En dépit de sa position stratégique dans le dispositif de santé vie d’une nation, le secteur pharmaceutique du Sénégal connaît d’innombrables défis qui méritent d’être relevés par les gouvernants et les acteurs. De la question de la souveraineté du secteur, à l’insertion des jeunes pharmaciens, du développement des autres pans de la pharmacie outre l’officine au respect du monopole, en passant par la problématique du marché parallèle de la distribution, Infomed pose la problématique du secteur pharmaceutique au Sénégal avec le Dr Amath Niang, le président de l’ordre des pharmaciens. Dans cet entretien exclusif accordé au magazine de référence en santé, le Dr Niang qui est, par ailleurs, président de l’inter-ordre, répond à bâtons rompus à nos questions sans détour. Doté de la mission de santé publique, l’Ordre des pharmaciens veille au respect des normes et bonnes pratiques dans le secteur, entre autres.
Amath Niang, comment est structuré l’ordre des pharmaciens du Sénégal que vous présidez ?
L’Ordre des pharmaciens du Sénégal est un établissement public à caractère professionnel doté de la personnalité civile et une autonomie financière. L’une des missions phares de l’ordre, c’est la mission de santé publique, à travers le déploiement des activités de professionnels que sont les pharmaciens. Donc l’ordre veille au respect du devoir professionnel des pharmaciens à travers une obligation de respect de la réglementation en vigueur et des textes législatifs pour que le pharmacien soit en phase avec tout ce qui organise la profession. En plus de cette obligation de respect des principes législatifs et réglementaires, il y un code de déontologie qui oblige le pharmacien à un niveau de conduite parce qu’appartenant à une profession. Il y a un minimum en termes de profil qui lui est reconnu pour pouvoir préserver l’honneur de la profession.
Qu’en est-il de la structuration de l’Ordre?
Du point de vue de la structuration, l’Ordre des pharmaciens est organisé en entités tout à fait isolées avec un niveau d’indépendance dans le cadre du traitement des délibérations par rapport aux dossiers qui leur sont soumis. Nous avons le Conseil national qui est en fait l’organe de délibération. Il a à sa tête le président du Conseil national de l’Ordre des pharmaciens et est composé de conseillers parmi lesquels nous avons un magistrat qui nous vient de la Cour suprême. Parallèlement à cet organe de délibération, il y a également deux sections qui regroupent les pharmaciens du secteur privé et ceux du secteur public. Chaque section est dirigée par un président avec des membres du Conseil pour constituer le Conseil de délibération de la section par rapport aux dossiers qui sont spécifiques aux pharmaciens appartenant à tel ou tel autre secteur.
Quels sont les défis du secteur pharmaceutique aujourd’hui au Sénégal?
Les défis sont énormes et il faut les analyser de manière transversale. Nous avons d’abord le problème du secteur de l’officine. Quand les pharmaciens diplômés sortent de l’université, il n’y a qu’une seule forme de débouchés qui s’offre à eux, c’est l’ouverture d’une pharmacie. Dans un pays où le contexte social est un peu particulier, où le niveau de vie des populations est bas, entre autres, je pense que c’est un secteur qui va un peu vers la saturation. Tous les professionnels ne peuvent pas devenir des pharmaciens d’officine, d’où la nécessité de réfléchir sur les perspectives qui pourront permettre leur intégration, leur insertion et la réorientation du cursus du pharmacien parce qu’il n’y a pas que ce secteur. En dehors de cela, il y a des pharmaciens qui opèrent dans le domaine du laboratoire qu’il va falloir assainir, domaine qu’ils partagent avec des médecins et d’autres professionnels et qui est organisé avec une réglementation tout à fait spécifique qu’on appelle la législation biomédicale. Donc les laboratoires cherchent à mieux s’organiser pour pouvoir se donner beaucoup plus de chance par rapport à leur mission et à tout ce qui touche à l’organisation de ce secteur.
Quid de l’industrie pharmaceutique qui fait de plus en débat le pays ?
