La fermeture de l’hôpital Aristide Le Dantec pour des fins de reconstruction a suscité beaucoup de polémiques. Cette décision, prise par les autorités, n’a pas donc laissé indiffèrent nombre de Sénégalais et continue de provoquer la réaction de certains agents de santé. Dans cet article, le professeur Alain Khassim Ndoye et Dr Sérigne Falilou Samb donnent leurs avis sur cette affaire.
Alors que certains saluent la fermeture de l’hôpital Aristide Le Dantec, d’autres, qui ne s’y opposent totalement, pensent que cette décision est précipitée et manque de planification. Alain Khassim Ndoye, professeur d’urologie andrologie et président de la commission médicale d’établissement (PCME) de Le Dantec, pour sa part, ne cache pas son enthousiasme face à cette fermeture de l’établissement pour une reconstruction. Rencontré par Infomed Magazine dans son bureau, au centre de santé de Ngor, le PCME de Le Dantec magnifie cette décision dans la mesure où, pour lui, cela va aboutir à un résultat plus satisfaisant.
La fermeture de l’établissement de santé était-il donc une nécessité ? « Cela ne se discute plus ! répond le Pr Ndoye. Vu l’état de l’hôpital, poursuit-il, nous avons fait une conférence de presse ; tout le monde est au courant et est d’accord que l’hôpital ne pouvait pas continuer à fonctionner dans ces conditions. Il présente des risques non seulement pour les patients, mais également pour le personnel soignant. Cette structure pavillonnaire, qui est ancienne, n’est plus un modèle de fonctionnement recommandé pour les hôpitaux qui souhaitent se moderniser. »
Suivi des patients et formation des étudiants
Après la fermeture de l’établissement, le 15 août passé, un plan de redéploiement a été publié par le ministère de la Santé et de l’Action de sociale pour la continuité des services dudit établissement dans d’autres structures de santé de Dakar et de Touba (Diourbel). Cela suscite beaucoup d’inquiétudes chez les populations qui craignent un trouble dans l’offre de soins dans la région de Dakar. Une inquiétude « bien raisonnable » selon le professeur Alain Khassim Ndoye. Mais, dit-il, cela devra être évalué après, pour savoir s’il y a eu ou pas des répercussions. « Pour citer l’exemple de l’urologie qui a été un des services à être délocalisé en premier, l’offre de soin dans ce service est très réparti, et cela fait qu’actuellement les patients on plusieurs endroits pour se soigner. La région de Dakar compte 9 services d’urologie, ce qui fait qu’un service, aussi gros soit-il, même s’il ne fonctionne pas, les autres peuvent prendre le relais », dit-il.
Si l’on sent un certain optimiste chez Pr Alain Ndoye, il n’en n’est pas le cas pour Dr Serigne Falilou Samb, membre de conseil de l’Ordre des médecins et Secrétaire général de l’association des cliniques privées du Sénégal. Selon lui, cette fermeture de l’hôpital Aristide le Dantec était une nécessité et «peut être une urgence », mais le côté où les autorités ont péché, d’après lui, c’est la planification et la communication avant toute prise de décision.
« Ce manque de planification aura effectivement des répercussions sur la prise en charge des patients, mais aussi sur la formation des étudiants parce que Dantec c’est le point nodal de la formation en médecine au Sénégal mais aussi des paramédicaux, des médecins des assistants, des chefs de cliniques et professeurs. De fait, il dépasse le simple statut d’hôpital ; c’est aussi un centre de recherche et de prise en charge», soutient-il.
Le Pr Ndoye, de son côté, pense que l’hôpital n’était plus dans les dispositions à fournir aux étudiants de bonnes formations. Cependant, il reconnait que Le Dantec est un grand centre formation, mais, ajoute-t-il, si vous voyez la différence entre une fermeture et une délocalisation, c’est à la faculté de réagir. « Les conditions de formation à Le Dantec n’étaient pas aussi bonnes que ça, il y avait une massification des étudiants, un nombre pléthorique dans des services étroits », affirme Alain Khassim Ndoye.
