L’hypertrophie bénigne de la prostate (HBP) est une affection susceptible d’atteindre tout homme ayant dépassé le seuil de la cinquantaine. Elle est plus fréquente chez le noir. Des constatations épidémiologiques indiquent qu’elle est de plus en plus d’actualité au Sénégal. Pour cette raison, nous avons choisi d’inaugurer notre page Santé par cette affection. C’est dans ce cadre, que la rédaction a eu l’honneur d’inviter le Professeur Cheickna Sylla, urologue – andrologue pour nous parler de cette affection sur les plans diagnostic, thérapeutique et dépistage.
Professeur, dans le langage courant, la prostate est souvent assimilée à tort à une maladie. Pouvez-vous nous nous éclairer sur cet organe ?
Pr Cheickna SYLLA : Bien que l’on assimile à un certain âge le terme « prostate » à une maladie, il faut bien comprendre que tous les hommes possèdent une prostate et qu’il s’agit d’une structure située au carrefour des voies urinaires et des voies génitales, ce qui explique les répercussions des maladies prostatiques sur l’appareil urinaire ou sur le système génital. La prostate qui est de petite taille chez l’adulte jeune (poids de 20 à 25 g) voit son volume fréquemment augmenté avec l’âge pouvant parfois atteindre plus de 250 g.
Quelles sont les affections les plus courantes liées à cet organe ?
Pr Cheickna SYLLA : L’hypertrophie bénigne de la prostate (HBP) est l’affection prostatique la plus fréquente. En moyenne, un homme sur trois présentera des problèmes liés à l’HBP. Il s’agit d’une augmentation bénigne du volume de la prostate.
Parallèlement, un cancer peut se développer sur la prostate, qui reste longtemps asymptomatique. Les 2 affections sont liées. C’est pourquoi dans sa démarche diagnostique, le médecin doit garder à l’esprit que devant une augmentation de volume de la prostate, un cancer de la prostate, une HBP ou même une prostatite inflammatoire ou prostatite.
Quels sont les facteurs de risques ?
Pr Cheickna SYLLA : Parmi les facteurs de risque incriminés : le terrain familial, l’âge avancé et les androgènes produits principalement par les testicules. Dans les croyances populaires, certaines idées préconçues sont véhiculées évoquant une relation entre la survenue de l’HBP et des antécédents d’activité sexuelle importante. A ce sujet, on peut vous rassurer qu’il n’existe aucune relation de cause à effet et donc que chacun peut continuer à son rythme.
Comment se manifeste l’HBP ?
Pr Cheickna SYLLA : Les signes sont nombreux et variés. L’HBP peut rester longtemps latente et asymptomatique ou de survenue progressive au point que le patient s’adapte pensant à tort que c’est probablement lié à l’âge.
Il peut s’agir de signes urinaires irritatifs comme :
• Le fait d’aller uriner fréquemment entravant parfois les activités diurnes ou le sommeil; parfois le patient signale une impossibilité de réprimer le besoin d’uriner ce qui peut même engendrer des pertes d’urine. Dans ce dernier cas et particulièrement dans le contexte de la religion musulmane, le patient viendra assez rapidement consulter car ayant le problème de maintenir la propreté nécessaire à la prière ;
• La difficulté d’uriner à type de gêne importante pour émettre l’urine qui sort difficilement avec parfois la sensation de vidange vésicale incomplète ;
Des complications comme :
• l’impossibilité totale ou partielle d’uriner traduisant une rétention d’urine ;
• l’émission de sang dans les urines dont l’abondance peut être variable ;
• la présence d’une hernie de l’aine traduisant l’issue des anses intestinales par des zones de faiblesse de la paroi abdominale. Elle est en rapport avec l’importance de la poussée abdominale pour émettre les urines afin de lutter contre l’obstacle ;
• la découverte d’une « pierre » ou calcul dans la vessie ;
• des infections urinaires ou génitales;
• une insuffisance rénale est possible.
Parfois il n’existe pas de plaintes rapportées par le consultant et l’HBP est découverte lors d’un examen chez le médecin pour une autre raison ou lors d’un bilan systématique.
Comment est ce que le médecin pose le diagnostic de HBP ?
Pr Cheickna SYLLA : Sur la base de signes d’orientation liés aux plaintes du patient, le diagnostic est essentiellement basé sur le toucher rectal.
Contrairement aux femmes qui ont davantage compris la nécessité de l’examen gynécologique et font fi de tous les éventuels désagréments liés à la consultation, les hommes restent récalcitrants au toucher rectal. Ce toucher rectal permet dans la majorité des cas d’objectiver les caractères évocateurs de l’HBP. Une des difficultés diagnostiques réside dans le fait que le cancer de la prostate peut parfois présenter les mêmes caractères au toucher rectal que l’HBP.
Doit-on établir un bilan de laboratoire ou des radiographies pour ces affections ?
Pr Cheickna SYLLA : Les données de l’examen clinique sont toujours corrélées à certaines données de laboratoire dont l’antigène spécifique prostatique (PSA) pour conforter le diagnostic d’HBP ou s’orienter vers d’autres maladies et d’autres examens. Le bilan vérifiera à l’examen d’urine la présence ou non d’une infection des voies urinaires. L’échographie de l’appareil urinaire suffit le plus souvent comme examen d’imagerie précisant la forme de la prostate, son volume et le retentissement d’une éventuelle obstruction sur la vessie ou les reins.
