élevé par rapport à l’apport calorique quotidien en dehors du mois de Ramadan qui est d’environ 2500 à 2700 calories/j.
Pendant le Ramadan, l’alimentation est très riche en sucreries et matières grasses et très pauvre en fibres et en vitamines (peu de légumes, crudités ou fruits). Le temps de sommeil est très réduit, ce qui réduit les capacités physiques et intellectuelles et multiplie les risques d’accidents professionnels et de la route.
L’équilibre du diabète, obtenu parfois avec difficulté, risque d’être perturbé brutalement durant cette période, ce qui peut exposer à des complications graves. Avant toute décision, consulter votre médecin traitant. Concernant les habitudes alimentaires, trois paramètres changent concernant les repas :
- leur horaire : nocturne entre le coucher du soleil et l’aube variant de dix heures en hiver et six heures en été ;-leur fréquence : en général diminuée à 2 ou 3 repas ;
- -leur qualité et leur quantité. Ces trois facteurs interviennent concomitamment et pour cette raison il n’est pas facile de déterminer la part de chacun d’eux dans les éventuelles conséquences qu’ils peuvent engendrer.
3-Patients diabétiques à risque de développer des complications
Patients à risque très élevé de complications c’est-à-dire que médicalement le ramadan leur jeun est interdit. Si dans les trois mois qui précèdent le ramadan il y a eu :
• une Hypoglycémie sévère
• une Acidocétose
• un coma hyper osmolaire, hyper-glycémique
• des antécédents d’hypoglycémies récurrentes
• Faible contrôle glycémique c’est-à-dire que l’équilibre glycémique n’est pas bien contrôlé • Activité physique intense
• Grossesse
• Dialyse chronique. Diabète de type 1-Patients qui ont un risque élevé :• Insuffisance rénale
•Hyperglycémie modérée (Glycémie : 1.5-3.0 g/l ou HbA1c 7,5 -9%)
• Complications micro-vasculaires à un stade avancé• Patient vivant seul et traité par insuline ou sulfamides hypoglycémiants
• Patient avec comorbidités ou facteurs de risques supplémentaires
• Age avancé avec santé fragile
•Patients qui ont un risque modéré : Patient avec un diabète bien contrôlé sous insulino- sécrétagogues de courte durée d’action- Patients qui ont un risque faible : Patient avec un diabète bien contrôlé sous traitement hygiéno-diététique et/ou metformine et/ou inhibiteur de l’alpha glucosidase et/ ou incrètino- mimétiques n’ayant pas d’autre pathologie que le diabète.
4-Complications liées au ramadan chez les diabétiques
Il faut souligner que le jeûne chez les personnes atteintes de diabète de type 1, et chez les personnes atteintes de diabète de type 2 dont les taux de glycémie sont mal gérés, est associé à de multiples risques. Le jeûne pendant le Ramadan a été unanimement découragé par le milieu médical pour les personnes atteintes de diabète. Parmi les principales complications potentielles liées au diabète provoquées par le jeûne, citons l’hypoglycémie, l’hyperglycémie, l’acidocétose diabétique et la thrombose.
5-Ajustements thérapeutiques
La hantise durant le mois de Ramadan chez les patients diabétiques qui jeûnent est la survenue d’hypoglycémie. Lors de la consultation avant le Ramadan, il faut sensibiliser les patients aux risques d’hypoglycémie mais aussi de déséquilibre du diabète .Certain traitement doivent être réajusté (doses et horaires de prise). Les adaptations de l’hygiène de vie seront traitées à part.
