Malgré son coût élevé, la fécondation in vitro est pratiquée au Sénégal. Dans cet entretien, la gynécologue Mame Rose Sall nous explique les différentes étapes de cette technique médicale, en passant par la grossesse, les facteurs d’un mauvais pronostic chez la femme et chez l’homme. Elle a également dénoncé l’absence d’un centre de procréation médicalement assistée au Sénégal.
Comment se fait la préparation d’une fécondation in vitro (FIV) ?
C’est toute une technique. D’abord, il y a la préparation de la femme par ce qu’on appelle la stimulation ovarienne qui consiste à recruter plusieurs follicules au niveau des ovaires et à procéder à leur maturation par le biais de médicaments injectables appelés gonadotrophines. Il y a différents types de protocoles suivant les patientes, dépendant de leur âge, de leurs résultats biologiques, d’une éventuelle pathologie associée telle qu’une dystrophie ovarienne, une endométriose etc… Il y a des protocoles longs et des protocoles courts à appliquer en fonction des cas. Une fois que la simulation est débutée, on procède à la surveillance échographique de la croissance folliculaire par le monitoring de l’ovulation au 8e jour du cycle stimulé. Au cours de ce monitoring de l’ovulation, quand les follicules atteignent le développement idéal, on procède au déclenchement de l’ovulation suivi de la ponction ovarienne qui s’effectue chez la femme, dans un bloc opératoire sous anesthésie.
On procède par voie transvaginale à la ponction des liquides folliculaires qu’on recueillera et qu’on remettra au laboratoire spécialisé en PMA. Ce dernier va examiner le liquide ponctionné pour en extraire les ovocytes, les traiter par ce qu’on appelle la décoronisation, puis réserver ceux qui sont de bonne qualité et matures pour les féconder en mettant tout autour d’eux des spermatozoïdes. Le lendemain on vérifie quels sont les ovocytes qui ont fécondé et on les laisse maturer vers ce qui est nommé le stade de blastocyste. Cela peut prendre entre trois et cinq jours dans un milieu nutritif. On procède ensuite au transfert embryonnaire dans la cavité utérine, c’est-à-dire qu’on reconvoque la patiente et on choisit le meilleur œuf qu’on insère au niveau de sa cavité utérine sous contrôle échographique. Les œufs fécondés en surplus, ne sont pas détruits le plus souvent.On peut les garder en les congelant de manière particulière : c’est la vitrification. Si l’œuf se développe bien en intra utérin, c’est-àdire si la femme tombe enceinte, on débute la surveillance de la grossesse avec un traitement adapté surtout au premier trimestre. Si elle ne tombe pas enceinte, on peut reprendre une autre tentative. Dans ce cas, on ne recommence pas le procédé de stimulation comme la première fois. On attend la période propice en préparant l’endomètre pour recevoir l’œuf qu’on aura décongelé, et on procèdera à un deuxième transfert d’embryon. Ces embryons vitrifiés peuvent être conservés pendant des années au niveau du laboratoire.
Quelques années après, si la femme désire une autre grossesse, on procède tout simplement à un transfert embryonnaire. Grâce à cela, beaucoup d’économies sont faites.
Est-ce que toutes les femmes peuvent faire la FIV ?
La majeure partie des femmes peuvent la faire. La fécondation in vitro a ses indications. Elle a d’abord été prescrite à ses débuts pour les femmes qui ont des obstructions tubaires car les ovocytes et les spermatozoïdes ne pouvant se rencontrer dans les voies de fécondation naturelles. Depuis les indications se sont élargies incluant ainsi les infertilités d’origine masculine, et les infertilités inexpliquées. Cependant, il y a des exceptions à savoir évidemment la femme ménopausée, la femme en insuffisance ovarienne précoce, certaines myomatoses utérines, l’âge supérieur à 42 ans étant aussi un facteur de mauvais pronostic etc… On parle plus souvent du facteur féminin, mais il ne faut pas occulter le facteur masculin car malheureusement certains types d’azoospermie ne permettent pas d’effectuer une FIV. Cependant, si les spermatozoïdes sont malformés ou immobiles, on pourra souvent recourir à la FIV pour le couple. En résumé, toute femme qui a un utérus quasi normal et en période d’activité génitale, c’est-à-dire qui n’est pas ménopausée, peut être éligible pour la fécondation in vitro avec des spermatozoïdes de plus ou moins bonne qualité.
Y-a –t-il différents types de fécondation in vitro ?
Oui. Il y a la fécondation in vitro classique. Après ponction ovocytaire, on met environ 100 000 spermatozoïdes autour de l’ovocyte dans un milieu nutritif et on les laisse féconder naturellement. Il y a un autre type appelé l’injection-intracytoplasmique de spermatozoïde dite ICSI. On prend un spermatozoïde qu’on injecte directement dans un ovocyte. Ce dernier type est surtout réservé dans les cas d’infertilité masculine.
