Un variant du Sars-CoV-2 semble être associé à une hausse brutale du nombre de cas dans la région de Londres ces dernières semaines. Mais la preuve d’une contagiosité accrue n’a pas été faite.
A six jours de Noël, le premier ministre britannique a annoncé le reconfinement de Londres et d’une partie de l’Angleterre, face à une hausse brutale des cas de Covid-19. Boris Johnson a aussi annoncé qu’un variant du Sars-CoV-2, porteur de plusieurs mutations génétiques décrites depuis quelques mois, serait à l’origine de cette nouvelle flambée des cas, indiquant que la propagation de celle-ci serait « 70 % plus importante ».
Quel est ce nouveau variant du Sars-CoV-2 ?
Appelé VUI-202012/01 (variant under investigation n° 1 du mois de décembre 2020), ce variant du Sars-CoV-2 présente au total 17 mutations de son génome par rapport au coronavirus qui avait été séquencé en janvier 2020 à Wuhan.
Huit de ces 17 mutations impliquent la protéine de spicule présente sur la surface du virus, celle-là même qui donne au virus sa forme de couronne et qui lui permet d’infecter certaines cellules humaines (porteuses du récepteur ACE2).
Parmi elles, deux sont surveillées de près en raison de leur emplacement stratégique sur la protéine de spicule : N501Y et P681H. Ces deux mutations ont été observées indépendamment l’une de l’autre depuis plusieurs mois, mais n’ont jamais été combinées avant la détection de ce variant.
A cela s’ajoutent six mutations supplémentaires qui n’engendrent pas un changement de composition des protéines correspondantes, ce qui aboutit à 23 changements génétiques au total. Ce nombre est inédit par rapport à ce qui avait été observé auparavant : selon une étude publiée dans Annals of Surgery début novembre, le génome du Sars-CoV-2 accumule une à deux mutations par mois, un rythme deux fois moins élevé que celui de la grippe et quatre fois moins élevé que pour le VIH.
On ne peut cependant pas vraiment parler de nouvelle souche, car le nombre de mutations reste faible par rapport à la taille du génome du virus (23 sur 29 903 nucléotides), et que le comportement et les caractéristiques du virus n’ont pas changé. Il est pour l’instant plus adapté de parler de « variant ».
Quand et où est apparue cette mutation ?
Le consortium Covid-19 Genomics UK (COG-UK), qui s’occupe de la surveillance et du séquençage des mutations du Sars-CoV-2 au Royaume-Uni, a formellement nommé ce variant le 13 décembre à la suite d’une hausse des cas dans le sud-est de l’Angleterre. Mais les premiers génomes porteurs des mutations spécifiques à ce lignage de virus (nommé B.1.1.7) ont été identifiés le 20 septembre dans le Kent et le 21 septembre dans le Grand Londres.
Un nombre important de mutations ont été observées chez des patients immunodéprimés, chez qui l’ARN du coronavirus reste détectable environ deux à quatre mois. Cette durée est suffisante pour que la population virale présente une plus grande diversité génétique. Il est donc possible, selon le rapport des chercheurs du COG-UK publié le 19 décembre, que ce lignage soit apparu chez un patient immunodéprimé atteint chroniquement du Covid-19.
Ce variant du Sars-CoV-2 est-il plus contagieux ?
Le premier ministre, Boris Johnson, a indiqué que des analyses préliminaires montraient une transmission « 70 % plus importante », ce qui aurait entraîné une augmentation du taux de reproduction effectif (ou Re) de 0,4 en quatre semaines.
Toutefois, ce lien de cause à effet n’a pas encore été établi et la communauté scientifique se montre prudente sur ce chiffre, sur lequel ni Boris Johnson ni son ministre de la santé, Matt Hancock, n’ont expliqué comment il avait été obtenu. L’OMS est allée ce lundi jusqu’à contredire ce dernier, indiquant que ce nouveau virus n’est pas « hors de contrôle » comme M. Hancock l’avait affirmé.