L’industrie pharmaceutique c’est le parent pauvre du secteur de la pharmacie parce que nous avons pratiquement plus de 95% d’importation des médicaments. Il y a nécessité de trouver le moyen pour relever le défi de la production. A côté de cela, nous avons des pharmaciens qui excellent dans le domaine de la répartition, qui sont communément appelés les grossistes et qui assurent l’accessibilité des médicaments auprès des officines. Ce sont des établissements qui permettent la mise à disposition des médicaments auprès des populations. Donc ce sont des secteurs tout à fait isolés. Face à ce secteur privé, il y a aussi le secteur public. Il s’agit des pharmaciens qui se trouvent au niveau des établissements sanitaires où la gestion du médicament leur est confiée. Ces professionnels sont confrontés à des difficultés du point de vue de leur carrière et de leur reconnaissance en tant que des professionnels de santé par rapport à la structuration de ces établissements-là. C’est dire donc que les défis sont énormes. De ce point de vue, l’Ordre des pharmaciens essaie de mieux s’organiser pour permettre à chaque pharmacien de pouvoir s’épanouir à travers le strict respect des devoirs professionnels.
En tant que président de l’Ordre y-a-t-il des pharmaciens diplômés qui, pour une raison ou une autre, ont tenté d’adhérer à l’Ordre des pharmaciens en vain ?
Bien évidemment parce que l’inscription à l’Ordre répond à un certain nombre de critères. Si les critères sont remplis, rien n’empêche qu’effectivement le pharmacien puisse s’inscrire à l’Ordre. «Nul ne peut exercer son art pharmaceutique sur le territoire national sans être s’inscrit à l’Ordre». Je pense que maintenant il y a un prolongement par rapport à cette disposition parce qu’on ne parle plus nationalité mais de circulation communautaire dans l’espace (CEDEAO). De ce point de vue, on tient compte du diplôme de pharmacien, de sa moralité et de son appartenance à la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). Pour adhérer, il faut également justifier d’une activité qui prouve le pourquoi du désir de cette adhésion. Maintenant, il arrive que des dossiers ne soient pas complets ou que les conditions ne permettent pas l’inscription d’un pharmacien. Cela est géré au niveau d’une section spécialement dédiée. C’est la section B ou la section A. Si un pharmacien, qu’il soit du secteur privé ou public, exprime le besoin de s’inscrire à l’Ordre pour exercer une activité professionnelle, il dépose son dossier au niveau de cette même section, précisément au secrétariat qui appréciera la validité ou non du dossier.
Dr Niang, il semble que les pharmaciens issus de Saint Christopher auraient des difficultés à y adhérer. Pourquoi?
Difficultés à adhérer non ! Je ne le pense pas parce que depuis que le problème de l’équivalence du diplôme est mis sur la table, rien ne s’oppose à ce que les sortants de Saint Christopher (Ndlr : Université privée de médecine) puissent s’inscrire à l’Ordre. Mais comme leur diplôme est celui d’un d’établissement, le Conseil demande l’équivalent pour que nous puissions statuer parce qu’on ne peut pas autoriser l’exercice de la profession à des personnes qui ne répondent pas au statut et au profil de la formation. Il y a certaines universités qui se sont organisées pour pouvoir répondre à ces critères et exigences de l’Ordre.
Vous êtes également président de l’inter ordre. Quel est le rôle cette entité ?
En effet, l’inter-Ordre que je dirige est une structure qui regroupe l’Ordre des pharmaciens, l’Ordre des médecins, les dentistes et l’Ordre des médecins vétérinaires. Son avènement relève d’une stratégie tout à fait efficiente qui entre dans le cadre de partage d’expériences et de coordination par rapport à des préoccupations majeures parce que chaque Ordre se trouve lié à l’autre par un certain nombre d’obligations réglementaires et législatives. Donc du point de vue de l’exercice, nous avons la même stature sur les plans législatifs, du point du vue missionnaire.