Comment se passe une grossesse issue d’une fécondation in vitro ?
Après le transfert embryonnaire, quelques semaines après, on demande à la femme de faire un test de grossesse. Si ce test est positif, la grossesse se poursuit comme toute autre grossesse. Cependant, au premier trimestre, il y a certains médicaments qu’il faudra mettre tel que de la progestérone pour permettre à cette grossesse de bien s’implanter dans l’utérus. Au delà de ce premier trimestre, la grossesse sera suivie comme toutes les autres grossesses normales, sauf s’il y a bien sûr un facteur de risque associé tel qu’une hypertension artérielle, un diabète, une drépanocytose etc. A l’accouchement, le plus souvent c’est un bébé qui nous revient sans complications comme tous les autres nourrissons. Ces enfants n’ont pas de particularité majeure par rapport aux autres enfants ni dans leur croissance, ni dans leur développement psychomoteur.
Quel est le taux de réussite au Sénégal ?
Le taux de réussite se situe entre 30 et 40% au Sénégal. Malgré les faibles moyens que nous avons, on a presque le même taux qu’en France, tout en notant qu’il n’y a pas de don d’ovocytes ni de don de sperme au Sénégal.
Quels sont les inconvénients de cette fécondation In vitro ?
Naturellement cette insémination coûte chère. Tout le monde le sait. C’est en moyenne entre 2 et 3 millions pour sa réalisation du début de la stimulation ovarienne jusqu’à la grossesse confirmée. Il s’agit d’un procédé long où il y a une dizaine d’injections à faire, et cela peut être long et stressant pour le couple qui nécessite parfois un soutien psychologique. Il y a des rendez-vous, des va et vient chez le gynécologue, l’accès au bloc opératoire avec tout ce qui encadre la patiente comme traitement. Il y a également le stress de se dire si cela va marcher ou pas. C’est tout cela que je peux considérer comme inconvénients. Quant aux complications, il y a le risque d’hyperstimulation ovarienne qui est grave, mais heureusement très rare.
Une insémination à trois millions, c’est énorme ! Que fait l’association Fécondation In Vitro Sénégal pour aider les populations à y accéder ?
Les assurances ne prennent pas en charge tout ce qui est fertilité, ce qui est dommage. C’est une lutte que l’Association ‘’Fécondation « in vitro » (FIV) Sénégal tente de mener envers les assurances maladies. Tout ce qui est fertilité y comprit le bilan sanguin de fertilité, le bilan radiologique, les médicaments, les assurances ne les prennent pas en charge. Jusqu’à ce jour, rares sont les femmes qui peuvent certifier avoir bénéficié du soutien de leur assurance. C’est vraiment tout cela qui anime l’Association FIV Sénégal pour aller de l’avant. Nous voulons permettre aux femmes soit de bénéficier d’une assurance, soit d’une subvention de l’Etat pour au moins réduire ce problème de l’infertilité à l’origine d’instabilité conjugale voire de divorce. FIV Sénégal est une association de médecins, de biologistes qui tente de rendre financièrement accessible la fécondation in vitro aux couples infertiles. Pour cela, plusieurs paramètres devront être pris en compte : le coût des médicaments, les assurances… L’accessibilité de la FIV aux couples infertiles fait partie de notre liste de plaidoyer pour 2024.
Quels sont les objectifs de l’association dans un pays où l’infertilité constitue en moyenne 15 à 25% des consultations ?
C’est déjà de réunir tous les médecins qui font la FIV au Sénégal afin d’augmenter le taux de réussite de la FIV. En Europe et même dans la sous-région, les médecins qui font la FIV sont réunis dans un centre de procréation médicalement assistée (PMA). Au Sénégal, chacun est dans son cabinet, on n’a pas encore de centre de PMA. Mis à part la simulation ovarienne qui se passe au cabinet médical, tout doit se dérouler dans le centre. Mais ici on stimule dans le cabinet et on suit tout un long circuit, à travers plusieurs structures permettant d’aboutir à la grossesse. Notre objectif, c’est d’avoir un centre de procréation spécialisé et que la PMA soit accessible à la majorité les patientes. On travaille aussi à décentraliser cette activité qui est la procréation médicalement assistée, parce qu’à ce jour, elle est surtout exclusivement pratiquée à Dakar où se trouvent tous les centres de biologie de PMA. Les couples étant référés depuis les régions vers Dakar pour la FIV, ceci en augmente le coût. Par exemple : à la fin du mois de décembre 2023, une caravane médicale composée de 11 gynécologues s’est dirigée vers la région de Kaolack, à l’hôpital régional pour y former le personnel médical à pouvoir prendre en charge des cas de PMA. Juste préciser qu’il y a environ 70 membres dans l’association, mais tous ne pratiquent pas la FIV. On espère dans un avenir proche doubler le nombre de ‘’fivistes’’ au Sénégal.
Viviane DIATTA
L’info