Les contraintes liées à la délocalisation
Même si le déménagement d’un hôpital est une première expérience au Sénégal, de l’avis du Dr Samb, il fallait tout de même bien communiquer là-dessus : « Présenter d’abord le projet aux Sénégalais, le pourquoi du comment du déménagement de cet hôpital qui a vieilli. Nous avons un peuple très exigeant et très intelligent », dit-il.
Outre, pour lui, il fallait, en dehors d’une bonne planification, une cartographie du déménagement : commencer par les services les plus faciles à délocaliser à savoir les services de médecine interne, redéployer le personnel et finir par la radiothérapie « qui n’est pas du tout facile à déménager parce cela comporte beaucoup de risque. C’est un appareil qui peut être très dangereux, ses déchets peuvent être radioactifs. Mais malheureusement, l’on se rend compte qu’il y a une collision entre un agenda politique et un problème médical », soutient Dr Samb.
Cette difficulté, le Pr Ndoye en est aussi conscient. « Il y a des services sensibles comme l’hémodialyse, la cancérologie où l’arrêt des soins peut poser des problèmes puisque l’offre de soins est déjà insuffisante. Et c’est pour cela d’ailleurs à mon avis que des précautions particulières ont été prises pour que ces services ne soient pas fermés dans l’hôpital », affirme l’urologue. Il poursuit que les urgences peuvent également poser problèmes parce que l’offre de soins en urgence à Dakar rencontre également des difficultés. « Mais je pense que des dispositions ont été prises pas pour limiter totalement les dégâts, mais les réduire au maximum », poursuit-il.
D’inquiétudes à opportunités
« Un nouvel hôpital avec une nouvelle façon de fonctionner, un nouveau mode de gestion, c’est ce que le Président a souhaité. Il y a une multitude de nouvelles fonctions, de nouveaux postes qui n’existaient pas et qui vont apparaître. Ils seront créés par la nécessité de mettre l’hôpital dans les normes modernes », pensent le professeur Ndoye.
Sur ce point, Serigne Falilou Samb est en accord. Pour lui, il y a une possibilité que certaines angoisses des populations et même des agents de santé se traduisent en opportunités. « Le nouveau Dantec va quand même nécessiter de l’expertise. Et s’il y avait une bonne planification c’est d’utiliser les agents de l’hôpital pendant cette période de reconstruction, leur donner une très bonne formation pour qu’à l’ouverture, il puisse être fonctionnel. L’ensemble du personnel d’appoint mérite quand-même une bonne formation pour préparer l’ouverture », ajoute-t-il.
Mais puisque cela ne s’est pas encore concrétisé, l’inquiétude de Dr Samb se situe plutôt ailleurs. À son avis, les contractuels de l’hôpital pourraient faire face à certaines difficultés durant ce temps de reconstruction. « Pour le personnel étatique, le problème ne se pose pas, mais plutôt du côté des contractuels qui disposaient de contrat direct avec l’hôpital. L’hôpital n’existant plus physiquement donc forcément ce problème pourrait se poser », dit-il.
La livraison de l’infrastructure
La livraison du nouveau Le Dantec est prévue dans 18 voire 20 mois. A la question, si cela est possible, le Pr Alain Khassim Ndoye reste optimiste: « Je n’ai aucune crainte quant à la date annoncée pour la livraison de l’infrastructure. Moi, je suis un fonctionnaire donc je fais confiance à l’Etat. Ils nous ont dit qu’il va falloir 18 voire 20 mois pour faire les travaux, je dis pourquoi pas! Honnêtement, pour le moment, je préfère ne pas faire de spéculations là-dessus « , affirme-t-il.
Par contre, pour Dr Serigne Falilou Samb, une infrastructure d’une telle envergure ne peut être délivrée dans ce délai annoncé. A cet effet, il soutient que tous ceux qui s’y connaissent en architecture savent que la seule démolition de cet hôpital, à l’architecture ancienne, peut prendre du temps. La construction et tout ce qui doit être mis dedans, en se référant au projet architectural et hospitalier, on peut dire que tout cela ira au minimum à 3 voire 5 ans « ça, c’est sûr et certain !», pense-il.
Ibrahima Minthe (Infomed Magazine)