Ajustement du traitement par la Metformine:
‒ Il n’y a pas de modification de doses‒ Chez les patients qui avaient une seule prise de Metformine /jour, ce sera à la rupture
‒ Chez les patients qui avaient deux prises : ce sera à la rupture et au kheud
‒ Chez les patients qui avaient 3 prises : ce sera 1 cp au kheud et 2 à la rupture
Ajustement du traitement par sulfamides hypoglycémiants et glinides:
‒ Préférer le Répaglinide ou sulfamides de dernière génération (glicazide, glimépiride,‒ Risque d’hypoglycémie est plus élevé avec les sulfamides
‒ A prendre au moment de la rupture du jeûne
‒ Chez les patients bien contrôlé on peut envisager une réduction des doses desulfamides
‒ Chez les patients initialement sous glibenclamide : le remplacer par glimépiride ou gliclazide à cause du risque d’hypoglycémie
Ajustement du traitement par SGLT2 inhibiteurs:
C’est la dernière classe de traitement non insulinique du diabète qui agit en diminuant le seuil rénal du glucose en inhibant sa réabsorption au niveau du tube contourné proximal. Peuvent être donné à la rupture du jeune sans adaptation de dose chez certains patients. Toutefois il faut noter qu’il y’a un risque accru d’acidocétose et de déshydratation chez certains patients. Ajustement du traitement par Acarbose: Pas de modification de dose car le risque d’hypoglycémie est très faible.
Ajustement traitement par inhibiteur DPP4:
‒ Pas d’ajustement thérapeutique durant le ramadan.Ajustement traitement par analogue GLP1
‒ Lorsque le taux d’HbA1C est normal 6 semaines avant le début du ramadan, il n’y a pas d’adaptation de doses des analogues du GLP1.
‒ En cas d’injection de Liraglutide: la même dose devrait être maintenue, préférentiellement au repas correspondant au coucher de soleil;
‒ Pour les injections d’Exénatide: celle du matin devrait être réalisée au repas du coucher de soleil, et celle du soir au repas du lever de soleil.
Ajustement de l’insulinothérapie du diabétique de type 2:
‒ L’utilisation d’analogues de l’insuline est préférée à l’insuline ordinaire car moins de risques d’hypoglycémies.
‒ Chez les patients qui ont une seule injection d’insuline lente ou intermédiaire par jour, réduire la dose de 15 à 30% et l’administrer le soir
‒ Pour les patients qui ont deux injections par jour, administrer la dose du matin à la rupture et réduire la dose du soir de moitié et l’administrer au kheud
‒ Pour les insulines rapides, donner la même dose à la coupure ; supprimer l’injection au diner et diminuer l’injection de l’aube de 25 à 50%. Réajuster les doses tous les
‒ Inulines pré mix : la dose la plus forte sera administrée à la rupture. La dose la plus faible sera diminuée de 30% et administrée à l’aube.Ajustement des doses d’insuline du diabétique de type 1
:‒ Chez les patients sous pompe : Réduire le débit basal de 30 à 40% 3 à 4 heures avant la fin du jeûne o Augmenter le débit basal de 0 à 30% juste après la rupture .Les bolus seront fonctions des quantités de glucides ingérés
‒ Chez les patients qui sont sous insulinothérapie classiqueo
+Chez les patients qui ont une seule injection d’insuline lente ou intermédiaire par jour, réduire la dose de 15 à 30% et l’administrer le soir
- Pour les patients qui ont deux injections par jour, administrer la dose du matin à la rupture et réduire la dose du soir de moitié et l’administrer au kheud
- Pour les insulines rapides, donner la même dose à la coupure ; supprimer l’injection au diner et diminuer l’injection de l’aube de 25 à 50%.Il est primordial pour tout patient diabétique de bien préparer ce mois béni en se rapprochant de son médecin traitant pour faire le point sur son diabète et prendre toute disposition utiles pour minorer les risques. Excellent ramadan à toutes et à tous.
Dr Abdoulaye LEYE
Professeur Titulaire des Universités Endocrinologie-Métabolisme-Nutrition,
Responsable des Enseignements, Coordonnateur du D.E.S / E.M.N,
Coordonnateur du Diplôme Universitaire de Diabétologie en FOAD de l’UCAD et Chef de Service de Médecine Interne/Endocrinologie Diabétologie Nutrition CHN de Pikine FMPO / UCAD / SENEGAL
Email: abdoulaye.leye@ucad.edu.sn / ablayleye@hotmail.com –
Boîte Postale: 6886 Dakar Etoile