D’où est venue l’idée de s’organiser ainsi ?
La mise sur pied de l’inter-Ordre a été une recommandation de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA) qui a fait part de la nécessité pour ces différentes structures de s’organiser en communauté interne regroupant l’ensemble des Ordres. D’ailleurs, ce ne sont pas seulement les Ordres des professions médicales, toutes les autres entités qui répondent à d’autres catégories de professions se sont organisées de la même manière. Je pense que c’est pour répondre d’une seule voix, partager les mêmes préoccupations au cas où il y aurait des empiètements ou quelque chose qui ne serait pas à l’image de ce qu’on attend de ces Ordres. Rappelons que tous les Ordres sont investis de la même mission : il s’agit de la santé publique et du respect des droits professionnels. Aller vers un élan collégial, communautaire permet de gérer les problèmes en une seule entité et de pouvoir se donner l’opportunité de s’entraider, de s’ériger en force par rapport au respect des obligations qui garantissent l’exercice en tant que tel parce que les ordres ne sont pas comme les syndicats.
Est-ce que l’avènement de l’inter-Ordre ne conduit pas à chaque Ordre d’avoir un œil sur ce qui se passe chez l’autre et de jouer ainsi un peu le rôle de vigie ?
Non ! Pas du tout parce que nous n’avons pas le droit de nous immiscer dans les actions de chaque Ordre qui est souverain par rapport au déploiement. Il arrive même que nous ayons quelques différences du point de vue de l’organigramme, des statuts qui règlementent chaque Ordre. Par exemple, chez nous (les pharmaciens) le rôle de président est attribué à un pharmacien du secteur privé alors que dans d’autres Ordres, on peut voir un président issu du secteur public et autre. Donc ce n’est pas ça la préoccupation de l’inter-Ordre. La préoccupation c’est d’avoir un élan de groupe, un élan communautaire et institutionnel regroupant toutes les entités pour pouvoir partager, échanger, se donner l’opportunité pour qu’à chaque fois que des questions qui touchent la santé.
Pouvez-vous nous exposer quelques exemples concrets ?
Je peux donner le cas de la médecine traditionnelle où l’inter-ordre se devait de se prononcer pour pouvoir alerter et faire en sorte que la démarche puisse répondre aux attentes des populations et des différents Ordres parce que les Ordres sont des professions réglementaires reconnues à travers des monopoles qui sont dédiés sur le plan médicale, pharmaceutique, vétérinaire et de la médecine dentaire. Donc il est important pour pouvoir organiser une autre activité professionnelle de faire de telle sorte que les acteurs puissent réfléchir ensemble en vue de déterminer jusqu’où il n’y aurait pas d’empiètement dans les prérogatives des Ordres ou des professionnels les unes vis à vis des autres.
Quelles sont les actions concrètes de l’inter-Ordre sur le terrain
Les actions de l’inter-ordre sont pratiquement les actions qui constituent le prolongement des différents Ordres. Aujourd’hui, nous avons le droit de veille sur la vie des différentes catégories professionnelles de la santé. Nous nous réunissions pour essayer d’améliorer davantage le cadre institutionnel. Nous nous réunissons également pour faire en sorte que les déboires ou les manquements observés au niveau des autres Ordres puissent être corrigés. Par exemple, le problème de l’exercice illégal est une question majeure au niveau des différents Ordres. Maintenant en allant dans un élan de solidarité, dans une démarche tout à fait synergique, on peut parvenir à rappeler à l’autorité la nécessité de faire de telle sorte qu’on puisse assainir le milieu pour mieux préserver la santé des populations. Sur le plan des textes aussi aujourd’hui tous les Ordres ont reconnu le fait qu’il y a une certaine vétusté des textes qui organisent les professions médicales. De ce point de vue, il fallait intervenir auprès de l’autorité pour faire de telle sorte que ces textes puissent connaître des avancées énormes en vue de les adapter à l’évolution actuelle du contexte de la santé.
Propos recueillis par Frédéric ATAYODI