« Les modélisations préliminaires montrent une forte association entre la présence de ce nouveau variant dans le Kent, les régions du sud-est de l’Angleterre et l’incidence en hausse de Covid-19 », écrivent les épidémiologistes du Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC) le 20 décembre. Elle n’est encore qu’une corrélation, non une cause, de l’accélération de l’épidémie dans ces régions.
Ce qui est notable, en revanche, c’est que ce variant du virus est devenu dominant dans les cas détectés en quelques semaines. A Londres, ce variant était responsable de 28 % des infections début novembre et de 62 % au 9 décembre.
De plus amples observations, in vitro et in vivo, sont nécessaires pour déterminer si ce nouveau variant a acquis des propriétés qui le rendent plus transmissible. Une des mutations connues, N501Y, est suspectée d’améliorer nettement la stabilité de la liaison chimique entre le virus (précisément le domaine de liaison de sa protéine de spicule) et le récepteur ACE2, la porte d’entrée du virus dans les cellules humaines, selon des travaux publiés dans la revue Cell en août 2020 et confirmés chez la souris un mois plus tard.
« Les données dont on dispose aujourd’hui sont épidémiologiques, mais des données virologiques sont indispensables pour mieux caractériser ce variant et ses éventuelles conséquences sur les infections et la vaccination, souligne Vincent Enouf, directeur adjoint du centre de référence des virus respiratoires de l’Institut Pasteur. Nos collègues anglais sont en train d’isoler ces nouveaux virus [sur des malades]. Ensuite, ils les mettront au contact d’une collection de sérums provenant de patients infectés à différents moments de l’épidémie, voire de personnes vaccinées. Grâce à une technique dite de microneutralisation, on pourra vérifier pour chacun des types de sérum si les anticorps neutralisent ou pas ce variant anglais. Les résultats devraient être connus d’ici environ une semaine. »
Ce variant est-il plus mortel que les autres ?
Pour l’instant, il n’a pas été observé de lien entre le variant et des cas plus sévères de Covid-19. « Il n’existe aucune preuve que le nouveau virus est plus ou moins dangereux. Malheureusement, nous allons devoir attendre et voir si les hospitalisations et les décès évoluent dans un sens ou un autre pour le savoir », a expliqué Simon Clarke, professeur de microbiologie à l’université de Reading, au Science Media Center britannique.
Le virologue Vincent Enouf est sur la même ligne. « Rien ne permet d’affirmer aujourd’hui que ce variant est responsable de formes de Covid-19 plus graves. On ne pourra le savoir que lorsqu’il y aura davantage de données cliniques sur le devenir des patients infectés par ce mutant. »
Quel lien avec le variant sud-africain ?
Un autre variant du coronavirus, le variant 501.VZ, a été détecté en Afrique du Sud. Le ministre de la santé, Zweli Mkhize, a annoncé le 18 décembre que les chercheurs, après avoir séquencé des centaines d’échantillons depuis le début de l’épidémie, ont « remarqué qu’une variante particulière dominait les résultats ces deux derniers mois ». Ce variant est différent de celui britannique. Mais selon le laboratoire sud-africain Kwazulu-Natal Research Innovation and Sequencing Platform (Krisp), il existe des similitudes, « car ils partagent tous les deux le même changement dans la protéine de spicule », la fameuse mutation N501Y.
Cette nouvelle forme pourrait expliquer la vitesse de propagation de la maladie dans ce pays africain frappé par une deuxième vague depuis quelques semaines. Si ce variant semble se transmettre plus rapidement, on ignore encore s’il est associé à une charge virale plus élevée ou si les vaccins actuellement développés seront efficaces.
Le nouveau variant menace-t-il l’efficacité des vaccins développés jusqu’ici ?
Rien n’indique pour le moment que ces mutations auront un impact sur l’efficacité des vaccins et des recherches supplémentaires sont nécessaires sur cette question centrale. Les autorités sanitaires se montrent rassurantes. « Pour le moment, il n’existe aucune preuve suggérant que ce vaccin ne soit pas efficace contre la nouvelle variante », a déclaré lundi Emer Cooke, la directrice générale de l’Agence européenne des médicaments, en donnant le feu vert au produit développé par Pfizer-BioNTech. Sur Europe 1, le ministre de la santé, Olivier Véran, a expliqué que « les anticorps développés par les deux principaux vaccins qui arrivent, Pfizer-BioNTech et Moderna, ne ciblent pas cette zone mutée du virus ».