Quels sont les modes de traitement ?
Pr Cheickna SYLLA : Dans l’hypertrophie bénigne de la prostate, il faut garder à l’esprit que le volume de la prostate n’est pas l’élément déterminant. Une grosse prostate ne pose pas forcément plus de problèmes qu’une prostate de petite taille. On ne traite que les répercussions à type de signes irritatifs, obstructifs ou les complications. il suffit parfois de continuer à surveiller le patient en lui prodiguant quelques conseils hygiéno-diététiques (uriner régulièrement, boissons en quantité suffisante, maintenir les activités physiques, diminution des épices et des alcools, …).
Lorsque l’on a recours à un traitement médicamenteux, ce dernier repose sur trois classes de médicament très efficaces mais très onéreux dans notre système de santé:
• les médicaments dits « alpha-bloquants » qui viennent au premier plan et qui diminuent la tension au niveau de la filière de sortie de la vessie facilitant l’émission de l’urine ;
• les « inhibiteurs de la 5 alpha réductase » qui agissent essentiellement sur le volume prostatique afin de le diminuer ; il faut remarquer que les effets de ce traitement sont notés après plusieurs mois de prise du produit et que l’un des effets secondaires rapporté est le dysfonctionnement sexuel.
• La phytothérapie à base d’extraits de plantes est disponible tant dans les laboratoires pharmaceutiques que dans les grandes surfaces commerciales dans certains pays. Les mécanismes d’action et les résultats de ces produits sont variables.
Dans quels cas peut-on intervenir chirurgicalement et comment ?
Pr Cheickna SYLLA : Dans certains cas, seul le traitement chirurgical est indiqué du fait de l’absence d’amélioration sous traitement médical ou du fait de complications. L’intervention chirurgicale est souvent réalisée sous anesthésie loco-régionale c’est-à-dire que l’anesthésie générale n’est pas systématique. Cette chirurgie peut concerner : un traitement endoscopique utilisant les voies naturelles donc sans ouverture de la peau et consistant soit à diminuer le volume de la prostate ou fendre au niveau de la filière de sortie de l’urine ; un traitement chirurgical classique à ciel ouvert, ou adénomectomie prostatique qui enlève la partie obstructive de la prostate en passant en avant ou par la vessie.
En règle générale, le patient est hospitalisé entre 3 et 7 jours selon la technique utilisée. Un traitement très intéressant dans son utilisation et ses résultats mais encore peu accessible dans les pays en voie de développement du fait du coût du matériel est le traitement de l’HBP par le laser. Ce traitement est réalisé par les voies naturelles permettant la pulvérisation de la partie prostatique concernée. Les suites opératoires sont souvent simples avec moins de saignements. D’autres traitements physiques sont utilisés mais dont l’évaluation est encore discutée.
Après la chirurgie est il nécessaire de poursuivre un suivi prostatique et existe t’il une impuissance sexuelle ?
Pr Cheickna SYLLA : Il est important de faire comprendre au patient que dans l’HBP : le traitement chirurgical n’enlève pas toute la prostate mais uniquement une partie de celle-ci et que la partie prostatique restante peut être le siège de nouvelles maladies dont le cancer d’où l’intérêt de continuer la surveillance périodique. Après le traitement chirurgical, il n’existe pas d’atteinte de la virilité du sujet. Du fait de la chirurgie, lors de l’éjaculation, cette dernière s’oriente vers la vessie et non vers l’extérieur via la verge. Cela n’affecte nullement l’orgasme et généralement à l’âge de l’intervention la descendance du sujet est déjà assurée et le recueil de sperme n’est plus la principale préoccupation.
Quelles sont les répercussions de l’HBP pour le patient ?
Pr Cheickna SYLLA : Une certaine dépendance financière de la personne âgée transforme son problème en un problème familial avec tous les corollaires sociaux et culturels. En effet, les problèmes prostatiques surviennent chez un sujet âgé qui peut présenter à cet âge simultanément plusieurs maladies dans un contexte de couverture médicale difficile. Les traitements chirurgicaux ou médicaux des affections prostatiques restent d’un coût élevé malgré des efforts significatifs de prise en charge des personnes du troisième âge dans les structures publiques. Les troubles urinaires agissent directement sur la vie de relation de ces patients qui finissent parfois à adapter leur maladie à l’environnement dans lequel ils évoluent, adaptation parfois néfaste pour leur santé. A titre d’exemple, l’émission d’urine anormalement fréquente va amener le patient à limiter les boissons avant les déplacements, diminuer les boissons avant le coucher, ne plus conduire son véhicule trop longtemps, ne pas se déplacer s’il n’existe pas de toilette à proximité du lieu d’accueil, refuser de participer à certaines conférences ou invitations du fait de stations assises prolongées sans possibilité de se lever pour aller aux toilettes, Il n’est pas rare que du fait de ses troubles urinaires (odeur malodorante) le patient puisse être confiné à un espace réduit en retrait de son entourage ce qui constitue dès lors un handicap social.
En conclusion, il nous faut préparer aujourd’hui tous ensemble ce que nous serons demain car il n’existe pas vraiment de moyens pouvant prévenir l’hypertrophie bénigne de la prostate (phénomène de vieillissement ? Etat de la nature ?) et j‘invite les populations à partir de la cinquantaine à aller consulter un urologue au moins une fois par an.
Propos recueillis par Abdoulaye BAO
et Moustapha Sarr DIAGNE Louga Infos