C’est aussi la conclusion de travaux publiés dans la revue Cell en septembre par une équipe chinoise, qui ont montré que cette mutation N501Y n’avait pas eu, chez les souris, d’effet sur la capacité neutralisante ou la quantité des anticorps fabriqués contre le virus.
Les mutations du gène codant la protéine de spicule concernent 9 nucléotides sur les 3 821 que contient le gène au total. Les vaccins produisent des anticorps dont l’action neutralisante est dirigée contre de nombreuses régions de la protéine de spicule. Même si on ne peut l’exclure, ce risque est jugé très limité.
« L’idée du vaccin est que la protéine Spike dans son ensemble est montrée à votre système immunitaire et vous apprenez donc à en reconnaître de nombreuses parties différentes », explique Emma Hodcroft, épidémiologiste à l’université de Berne interrogée par l’AFP. Du coup, « même si quelques parties changent, vous avez toujours toutes les autres parties pour reconnaître » le virus, selon elle.
Ce variant circule-t-il déjà en France ?
Lundi 21 décembre, aucun cas positif avec ce nouveau variant n’avait été détecté en France et les cas repérés ailleurs en Europe sont limités : selon le rapport de l’ECDC du 20 décembre, 20 cas avaient été identifiés au Pays de Galles au 14 décembre, 9 au Danemark, 3 aux Pays-Bas et un en Australie. Les médias belges ont rapporté quatre cas.
Il n’est pas étonnant que le variant ait été observé au Royaume-Uni et au Danemark, deux pays où les efforts de séquençage à partir des prélèvements de tests positifs sont importants et continus.
« On ne sait pas si on va tenir très longtemps sans identifier ce nouveau variant en France. Il serait utile que les personnes rentrées d’Angleterre récemment se fassent tester et que ce nouveau variant soit recherché », relève le virologue Vincent Enouf, en précisant que les laboratoires qui séquencent les virus du Covid (dont le laboratoire de référence de Pasteur) partagent leurs données sur la base internationale Gisaid, ce qui permet de repérer rapidement l’apparition de nouvelles mutations.
D’autres chercheurs estiment cependant que le travail de séquençage est relativement dispersé entre plusieurs acteurs (IHU de Marseille, CNR Pasteur, services de virologie des CHU, etc.), qui ne se partagent pas les séquences obtenues et ne mettent pas en commun leurs efforts pour identifier les lieux et moments où apparaissent les variants en circulation. Une désorganisation qui « conduit à diminuer très fortement l’impact de ce travail », selon une note rédigée par plusieurs chercheurs du collectif FranceTest à l’intention du ministre de la santé, Olivier Véran, à sa demande et transmise lundi 21 décembre à Emmanuel Macron. Ces chercheurs appellent à la création d’un consortium national appelé Senticov, « qui aurait la tâche de mettre en place le séquençage permanent des génomes viraux ».
Les tests PCR peuvent-ils le détecter ?
Les scientifiques britanniques ont rapporté que la mutation génétique spécifique sur les 69e et 70e acides aminés de la protéine de spicule (protéine S) observée avec ce variant pouvait être « manquée » par certains tests RT-PCR et ainsi donner un résultat négatif lors du dépistage.
Dans leur rapport, les experts de l’ECDC recommandent de ne plus se fier uniquement aux RT-PCR ciblant le gène de la protéine S « pour la détection primaire de l’infection au SARS-CoV-2 », car « les mutations sont plus susceptibles de se produire dans ce gène ». Mais d’autres tests PCR peuvent détecter le virus en ciblant d’autres régions dans le génome, qui sont insensibles au variant. Le gouvernement britannique a indiqué que les « tests pouvaient être adaptés rapidement pour répondre à ce nouveau variant ».
Auteur : Le Monde